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dame d'un rare mérite, et dont l'esprit avoit beauté d'homme avec grâces de femme1. Elle se plaisoit à la poésie, et plus encore à la philosophie, mais sans ostentation. Ce fut pour elle que Bernier fit l'abrégé de Gassendi. La Fontaine demeura chez elle près de vingt ans. Elle pourvoyoit généralement à tous ses besoins, persuadée qu'il n'étoit guère capable d'y pourvoir lui

même.

Un jour qu'elle avoit congédié tous ses domestiques à la fois : « Je n'ai gardé avec moi, dit-elle, que mes trois animaux : mon chien, mon chat et La Fontaine. >>

Joignons à ce mot-là celui de madame de Bouillon. Comme l'arbre qui porte des pommes est appelé pommier, elle disoit de M. de La Fontaine, c'est un fablier, pour dire que ses fables naissoient d'elles-mêmes dans son cerveau, et s'y trouvoient faites sans méditation de sa part, ainsi que les pommes sur le pommier tant il : paroissoit n'être bon à rien, et n'avoir pas la moindre étincelle de ce feu divin qui fait les grands poëtes.

A sa physionomie du moins, on n'eût pas deviné ses talents. Un sourire niais, un air lourd, des yeux presque toujours éteints, nulle contenance. Rigault et de Troyes l'ont peint au naturel; mais l'estampe que nous en avons

gages de 300 livres, et enfin Jean Barbier, sieur de La Fontaine, un des archers des gardes, qui avaient 300 livres de gages et la qualité d'écuyer. Nous avons cru devoir relever ces noms de contemporains, qui n'avaient sans doute aucune parenté avec le fabuliste, mais qui peuvent jusqu'à un certain point expliquer l'erreur de M. Walckenaer.

1 La Fontaine, fable XV, livre 12. (0.)

dans les Hommes illustres de Perrault, le flatte un peu. Rarement il commençoit la conversation; et même, pour l'ordinaire, il y étoit si distrait, qu'il ne savoit ce que disoient les autres. Il rêvoit à tout autre chose, sans qu'il eût pu dire à quoi il rêvoit. Si pourtant il se trouvoit entre amis, et que le discours vînt à s'animer par quelque agréable dispute, surtout à table, alors il s'échauffoit véritablement, ses yeux s'allumoient, c'étoit La Fontaine en personne, et non pas un fantôme revêtu de sa figure.

On ne tiroit rien de lui dans un tête-à-tête, à moins que le discours ne roulât sur quelque chose de sérieux, et d'intéressant pour celui qui parloit. Si des personnes dans l'affliction et dans le doute s'avisoient de le consulter, non-seulement il écoutoit avec grande attention, mais je le sais de gens qui l'ont éprouvé, il s'attendrissoit, il cherchoit des expédients, il en trouvoit ; et cet idiot, qui de sa vie n'a fait à propos une démarche pour lui, donnoit les meilleurs conseils du monde.

Une chose qu'on ne croiroit pas de lui, et qui est pourtant très-vraie, c'est que dans ses conversations il ne laissoit rien échapper de libre ni d'équivoque. Quantité de gens l'agaçoient, dans l'espérance de lui entendre faire des contes semblables à ceux qu'il a rimés: il étoit sourd et muet sur ces matières; toujours plein de respect pour les femmes, donnant de grandes louanges à celles qui avoient de la raison, et ne témoignant jamais de mépris à celles qui en manquoient.

Autant qu'il étoit sincère dans ses discours, autant étoit-il facile à croire tout ce qu'on lui disoit. Témoin

son aventure avec un nommé Poignan', ancien capitaine de dragons, retiré à Château-Thierry. Tout le temps que ce Poignan n'étoit pas au cabaret, il le passoit auprès de madame de La Fontaine, qui étoit, comme j'ai dit, une madame Honesta,

D'un orgueil extrême,

Et d'autant plus que de quelque vertu,

Un tel orgueil paroissoit revêtu.

Poignan de son côté n'étoit point du tout galant. On en fit cependant de mauvais rapports à M. de La Fontaine, et on lui dit qu'il étoit déshonoré s'il ne se battoit contre Poignan. Il le crut. Un jour d'été, à quatre heures du matin, il va chez lui, le presse de s'habiller, et de le suivre avec son épée. Poignan le suit, sans savoir où, ni pourquoi. Quand ils furent hors de la ville, La Fontaine lui dit : « Je veux me battre contre toi, on me l'a conseillé; » et après lui en avoir expliqué le sujet, il mit l'épée à la main. Poignan tire à l'instant la sienne, et d'un coup ayant fait sauter celle de La Fontaine à dix pas, il le ramena chez lui, où la réconciliation se fit en déjeunant.

Figurons-nous une république toute composée d'hommes tels que M. de La Fontaine. Parmi eux on ne verroit ni fraude, ni mensonge, ni querelle, ni procès, ni chicane, ni luxe, ni ambition, ni en un mot aucun de ces monstres qui font des ravages continuels dans la vie civile. J'avoue que les terres n'y seroient pas trop bien régies mais c'est un mal qui seroit tout au

Il nous est connu par les Mémoires de Louis Racine sur la vie de son père, et par les lettres de Despréaux.

moins compensé par le retranchement de l'ambition et du luxe. Peut-être n'y trouveroit-on personne capable d'être magistrat ou soldat: mais dans le cas que nous imaginons, le soldat et le magistrat seroient inutiles. On suivroit aveuglément l'instinct de la nature, qui porte à se contenter de peu, et à ne goûter que des plaisirs innocents. On verroit ce siècle d'or, que les poëtes ont dépeint, et qui n'exista jamais.

1

Tout le monde cependant ne m'approuva point d'avoir trop appuyé sur la simplicité de M. de La Fontaine, quand je lus dernièrement cet article dans une assemblée de l'Académie ; et ceux mêmes qui rendoient le plus de justice à mes intentions, me conseillèrent de supprimer divers traits, qu'en effet je supprime, de peur qu'on n'en prit occasion de rire aux dépens d'un écrivain, qui certainement a mérité que sa mémoire fût à jamais sous la protection des honnêtes gens.

Pour le considérer donc maintenant comme poëte, disons un mot de ses études, de son goût et de ses ouvrages.

Il étudia sous des maîtres de campagne, qui ne lui enseignèrent que du latin, et il avoit déjà vingt-deux ans, qu'il ne se portoit encore à rien, lorsqu'un officier, qui étoit à Château-Thierry en quartier d'hiver, lut devant lui par occasion, et avec emphase, cette ode de Malherbe : Que direz-vous, races futures,

Si quelquefois un vrai discours
Vous récite les aventures

De nos abominables jours ?

1 Voy. nos extraits des Lettres de l'abbé d'Olivet au président Bouhier.

Il écouta cette ode avec des transports mécaniques de joie, d'admiration et d'étonnement. Ce qu'éprouveroit un homme né avec de grandes dispositions pour la musique, et qui, après avoir été nourri au fond d'un bois, viendroit tout d'un coup à entendre un clavecin bien touché, c'est l'impression que l'harmonie poétique fit sur l'oreille de M. de La Fontaine. Il se mit aussitôt à lire Malherbe, et s'y attacha de telle sorte, qu'après avoir passé les nuits à l'apprendre par cœur, il alloit de jour le déclamer dans les bois. Il ne tarda pas à vouloir l'imiter; et ses essais de versification, comme il nous l'apprend lui-même ', furent dans le goût de Malherbe.

Un de ses parents, nommé Pintrel, homme de bon sens, et qui n'étoit pas ignorant 2, lui fit comprendre que, pour se former, il ne devoit pas se borner à nos poëtes françois : qu'il devoit lire, et lire sans cesse Horace, Virgile, Térence. Il se rendit à ce sage conseil. Il trouva que la manière de ces Latins étoit plus naturelle, plus simple, moins chargée d'ornements ambitieux ; et que par conséquent Malherbe (je ne le dis qu'après M. de La Fontaine) péchoit par être trop beau, ou plu

1 Dans son Épître à M. Huet, en lui envoyant un Quintilien de Toscanella (o.):

Je pris certain auteur autrefois pour mon maître;

Il pensa me gâter: à la fin, grâce aux Dieux,

Horace par bonheur me dessilla les yeux.
L'auteur avoit du bon, du meilleur, et la France
Estimoit dans ses vers le tour et la cadence.

Qui ne les eût prisés ? J'en demeurai ravi.

Mais ces traits ont perdu quiconque l'a suivi.

2 On a de lui une traduction des Épîtres de Scnèque, imprimée après sa mort par les soins de M. de La Fontaine, à Paris, 1681.(0.)

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