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et nous étions quinze ou seize en tout; car M. du Ryer ne put en être averti. M. Giry en fut averti trop tard, et étoit sorti quand l'avis lui fut apporté. MM. Chapelain et Conrart étoient indisposés; M. de Gombauld y vint sans être averti; mais aussitôt qu'il sut le dessein de la princesse, il s'en alla; car tu sauras qu'il est en colère contre elle de ce qu'ayant fait quelques vers où il a loué le grand Gustave, elle ne lui a point écrit, elle qui, comme tu sais, a écrit à cent impertinents. Le bonhomme, que tu connois, se fâcha de cela tout de bon, quoiqu'il soit vrai qu'elle ait demandé de ses nouvelles plusieurs fois à ses deux voyages de Paris. J'aurois bien plus de sujet de m'en plaindre; mais quand rois, reines, princes et princesses ne me feront que de ces maux-là, je ne m'en plaindrai jamais.

Mais, pour en revenir à notre sujet, la salle où on reçut la princesse est fort belle. Il y avoit au milieu une table tirée des deux bouts, couverte d'un tapis de velours bleu avec une grande crépine d'or et d'argent. Au bout d'en haut, il y avoit un fauteuil de velours noir avec un clinquant d'or large de quatre doigts, et, tout autour de la table, des chaises à dos de tapisserie. Mer le Chancelier oublia de faire mettre dans cette salle le portrait de la princesse qu'elle a donné à la Compagnie; car, à mon avis, cela ne se devoit point oublier. Sur les cinq heures un valet de pied de la princesse vint savoir si la Compagnie étoit assemblée; à un moment de là, un autre valet de pied, mais du Roi, vint dire à Mer le Chancelier que la reine de Suède étoit au bout de la rue; et, presque aussitôt, on vit son carrosse entrer dans la cour. Mer le Chancelier, suivi de la Compagnie, l'alla recevoir au carrosse; mais comme il y avoit grand monde dans la première salle, et même dans la cour, qui vouloit voir la princesse, je ne passai point le milieu de la première salle à cause de la presse, et il n'y en eut que deux ou trois d'entre nous qui purent suivre tellement que je ne te puis dire bien certainement ce qui se passa à cet abord. On m'a dit que Mer le Chancelier lui fit seulement un compliment à l'ordinaire. Ensuite, elle passa à travers la première salle, Mer le Chancelier à ses côtés, suivie de Mme de Bregis, de son capitaine des gardes,

de M. Bourdelot, et d'un autre homme que je ne connois point.

« D'abord qu'elle fut entrée dans le lieu où on la devoit recevoir, elle s'approcha du feu et parla à Mer le Chancelier assez bas; puis elle demanda pourquoi M. Ménage n'étoit pas là; et, sur ce qu'on lui dit qu'il n'étoit pas de la Compagnie, elle demanda pourquoi il n'en étoit pas. M. de Bois-Robert lui répondit, ce me semble, qu'il méritoit fort d'en être, mais qu'il s'en étoit rendu indigne. Ensuite, elle parla bas à Mer le Chancelier et lui demanda, à ce qu'on apprit depuis, de quelle sorte nous serions devant elle, ou assis ou debout. Mgr le Chancelier appela M. de La Mesnardière, qui, sur cette proposition, dit que, du temps de Ronsard, il se tint une assemblée de gens de lettres et de beaux esprits de ce temps-là, à Saint-Victor, où Charles IX alla plusieurs fois, et que tout le monde étoit assis devant lui; il n'ajouta pas qu'on étoit couvert, si ce n'est lorsqu'on parloit directement au Roi; mais on dit que cela est aiusi, et je ne me suis pas encore éclairci de cette histoire. Aussitôt la princesse, alla parler à M. Bourdelot, et, en passant, dit à Mme de Bregis qu'elle croyoit qu'il falloit qu'elle sortit. M. de Bois-Robert dit que Mme de Bregis, ayant l'honneur d'être de la compagnie de la princesse et ayant l'esprit qu'elle a, méritoit bien d'y assister. Aussitôt que la princesse eut dit un mot à M. Bourdelot, elle s'alla brusquement, à son ordinaire, asseoir dans son fauteuil; et, au même instant, sans qu'on nous l'ordonnât, nous nous assîmes; et la princesse, voyant qu'on étoit un peu éloigné de la table, nous dit que nous pouvions nous en approcher. On s'en approcha un peu ; mais on ne joignit pas la table, comme si on eût été là pour banqueter.

<«< J'oubliois à te dire que le bonhomme de Priézac, aussitôt qu'il sut que la Reine délibéroit si nous serions debout, s'en vint à moi, comme à un grand frondeur, et me dit ce qui se passoit; et, en me demandant ce que j'étois résolu de faire, ajouta que sa résolution étoit de sortir si elle vouloit qu'on fût debout devant elle. Je lui promis que je le suivrois, et que, s'il ne marchoit devant moi, je passerois le premier. Or, il étoit

entré force honnêtes gens dans le lieu; il y avoit presque tous les officiers du sceau, grands audienciers et autres, plusieurs secrétaires du Roi, quelques conseillers et maîtres des requêtes. Tous ces gens-là étoient debout devant nous, et même un peu éloignés de nous. Mer le Chancelier étoit à la gauche de la Reine, mais du côté du feu; vis-à-vis de lui, au côté droit de la princesse, mais du côté de la porte, le Directeur, qui est M. de La Chambre; ensuite, M. de Bois-Robert, moi, M. Pellisson, M. Cotin, M. l'abbé Tallemant, et ainsi ensuite. M. de Mézeray étoit au bas bout de la table, vis-à-vis de la princesse, avec l'écritoire, le papier, le cahier et le portefeuille de la Compagnie; et cela, comme représentant le secrétaire. Le tour des chaises, où nous étions assis, passoit derrière lui. Nous étions tous découverts, et Mer le Chancelier comme nous. Après que nous eûmes pris nos places, le Directeur se leva et nous avec lui; Mer le Chancelier demeura assis. Le Directeur fit son compliment, mais si bas, que personne ne l'entendit, car il étoit tout courbé il n'y avoit que la Princesse et Mer le Chancelier qui pussent l'entendre. Je ne doute point que le Directeur ne dit de fort bonnes choses, parce qu'il a tout l'esprit qu'il faut pour cela, et que la princesse même témoigna par ses gestes qu'elle en étoit satisfaite.

« Après le compliment fait, nous nous rassîmes; le Directeur dit qu'il avoit un Traité de la Douleur, pour ajouter à ses Ca1 ractères des passions, et que, si Sa Majesté l'avoit agréable, il lui en liroit le premier chapitre. « Fort volontiers, » dit-elle ; il le lut, et, après l'avoir lu, il dit à la princesse qu'il n'en liroit point davantage, de peur de l'ennuyer. « Point du tout, dit-elle ; car je m'imagine que le reste ressemble à ce que vous venez de lire.» Ensuite, M. de Mézeray dit que M. Cotin avoit quelques vers que Sa Majesté trouveroit sans doute fort beaux, et que, si elle l'avoit agréable, on les lui liroit: M. Cotin prit aussitôt ses vers et les lut. Ils étoient fort beaux : c'étoient deux traductions de deux endroits de Lucrèce: l'un où il attaque la Providence, l'autre où il décrit l'origine du monde, suivant l'opinion d'Épicure, par la rencontre des atomes; et, de sa fa

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çon, il y avoit une vingtaine de vers pour soutenir. la ́Providence. Ensuite M. l'abbé ***, sans être prié ni ordonné (dit plaisamment M. de Bois-Robert), se mit en place et lut deux sonnets qui ne valent pas grand'chose, mais qui passèrent pour bons: ces deux lurent leurs vers debout; mais nous étions tous assis, et tous les autres lurent assis. Ensuite on dit à M. de Bois-Robert qu'il eût à dire quelque chose : cela se faisoit assez bas par M☞ le Chancelier et par nous autres. Il dit à la Reine qu'il n'avoit rien de nouveau que ses madrigaux pour Mme d'Olonne, mais qu'il croyoit que Sa Majesté les avoit vus. «< Point du tout, dit-elle, et vous me ferez plaisir de les lire.» Ils les dit par cœur : ils sont jolis, et la Reine en témoigna grande satisfaction aussi bien que de tout ce qu'on avoit lu auparavant. Ensuite on demanda si M. Pellisson n'avoit rien. Il me dit : « J'ai bien quelque chose, mais je voudrois bien que M. de Bois-Robert le voulût lire.» Je le dis à M. de Bois-Robert; mais il me répondit : « Je le voudrois bien, mais je ne puis lire qu'avec des lunettes, et cela seroit ridicule.» Enfin, M. Pellisson les lut lui-même. C'étoient une traduction d'Amemus, mea Lesbia, de Catulle, et un madrigal tout cela fut trouvé fort joli.

« Ensuite le Directeur dit à la Reine que l'exercice ordinaire de la Compagnie étoit de travailler au Dictionnaire en attendant grammaire, rhétorique, etc.; que, si Sa Majesté l'avoit agréable, on lui en liroit un cahier. « Fort volontiers,» dit-elle. M. de Mézeray lut donc le mot de Jeu, où, entre autres façons proverbiales, il y avoit Jeux de princes qui ne plaisent qu'à ceux qui les font, pour dire une malignité ou une violence faite par quelqu'un qui est en puissance. Elle se mit à rire; on acheva le mot qui étoit au net, où, pourtant, il y avoit bien des choses à dire. Il eût été mieux de lire un mot à éplucher, et choisir quelque beau mot, parce que nous eussions tous parlé; mais on fut surpris, et les François le sont toujours. Cela fit aussi qu'il n'y eut pas beaucoup de pièces prêtes pour lire. Cela néanmoins se passa fort bien, et la Reine en témoigna grande satisfaction. Après que le mot de Jeu eut été lu, et après environ une heure de temps, la princesse, qui voyoit qu'il n'y avoit plus rien à

lire, se leva, fit une révérence à la Compagnie, et s'en alla comme elle étoit venue.

« J'oubliois à te dire, qu'après que le Directeur eut fait son compliment, la princesse se tourna vers Mme de Bregis, qui étoit debout derrière elle, et lui dit qu'elle s'assît. Mme de Bregis s'assit sur une chaise qu'on lui apporta et qui étoit semblable aux nôtres, et se mit un peu à côté derrière la princesse, et presque entre elle et Mer le Chancelier, afin de voir ce qui se passoit.

« Voilà au vrai ce qui s'est passé en cette célèbre rencontre, qui fait sans doute grand honneur à l'Académie : aussi, dit-on, que M. le duc d'Anjou parle d'y venir, et les zélés sont tout transportés de cette gloire.

<< Adieu, mon cher, je t'embrasse de tout mon cœur. »>

LETTRES PATENTES'

POUR L'ÉTABLISSEMENT DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES.

Les mêmes Lettres-Patentes furent données par le roi Louis XIV, en confirmation de l'établissement de l'Académie des Inscriptions et de l'Académie des Sciences. En voici le texte 2:

Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à tous présents et à venir, SALUT. « Le soin des Lettres et des Beaux-Arts ayant toujours contribué à la splendeur des États, le feu Roi, notre très-honoré seigneur et père, ordonna en 1635 l'établissement de l'Académie françoise, pour porter la langue, l'éloquence et la poésie, au point de perfection où elles sont enfin parvenues sous notre règne. Nous choisîmes en 1663, 1 Voyez ci-dessus, p. 11.

2 Hist. de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, p. 25.

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