Imágenes de páginas
PDF
EPUB

dination rigide y eft obfervée. Le ftyle groffier du peuple, le ftyle poli des gens du monde, le ftyle exercé des Auteurs de profeffion, le ftyle des Cours, des capitales, des provinces, ont chacun leur rang féparé. Si quelquefois ils traitent ensemble, il eft rare qu'ils fe mêlent. Autant notre oreille eft charmée de l'alliance heureufe des mots, autant elle s'indigne de leur méfalliance. Elle ne pardonne gueres au génie. de fe trop familiarifer, à moins que ce ne foit pour braver un inftant la tyrannie de l'ufage, ou pour mieux imiter la chûte d'une grande chofe, à une petite, & l'élévation d'une petite à une grande. Ainfi Boffuet voulant peindre l'abaiffement des arts devenus les vils manœuvres du luxe, dit: Tous les arts fuent pour Jon fervice. Montefquieu de même, pour exprimer les progrès cachés, mais rapides de l'autorité, nous la repréfente avançant une main pour nous protéger, & bientôt nous accablant avec mille.

Le refpect qui augmente fans ceffe, en raison des diftances, releve infiniment dans une langue ancienne la valeur idéale des expreffions. L'éloi gnement alors fait difparoître les nuances véritables, & l'admiration diftribue à fon gré les nuances imaginaires. Grace à cette perspective fi favorable, les impropriétés du ftyle s'effacent, les afpérités s'adouciffent, & de grandes négli

gences

gences nous paroiffent quelquefois de grandes recherches. Le lointain arrondit les formes & embellit les ruines.

Des Synonymes de Style.

Il y a dans toutes les langues un affez grand nombre de mots qui, fans avoir à la rigueur une fignification identique, ne font cependant diftingués dans l'ufage que par leur plus ou moins," de nobleffe, qui les rend plus ou moins propres à tel ou tel genre d'écrire: c'eft ce que l'on nomme fynonymes de flyle, expreffion employée pár Mauvillon dans fon Traité général du ftyle, & qui nous paroît fort jufte.

Quelques exemples pris au hafard fuffiront pour montrer la néceffité de faire attention à ces mots, pour écrire du ftyle convenable au fujet que l'on traite.

Face eft du ftyle fublime cu relevé, quand on parle de Dieu, & du ftyle burlesque quand on parle des hommes. Vifage eft du ftyle médiocre, & phyfionomie, dans le fens de vifage, eft du ftyle très-familier, de même que figure & minois; mais ce dernier ne fe dit jamais en mauvaise part.

Demeure eft du ftyle noble; habitation eft du médiocre, & manoir eft du comique, excepté pourtant dans les livres de jurifprudence.

G

Beaucoup eft de tout ftyle en profe & en vers; force ne fe dit qu'en profe, & quelquefois dans la poéfie burlesque; mais à force eft noble.

Et je veux le punir à force de vertus.

Citoyen Romain eft un terme très-noble; bourgeois de Rome eft un terme burlefque, quand on parle des anciens Romains. Le traducteur de la Pharfale en vers burlesques, n'a pas manqué de dire:

Je chante deux Bourgeois de Rome.

ce qui fait contrafle avec les grands noms de Pompée & de Céfar.

Fantôme & Spectre font du ftyle noble; revenant eft du médiocre. Lutin & farfadet font du comique.

Mort eft de tout flyle; décès eft du style ordinaire & de celui du Palais; & trépas eft un mot poétique, quoique trépaffé foit, comme défunt, de la profe la plus commune.

De la fimplicité du Style.

La fimplicité du ftyle confifte dans une maniere de s'exprimer naturelle & précise. Ceux-là parlent fimplement, qui expriment leurs pensées dans le même ordre & dans la même étendue

qu'elles font dans leur efprit. Notre langue eft ennemie des tranfpofitions, fi fréquentes dans le latin elle veut qu'on parle & qu'on écrive. comme on penfe; & l'on penfe fagement, quand, dans le tableau des idées, on fait d'abord marcher celles dont la lumiere fert à faire découvrir les idées fuivantes. On doit obferver le même ordre dans les expreffions, pour que les mots réveillent les idées l'une après l'autre, felon qu'elles fe fuivent dans l'efprit. C'eft par cet arrangement des termes que les excellens Ecrivains fe diftinguent de la foule.

[ocr errors][merged small][merged small]

Comme les hommes aiment en général le brillant & l'extraordinaire, leur flyle eft plus fouvent obfcur & guindé, que fimple & naturel : auffi eft-il beaucoup moins aifé qu'on ne penfe de dire les chofes, & fur-tout les chofes fimples comme elles font. Ce n'eft pas que le ftyle d'un difcours ou de tout autre ouvrage doive être femblable à celui qu'on emploie dans la converfation. Le flyle fimple n'eft ni bas, ni ramıpant, ni familier; il s'accorde très-bien avec la nobleffe & une certaine dignité, il exclut feulement les expreffions recherchées, les tours

[ocr errors]

pompeux & finguliers, les penfées & les images trop brillantes. Un exemple fera mieux fentir cette vérité.

» Riches, foyez humains, tendres & généreux;

» Quel bien vaut le bonheur de rendre un homme heureux? » C'est le plaifir du jufte, & c'eft le digne ufage » Des fragiles tréfors qu'il reçut en partage.

» Il profpere, il jouit des bienfaits qu'il répand.

M. La FRANC.

Les expreffions de ces vers font fimples; mais l'ufage que le poëte en fait, leur prête une nobleffe & une grace naturelle.

L'affectation eft opposée à la fimplicité & au naturel. Ce défaut confifte à dire, en termes recherchés, & quelquefois ridiculement choifis, des chofes triviales ou communes. C'eft à la propriété des termes qu'on reconnoît le vrai talent d'écrire, & non à l'art futile & de mauvais goût de faire paroître les chofes plus ingénieuses qu'elles ne font. Les Auteurs qui chargent leurs écrits de grands mots, de métaphores & de périphrases, peuvent être comparés à ces hommes décharnés qui, pour cacher leur maigreur, entaffent plufieurs vêtemens les uns fur les autres. Rien n'annonce davantage la maigreur du génie que l'emphafe & l'affectation.

[ocr errors]

Une langue vient à fe corrompre, dit M. de R.,

« AnteriorContinuar »