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tôt trop embelli. Tout ce qui tendoit à une plus grande naïveté, mais naïveté noble et ingénieuse, flattoit son penchant.

Rabelais, que M. Despréaux appeloit la Raison habillée en masque, fut encore un de ses auteurs favoris. Il l'admiroit follement. Car tout le monde a entendu raconter là-dessus une extravagante saillie, dont M. de Valincour fut témoin, étant chez M. Despréaux avec MM. Racine, Boileau le Docteur, et quelques autres personnes. On y parloit fort de saint Augustin: La Fontaine écoutoit avec cette stupidité qui étoit ordinairement peinte sur son visage enfin il se réveilla comme d'un profond sommeil, et demanda d'un grand sérieux au Docteur, s'il croyoit que saint Augustin eût eu plus d'esprit que Rabelais? Le Docteur l'ayant regardé depuis la tête jusqu'aux pieds, lui dit pour toute réponse : << Prenez garde, monsieur de La Fontaine, vous avez mis un de vos bas à l'envers; » et cela étoit vrai en effet.

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Mais de tous les modèles qu'il se proposa, Marot est celui dont il retint le plus, quant au style. J'entends ici par style, un choix de certaines expressions, et plus particulièrement encore de certains tours. Or Marot ayant le premier attrapé le vrai tour du genre naïf, il a été censé depuis avoir déterminé le point de perfection, où notre langue pouvoit être portée dans le genre naïf. Jusque-là qu'aujourd'hui encore, malgré tous les changements arrivés dans le françois, le style marotique. fait parmi nous, comme une langue à part, dans laquelle notre oreille est faite à sentir des finesses et des

agréments que l'on ne sauroit lui remplacer dans un autre style. C'est ainsi qu'en latin, par exemple, nous trouvons dans la mesure et dans les tours de Catulle, un sel qui n'est point ailleurs.

Après Marot et Rabelais, La Fontaine n'estimoit rien tant que l'Astrée de M. d'Urfé. C'est d'où il tiroit ces images champêtres, qui lui sont familières, et qui font toujours un si bel effet dans la poésie'. Il lisoit peu nos autres livres françois. Il se divertissoit mieux, disoit-il, avec les Italiens, surtout avec Bocace et l'Arioste, qu'il n'a que trop bien imités.

Mais ce qu'on ne s'imagineroit pas, il faisoit ses délices de Platon et de Plutarque. J'ai tenu les exemplaires qu'il en avoit ; ils sont notés de sa main à chaque page; et j'ai pris garde que la plupart de ses notes étoient des maximes de morale ou de politique qu'il a semées dans ses fables.

Pour les traits de physique qu'il y a placés, aussi bien que dans son poëme du quinquina, il les devoit moins aux livres qu'à ses entretiens avec Bernier le gassendiste, qui logeoit comme lui chez madame de La Sablière.

Tous ses ouvrages ne sont pas d'un prix égal. Il nous en découvre lui-même la raison : c'est qu'il a voulu essayer trop de genres différents. Je m'avoue, dit-il,

Papillon du Parnasse, et semblable aux abeilles,

1 La Fontaine est un des rares poëtes du temps de Louis XIV, qui semblent avoir peint la nature d'après leurs impressions, et non par une stérile imitation d'autrui. On a donc lieu de s'étonner de cette assertion de l'abbé d'Olivet.

A qui le bon Platon compare nos merveilles.
Je suis chose légère et vole à tout sujet,
Je vais de fleur en fleur et d'objet en objet.

A beaucoup de plaisir, je mêle un peu de gloire.
J'irois plus haut peut-être au temple de Mémoire,
Si dans un genre seul j'avois usé mes jours.

Mais quoi je suis volage en vers comme en amour.

Voilà, en effet, tout ce qu'on peut dire sur ce sujet. Le même esprit qui présidoit à sa conduite, présidoit à ses compositions. Esprit simple, ingénu, sensé, galant: mais inconstant, distrait, paresseux. Il ne met pas toujours la dernière main à un ouvrage; mais jusqu'aux morceaux qu'il a le plus négligés, jusqu'à ses moindres ébauches, tout décèle en lui un grand maître, et qui est, à divers égards, véritablement original. Aussi est-il regardé par tous les gens de goût, comme l'un de nos cinq ou six poëtes, pour qui le temps aura du respect, et dans les ouvrages desquels on cherchera les débris de notre langue, si jamais elle vient à périr.

Un jour Molière soupoit avec Racine, Despréaux, La Fontaine et Descoteaux, fameux joueur de flûte. La Fontaine étoit ce jour-là, encore plus qu'à son ordinaire, plongé dans ses distractions. Racine et Despréaux, pour le tirer de sa léthargie, se mirent à le railler, et si vivement qu'à la fin Molière trouva que c'étoit passer les bornes. Au sortir de table il poussa Descoteaux dans l'embrasure d'une fenêtre, et lui parlant de l'abondance du cœur : « Nos beaux esprits, dit-il, ont beau se trémousser, ils n'effaceront pas le bonhomme. >>

Il me reste à dire un mot de sa conversion. Je m'en

fis instruire exactement, il y a quelques années, par le P. Pouget', qui en avoit été le ministre; et comme le récit qu'il me fit étoit chargé de circonstances que j'avois peur d'oublier, je l'engageai à se donner la peine de les mettre lui-même par écrit. J'avois gardé sa lettre pour la placer au bout de cet article ; mais à sa mort, ceux qui en trouvèrent la minute parmi ses papiers, la firent imprimer ailleurs 2: de sorte qu'aujourd'hui cette lettre ayant été vue de tout le monde, il me suffit d'en rappeler ici la substance.

On y voit que, sur la fin de l'année 1692, La Fontaine étant attaqué d'une grande maladie, le vicaire de la paroisse (c'étoit le P. Pouget lui-même) alla le visiter, et fit d'abord tomber le discours sur les preuves de la religion. Jamais La Fontaine n'avoit été impie par principes; mais il avoit vécu dans une prodigieuse indolence sur la religion, comme sur le reste : « Je me suis mis, dit-il au P. Pouget, depuis peu à lire le Nouveau Testament; je vous assure, ajouta-t-il, que c'est un fort bon livre; oui, par ma foi, c'est un bon livre; mais il y a un article sur lequel je ne suis pas rendu, c'est celui de l'éternité des peines : je ne comprends pas, dit-il, comment cette éternité peut s'accorder avec la bonté de Dieu. » Je ne rapporterai point les réponses du P. Pouget, ni tout ce qu'il fit durant plus de six semaines pour toucher le cœur de son pénitent. Telle fut, en un mot, l'impression de la grâce, que M. de La Fon

'Amable Pouget, prêtre de l'Oratoire, docteur de Sorbonne, auteur du Catéchisme de Montpellier, mort à Paris en 1723. (0.) 2 Dans les Mémoires de littérature et d'histoire, t. I. (0.)

taine en vint à se confesser généralement de toute sa vie, avec la componction la plus vive; que prêt à recevoir le saint viatique, il détesta ses contes, les larmes aux yeux, et fit amende honorable devant Messieurs de l'Académie, qu'il avoit priés de se rendre chez lui par députés, pour être témoins de ses dispositions présentes: protestant que, s'il revenoit en santé, il n'emploieroit son talent pour la poésie qu'à écrire sur des matières pieuses, et qu'il étoit résolu à passer le reste de sa vie, autant que ses forces le permettroient, dans l'exercice de la pénitence.

Une particularité dont le P. Pouget ne fait pas mention dans sa lettre, mais qu'il m'a contée et qui montre admirablement bien l'idée qu'on avoit de M. de La Fontaine, c'est que la garde qui étoit auprès de lui, voyant avec quel zèle on l'exhortoit à la pénitence, dit un jour au P. Pouget : « Eh! ne le tourmentez pas tant, il est plus bête que méchant; » et une autre fois : « Dieu n'aura jamais le courage de le damner. »

Je ne dois pas oublier que M. le duc de Bourgogne, le jour même qu'il apprit que La Fontaine avoit reçu le saint viatique, lui envoya une bourse de cinquante louis'. Il lui faisoit souvent de semblables gratifications, sans quoi apparemment La Fontaine se fût transplanté en Angleterre car Mme de La Sablière étant morte 2, il

1 Le duc de Bourgogne était bien jeune encore; mais il avait pour précepteur Fénelon, et Fénelon était un protecteur et un admirateur de La Fontaine.

2 Mme de La Sablière mourut aux Incurables, pendant la maladie de La Fontaine, le 8 janvier 1695. Depuis une dizaine

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