» d'amaffer une forte de bien que le tems ne puiffe » vous ôter: tous les autres, dans la fuite des fie»cles, changeront mille & mille fois de maître; » mais les ouvrages de votre efprit ne cefferont » jamais d'être à vous, Je fais à qui je parle; je » connois la grandeur de votre courage, l'étendue » de votre génie : tâchez feulement d'avoir meil »leure opinion de vous; faites-vous juftice, & a les autres vous la feront. » Du Genre fublime. Le fublime eft à la véritable éloquence ce que l'enthousiasme eft à la bonne poéfie. Quand il ne s'agit que de peindre fimplement les objets ou de narrer, le poëte n'a pas befoin de fe livrer à fa veine; mais eft-il queftion d'échauffer le lecteur & de le tranfporter? il faut alors que le poëte s'anime lui-même, & qu'il cherche tout ce que fon art a de plus vif. Ainfi doit en user Forateur, proportion gardée, quand, après avoir inftruit suffisamment ses auditeurs, il fent qu'il convient de les intéreffer fortement à fon fujet; mais auffi comme l'enthoufiafme en poéfie a fa place affi gnée par le bon sens, & fixée par la nature du fujet, de même dans l'éloquence, le fublime doit être placé fagement, ne pas régner fans choix du bout d'une piece à l'autre, ni l'occuper exclufivement au genre fimple & au genre tempéré, Le genre fublime fera facile à reconnoître : 1o. Par la grandeur des idées. 2o. Par la nobleffe de l'expreffion. 3o. Par la véhémence des fentimens. La grandeur des idées fuppofe celle des objets, puifqu'elles n'en font que les images: plus les objets feront grands, & plus on aura droit d'attendre du peintre des couleurs nobles & magnifiques. Les couleurs, dans la main de Forateur, font les expreffions dont il ne faut pas confondre la grandeur avec l'affectation d'énon- cer les plus petites chofes d'une maniere gigantefque. Ce ne font pas toujours les grands mots qui expriment les plus grandes chofes. Cette enflure extérieure ne cache fouvent que du vide. Enfin les mouvemens vifs & animés qui tirent l'ame de fon affiette ordinaire, qui l'échauffent ou qui la tranfportent, font encore une marque genre fublime. Le fimple & le vrai l'éclairent, le beau lui plaît, le gracieux l'amufe, le fublime la ravit hors d'elle-même. du Le genre fublime eft donc celui où l'orateur parle convenablement pour émouvoir les paffions, en affortiffant la grandeur & la nobleffe des expreffions à celle des idées & des fentimens. Le morceau fuivant de J. J. Rouffeau réunit tous ces caracteres. << O Fabricius ! qu'eût penfé votre grande ame, » fi, pour votre malheur, rappelé à la vie, vous, euffiez vu la face pompeufe de cette Rome fauvée par votre bras, & que votre nom ref pectable avoit plus illuftrée que toutes fes con» quêtes? Dieux ! euffiez-vous dit: Que font de» venus ces toits de chaume & ces foyers ruftiques qu'habitoient jadis la modération & la » vertu? Quelle fplendeur funefte a fuccédé à » la fimplicité Romaine? Quel eft ce langage » étranger? Quelles font ces mœurs efféminées? » Que fignifient ces ftatues, ces tableaux, ces » édifices? Infenfés, qu'avez-vous fait ? Vous, » les maîtres des Nations, vous vous êtes rendus » les efclaves des hommes frivoles que vous avez vaincus! Ce font des rhéteurs qui vous gou» vernent! C'eft pour enrichir des architectes, des peintres, des ftatuaires & des hiftrions » que vous avez arrofé de votre fang la Grece » & l'Afie! Les dépouilles de Carthage font la proie d'un joueur de flûre! Romains, hârez» vous de renverfer ces amphithéâtres, brifez ces marbres, brûlez ces tableaux, chaffez ces efclaves qui vous fubjuguent, & dont les fu» neftes arts vous corrompent ; que d'autres » mains s'illuftrent par de vains talens : le feul » talent digne de Rome eft celui de conquérir le » monde, d'y faire régner la vertu. Quand Cyneas prit notre fénat pour une affemblée de Rois, » il ne fut ébloui ni par une pompe vaine, ni » par une élégance recherchée. Il n'y entendit point eette éloquence frivole, l'étude & le » charme des hommes futiles. Que vit donc Cyneas de fi majeftueux ? O citoyens ! il vit » un spectacle que ne donneront jamais vos ri» chesses ni tous vos arts, le plus beau spectacle » qui ait parụ fous le ciel, l'affemblée de deux » cents hommes vertueux, dignes de commander → à Rome & de gouverner la terre. » Du Genre tempéré. Le genre tempéré ou fleuri eft celui qui tient le milieu entre le genre fimple & le genre fublime. Moins véhément & moins rapide que le fecond,il eft plus abondant & plus orné que le premier. Plus occupé à flatter l'oreille que les deux autres, à le confidérer feul il feroit peu perfuafif; mais quand il entre en fociété avec eux, il contribue merveilleusement à la perfuafion, parce que fon but eft de plaire à l'imagination par les figures, les images, le brillant des pensées, & à l'oreille par l'harmonie du nombre & de la cadence. Dans les autres genres, l'art imite de plus près la nature & prend plus de foin à fe cacher; dans celui-ci il déguise moins fa marche; il étale fes richeffes avec une forte d'oftentation. On doit confidérer le genre tempéré comme deftiné principalement, mais non pas uniquement à plaire; puifque l'orateur ne doit plaire que pour mieux inftruire & toucher. La fin de chaque genre d'éloquence doit être relative à la fin de l'éloquence en général : s'il n'en étoit ainfi, l'art de parler feroit un art beaucoup plus frivole que la poéfie; car, quoique celle-ci faffe profeffion ouverte de plaire, elle n'atteint pas perfection, fi elle ne réunit l'utile à l'agréable. la Le genre tempéré admet tous les ornemens du ftyle; mais il faut qu'un jufte difcernement en regle le choix & la diftribution. Un difcours, quelqu'élégant qu'il foit, déplaît à la longue, fi tout y brille également & fans variété. On doit y femer les fleurs avec retenue comme des traits lumineux qu'on ne doit point réunir en masse, mais placer de diftance en distance pour éclairer & non pas pour éblouir. Ce qui ne doit être embelli que jufqu'à une certaine mefure, dit Fontenelle, eft fouvent ce qui coûte le plus à embellir. Un faifceau de fleurs demande moins d'art & de goût qu'un fimple bouquet. Les panegyriques, les oraifons funebres, les difcours, les éloges académiques, font dans le genre tempéré. La defcription du Temple de l'Amour taire, eft dans ce genre. « Sur les bords fortunés de l'antique Idalie, par Vol |