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tend des transformations de l'amour. Elles fe rencontrent dans ces miférables Amans, que nous voyons en une même heure aimer & hair; fuïr & defirer; fe réjouir & s'attrifter; craindre & fe hazarder; fe mettre en colére fans fujet, & s'appaifer encore avec moins de raifon; en un mot, n'avoir jamais l'efprit en même affiere, non plus que le corps en même posture, ni le même air de vifage.

Ces changemens foudains ont fair croire à bien des gens, que cette maladie étoit produite par des breuvages enchantez, appellez philtres, a caufe de l'effet qu'on leur attribuë qui eft de faire aimer. Ils peuvent bien avoir la vertu d'allumer l'amour, comme il y en a qui l'amortiffent. Mais de le déterminer à une certaine perfonne, & de le rendre par ce moyen réciproque, quelle apparence! Ces breuvages ne peuvent agir fur la volonté, ni captiver fa liberté fous un objet particulier moins encore faire aimer une perfonne incon nue, puifque l'amour et un defir qui fuppofe la connoiffance; ce qui eft inconnu, échauffant auffi peu no tre appétit que ce qui n'eft point.

On allégue l'intervention du Démon, & on cite l'exemple de cette fille exorcifée pour ce fujet, par saint Hilarion, dont parle S. Jerôme en la vie de ce fameux Hermite. La fainteté ne conclut rien en matière de Philofophie, & l'on peut être homme. de bien, & mauvais Philofophe.

Vous ferai-je une enumération de ces philtres? Le détail vous épouvan-> teroit, tant le nombre en eft grand vous feroit rire, tant la plupart font ridicules; vous cauferoit de l'horreur, tant quelques-uns font fales, & foulevent la nature. Je me contenterai de vous dire que leur effet ordinaire, eft de bouleverfer la raifon; témoin ce qui arriva à l'Empereur Caligula à un Frederic d'Autriche, & au Poëte Lucrece, après qu'ils eurent été régalez de ces breuvages. Faut-il s'en étonner? L'amour eft le fond de la volonté, & ennemi de la contraintes de l'aveu même d'Olympias femme de Philippes de Macedoine. Le trait mérite d'être raporté.

Philippes aimoit une jeune fille qu'on accufoit de lui avoir donné des breuvages amoureux. La Reine ja-, loufe, & inquiéte la fait venir devant

elle; & ayant vû fa beauté, la reçût avec des careffes, & déclara qu'elle avoit ces philtres en elle-même.

Que fi ces dons du corps font accompagnez de ceux de l'efprit, & qu'avec cela, celui qui poffede les uns & les autres, témoigne fon amour à la perfonne qu'il aime, il eft impoffible qn'il ne foit auffi aimé d'elle; l'Amour étant le pere de l'Amour même, felon les Poëtes qui ont feint deux Amours, qu'ils ont nommez Eros, & Antéros. Ovide, le grand maître en amour, a renfermé cette maxime dans ces paroles; ut ame~ ris, amabilis efto.

Voulez-vous que je pouffe plus loin la matiere? j'y confens, & dis que l'amour est une chofe fpirituelle, qui doit être produite par des moyens de même natute; autrement ils n'opéreroient point fur notre ame, faute d'avoir de la proportion avec elle. La même Belle que fon Amant aura adorée, quoiqu'elle n'ait perdu aucune de fes graces, en fera haïe à caufe: de quelque raport qu'on lui en aura fait, & qui n'eft pas feulement incorporel, mais le plus fouvent controu vé, & imaginaire. Et de deux perfon

nes d'égale beauté, l'une eft aimée, l'autre ne l'eft point; preuve qui dément l'opinion commune, que l'amour est une playe agréable que le cœur de l'homme a reçûë d'un bel objet. D'où j'infere que ceux-là onr mieux rencontré en la recherche des moyens de fe faire aimer, qui y ont employé les flatteries, & les perfuafions. Ce font auffi les moyens les plus ordinaires, dont on fe fert pour ménager les mariages. Enfin la fureur amoureuse n'eft-elle pas un vice de de l'efprit? Je fuis. ...

XXIII. LETTRE.

AU MESME.

Si le mari a plus d'amour pour fa femme que la femme n'en a pour fon mari. MONSIEUR,

UN

N de nos Poëtes difoit, que pour n'aimer plus tant sa Maîtreffe, il la vouloit époufer. C'eft un fecret infaillible; on aime moins ce qu'on poffede; mais cela ne vuide pas la queftion. Qui fe laffe le plûtôt

d'aimer, ou qui aiine le plus, de l'homme, ou de la femme? Il faut faire diftinction entre l'amour, & l'amitié.

L'amour eft une paffion de l'appetit concupifcible qui fe porte au bien fenfible, conçû tel par l'imagination; & l'amitié, une vertu, qui porte notre volonté au bien honnête, conçû tel par l'entendement. Le premier eft fouvent contraire à l'autre. Car les paffions violentes troublent la raifon, & l'excès d'amour dégénete en jaloufie; au lieu que l'amitié ne peut avoir d'excès, & qu'elle mérite d'autant mieux le nom d'amitié, qu'elle eft extrême.

De ce que l'imagination de la femme eft fuperieure à fon entendement, il résulte qu'elle a plus d'amour, & moins d'amitié. Par une raifon oppofée le mari a au rebours plus d'amitié & moins d'amour. Ce qu'on remarque même à l'égard de leurs enfans, que les meres aiment avec plus de paffion, & de tendreffe; mais les peres plus folidement. Cette diverfité d'affection peur fervir de preuve à celle que nous établiffons entre le mari, & la femme."

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