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croit que nous nous y prêtons, ce qui ne sert qu'a dégoûter de bons sujets.

« J'ai reçu de la campagne où M. l'abbé Gedoyn est mort un petit supplément à ce que j'avois déjà. »

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Paris, 29 novembre 1745. (Extrait.) « Parlons franchement; l'Académie ne peut rien sans un bon secrétaire; mais étant ce qu'elle est aujourd'hui, un bon secrétaire lui est inutile. Je n'y prends nulle part, Dieu merci, et il y a longtemps que je suis guéri d'un zèle dont vous avez pu voir encore quelque reste. Vale. »

PIÈCES JUSTIFICATIVES.

Les deux pièces qui suivent donnent, sur la visite de la reine Christine à l'Académie française ', des détails curieux, qu'il nous a paru important de conserver.

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RELATION DE LA VISITE DE LA REINE CHRISTINE

A L'ACADÉMIE FRANÇOISE 2.

Du lundi 11 mars 1658.

<< M. l'abbé de Bois-Robert ayant fait savoir le matin de ce jour à Mer le Chancelier que la reine Christine de Suède vouloit faire l'honneur à la Compagnie de se trouver à l'assemblée qui se devoit tenir l'après-dînée, M. le Directeur fit avertir ce qu'il put des académiciens pour s'y trouver. Sur les trois heures après-midi, Sa Majesté arriva chez Mer le Chancelier, qui la fut recevoir à son carrosse avec tous les Académiciens en corps; et, l'ayant conduite dans son antichambre au bout de la salle du Conseil, où étoit une table longue couverte du tapis de velours vert à franges d'or, qui sert lorsque le conseil des finances se tient, la reine de Suède se mit dans une chaise à bras au Lout de cette table, du côté des fenêtres; Mer le Chancelier à sa gauche, du côté de la cheminée, sur une chaise à dos et sans bras, laissant quelque espace vide entre Sa Majesté et lui ; M. le

1 Voy. ci-dessus, p. 8.
2 Mémoires de Conrart.

Directeur étant de l'autre côté de la table, vis-à-vis de Mer le Chancelier, mais un peu plus bas et plus éloigné de la table, debout, et tous les Académiciens aussi. Il lui fit un compliment qui ne contenoit qu'une excuse de ce que l'Académie, se trouvant surprise de l'honneur que Sa Majesté lui faisoit, sans en avoir eu avis que le matin, elle ne s'étoit pas préparée à lui témoigner sa joie et sa reconnoissance d'une si glorieuse faveur, selon le mérite de cette grâce et le devoir de la Compagnie ; que, si elle en eût eu le temps, elle auroit sans doute donné cette commission à quelqu'un plus capable que lui de s'en mieux acquitter; mais que, se trouvant chargé par l'avantage que la fortune lui avoit fait rencontrer de présider la Compagnie en une si heureuse rencontre, il étoit obligé de dire à Sa Majesté que l'Académie françoise n'avoit jamais reçu de plus grand honneur que celui qu'il lui plaisoit de lui faire. A quoi la Reine répondit qu'elle croyoit qu'on pardonneroit à la curiosité d'une fille qui avoit souhaité de se trouver en une compagnie de tant d'honnêtes gens, pour qui elle avoit toujours eu une estime et une affection particulières.

<< Ensuite, on proposa si les Académiciens seroient assis ou debout; ce qui sembla surprendre la Reine, qui s'attendoit qu'on ne seroit point assis. Mais, Mer le Chancelier ayant demandé avis sur cette difficulté, on lui dit que le roi Henri III, lorsqu'il faisoit faire des assemblées de gens de lettres au bois de Vincennes où il se trouvoit souvent, faisoit asseoir les assistants; qu'on en usoit toujours ainsi en pareilles rencontres ; et que la reine de Suède même, lorsqu'elle étoit à Rome, avoit été à l'Académie des Humoristes, qui ne s'étoient point tenus debout: si bien qu'il fut résolu que les Académiciens seroient assis, comme ils le furent durant toute la séance, sur des chaises à dos; mais Mar le Chancelier et eux tous toujours découverts. On fit d'excuse d'abord à Sa Majesté de ce que la Compagnie n'étoit pas plus nombreuse, parce qu'on n'avoit pas eu le temps de faire avertir tous les Académiciens de s'y trouver; que le secrétaire se trouvoit absent par son indisposition, et MM. Gombauld et Chapelain aussi, avec plusieurs autres. Elle demanda

qui étoit le secrétaire; on lui dit que c'étoit M. Conrart, duquel elle eut la bonté de parler obligeamment comme le connoissant de réputation, et de ces autres messieurs absents aussi, à qui elle donna de grandes louanges. Ensuite de cela, M. le Directeur lui dit que, si on avoit pu prévoir la visite de Sa Majesté, on auroit préparé quelque lecture pour la divertir agréablement; mais que, dans la surprise où se trouvoit la Compagnie, on se serviroit de ce que l'occasion pourroit fournir; et que, comme il avoit fait depuis peu un traité de la Douleur, qui doit entrer dans le troisième volume des Caractères des passions, qu'il étoit près de donner au public, si Sa Majesté lui commandoit de lui en lire quelque chose, il croyoit que ce seroit un sujet assez propre pour lui faire connoître la douleur de la Compagnie de ne se pouvoir pas mieux acquitter de ce qui étoit dû à une si grande Reine, et de ce qu'elle devoit être sitôt privée de sa vue par le prompt départ de Sa Majesté. Cette lecture étant achevée, à laquelle la Reine donna beaucoup d'attention, Mer le Chancelier demanda si quelqu'un avoit des vers pour entretenir Sa Majesté. Sur quoi M. Cotin en ayant récité quelques-uns du poëte Lucrèce, qu'il avoit mis en vers françois, la Reine témoigna y prendre grand plaisir. M. l'abbé de Bois-Robert récita aussi quelques madrigaux qu'il avoit faits depuis peu sur la maladie de Mine d'Olonne, et M. l'abbé Tallemant un sonnet sur la mort d'une dame. Après cela, M. de La Chambre demandant encore quelque chose, M. Pellisson lut une petite ode d'amour qu'il a faite à l'imitation de Catulle, et d'autres vers sur un saphir qu'il avoit perdu et qu'il retrouva depuis, qui plurent aussi extrêmement à Sa Majesté, à laquelle on lut un cahier entier du Dictionnaire contenant l'explication du mot de Jeu, pour lui faire connoître quelque chose du travail présent de la Compagnie; et, cela étant achevé, la Reine se leva et fut reconduite à son carrosse par Mer le Chancelier, suivi de tous les Académiciens, et Sa Majesté partit le lendemain de Paris pour s'en retourner à Fontainebleau, où elle ne coucha que deux nuits, après lesquelles elle se mit en chemin pour retourner en Italie.

« Le dessein de M le Chancelier étoit que l'Académie s'assemblåt dins la chambre de M. de Priézac, selon sa coutume; mais, parce que le haut du degré pour y entrer étoit un peu obscur et malaisé, il jugea qu'il valoit mieux que cette séance se tint en son appartement : ce qui fut plus convenable pour Sa Majesté et plus glorieux pour l'Académie.

• Quand on commença à lire le cahier du Dictionnaire, Mer le Chancelier dit à la reine de Suède qu'on alloit lire le mot de Jeu, lequel ne déplairoit pas à Sa Majesté, et que, sans doute, le mot de Mélancolie lui auroit été moins agréable. A quoi elle ne répondit rien.

« Dans la suite de cette lecture, cette façon de parler s'étant rencontrée : « Ce sont des jeux de princes qui ne plaisent qu'à ceux qui les font, la reine de Suède rougit et parut émue; mais, voyant qu'on avoit les yeux sur elle, elle s'efforça de rire, mais d'une manière qui faisoit connoitre que c'étoit plutôt un ris de dépit que de joie. »

II. — LETTRE A M. D'ABLANCOURT 1.

« Mais c'est assez parler de mes folies: il faut que je t'entretienne de la visite que la reine de Suède a faite à l'Académie, il y eut lundi dernier quinze jours. Tu sauras donc qu'on ne fut averti que vers les huit à neuf heures du matin du dessein de cette princesse, tellement que quelques-uns de nos Messieurs n'en purent avoir l'avis. Tu sais la grande salle qui est à main gauche de l'escalier, en entrant; au bout de cette salle, il y en a une autre qui est grande encore, mais non pas tant que la première : ce fut là qu'on la reçut. J'arrivai en ce lieu vers les quatre heures; j'y trouvai Mer le Chancelier qui parloit avec M. de Toulouse et M. de Meaux; j'y trouvai aussi sept ou huit de nos Messieurs. A quelque temps de là, les autres arrivèrent,

1 OEuvres diverses de Patru, 4 édition, 2 vol. in-4o, tome 11, page 512.

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