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I. Si celui qui a accepté une Lettre de Change fans avoir provifion, ni fans rien devoir au tireur, mais feulement pour lui faire plaifir, peut alleguer la fin de non-recevoir contre le porteur, faute de l'avoir fait protefter dans le tems de l'Ordonnance? II. Si cet accepteur ayant payé au même porteur la premiere, peut trois ans & demi après l'échéance, oppofer la fin de non-recevoir au porteur, à cause qu'il en a reçû les interêts du tireur?

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L

E 15 Septembre 1676, Jacques de Paris tire une lettre de change de la fomme de 15000 livres fur Guiton de la Ville de Bordeaux, payable à douze ufances au fieur Mathurin de la même Ville, valeur reçûe dudit fieur en deniers comptans; Guiton a accepté cette lettre pour la payer en fon tems.

Jacques tire encore depuis ledit jour 15 Septembre 1676, en divers tems pour plus de 35000 livres de lettres de change fur ledit Guiton, payables audit Mathurin qu'il a acceptées, & particuliérement une de pareille fomme de 15000 livres payable à huit jours de vûe, ledit Guiton a payé les 35000 livres de lettres à Mathieu au tems de leur échéance, & a toujours laiffé en arriere la lettre de 15000 livres, tirée ledit jour 15 Septembre 1676, fans en demander le payement audit

Guiton.

Il faut remarquer que ledit Guiton n'a accepté ladite lettre que pour faire plaifir audit Jacques, & qu'il ne lui a jamais fait tenir de provifion pour acquiter ladite lettre; au contraire ledit Jacques lui doit préfentement plus de trente-cinq mille

livres.

Jacques a fait faillite, & Guiton a appris qu'il avoit payé à Mathurin les inte¬ rêts par chacun an des 15000 livres contenues en ladite lettre depuis l'échéance d'icelle jufqu'au mois de Mai dernier, ainfi qu'il eft juftifié par un compte double qu'ils ont arrêté ensemble.

Depuis l'échéance de ladite lettre, qui étoit au 15 Septembre 1677, Mathurin ne l'a point fait protester fur Guiton, & ne lui en a jamais demandé le payement ni verbalement ni par aucun Acte judiciaire, ayant reçû dudit Guiton, ainfi qu'il vient d'ètre dit, le payement de plufieurs lettres de change tirées à fon profit par ledit Jacques poftérieurement à la lettre en question; & après que Jacques a fait faillire, Mathurin veut revenir fur Guiton, pour lui faire payer les 15000 livres mentionnées en ladite lettre de change.

On demande fi Mathurin peut revenir fur Guiton après trois ans & demi de tems depuis l'échéance de la lettre en queftion, fans l'avoir fait protefter fur lui, ni fans lui en avoir demandé le payement ni yerbalement ni par aucun Acte judiciaire; au contraire il s'eft accommodé avec Jacques le tireur, lequel lui a payé

ledit intérêt de 15000 livres contenues en icelle lettre d'année en année, & filedit Mathurin n'eft pas non-recevable en fon action?

Le fouffigné qui a pris lecture du présent Mémoire, estime, que Guiton par fon acceptation de la lettre de change en question, s'eft rendu débiteur envers Mathurin de la fomme de 15000 livres mentionnée en icelle, quoiqu'il ne fût point débiteur de Jacques le tireur, ni qu'il ne lui en eût point fait tenir de provision à fon échéance; vû qu'il eft inutile à Guiton de dire que Mathurin a été trois ans & demi fans faire protefter ladite lettre fur lui, & fans lui en avoir demandé le payement verbalement ni par aucun Acte judiciaire, parce que le protest faute de payement que Mathurin étoit obligé de faire dix jours après celui de l'échéance de la lettre fuivant le IVe Article du Titre V. de l'Ordonnance du mois de Mars 1673, ne devoit être que pour retourner fur Jacques, pour lui demander le remboursement de la lettre; & pour ne l'avoir pas fait, , Jacques lui peut alleguer à préfent la fin de non-recevoir. Mais Guiton ne la peut alleguer contre Mathurin, parce qu'il a cinq ans pour faire la demande, & pour intenter fon action en Juftice contre lui, à compter du lendemain de l'échéance de la lettre, après quoi Mathurin n'y feroit plus recevable, parce que la lettre eft prefcrite après cinq ans de ceffation de demande & pourfuite, fuivant l'Article XXI. dudit Titre V. de l'Ordonnance ci-deffus alleguée. Or Mathurin eft encore dans le tems d'intenter son action. C'eft pourquoi Guiton ne peut pas alleguer la fin de non-recevoir, prétexte que Mathurin n'a point fait protefter la lettre en queftion dans les dix jours de faveur, parce que le proteft regarde feulement le tireur, & non l'accepteur, ainfi qu'il a été dit ci-deffus, & il ne peut non plus alleguer la prefcription, puifque Mathurin eft encore dans les cinq ans portés par l'Ordonnance; il n'y a point de queftion à cela.

fous

Mais toute la queftion eft de fçavoir, fi Mathurin qui a reçu plufieurs lettres de change de Guiton, tirées à fon profit par Jacques fur ledit Guiton, après l'échéance de ladite lettre de change en queftion, parmi lesquelles il y en avoit une de 15000 livres, payable à huit jours de vûe, qu'il a laiffé en arriere fans en demander le payement, préférant les dernieres lettres à la premiere; & ayant fait payer à Jacques pendant trois ans & demi les intérêts de la fomme de 15000 livres mentionnée en la lettre en queftion: Si Mathurin, dis-je, n'a point innové & s'il a pris pour fon débiteur Jacques le tireur, qui avoit reçu fon argent pour la valeur de fa lettre, & s'il a quitté & abandonné fa créance fur Guiton, qui lui étoit acquife au moyen de l'acceptation qu'il avoit faite de ladite lettre ? Cette queftion mérite bien d'être examinée; elle eft rarement agitée parmi les Banquiers & Négocians, & fa décifion eft de grande conféquence pour le Public, tant pour les porteurs de lettres, que pour les accepteurs.

Pour bien décider cette question, il faut obferver que le Change est une vendition d'argent, de forte que Jacques qui a tiré la lettre de 15000 livres en queftion, a vendu à Mathurin pareille fomme, qu'il avoit à Bordeaux, entre les mains de Guiton, fur lequel il l'a tirée, ou qu'il lui devoit fournir dans le tems de l'échéance; & au moyen des 15000 livres que Jacques le tireur a reçûes de Mathurin pour la valeur de la lettre, ledit Mathurin a été fubrogé en fon lieu & place envers Guiton, au moyen de la vente qu'il lui a faite de cette fomme à prendre fur lui. Ainfi Jacques n'avoit plus rien à la chofe, & Mathurin ne pouvoit retourner fur Jacques qu'en recours de garantie, en cas que Guiton n'acceptât pas la lettre, Tome II. D'd

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& qu'il ne la payât pas à fon échéance. Or dès le moment que Guiton a eu accepté la lettre en question, il s'eft conftitué débiteur envers Mathurin de ladite fomme de 15000 livres, comme il a déja été dit ci-deffus, & il eft devenu Créancier de Jacques de ladite fomme, foit qu'il fût fon débiteur lors de l'acceptation de ladite lettre, foit qu'il ne le fût pas; car fuppofé qu'il eût été fon débiteur en payant Mathurin la fomme de 15000 livres mentionnée en la lettre en queftion qu'il devoit à Jacques, elle a pû être compenfée dès le moment du payement; & quoique Guiton ne fût point débiteur de Jacques, au moment qu'il a accepté la lettre, ainsi qu'il paroît dans le Mémoire ci-dessus, il n'a pas laiffé de devenir fon Créancier, parce que s'étant conftitué débiteur pour lui envers Mathurin de la fomme de 15000 livres qu'il lui avoit vendue, à prendre fur lui en la Ville de Bordeaux, il est vrai de dire que s'il avoit payé & acquitté ladite lettre de 15000 livres à Mathurin, il auroit eu une action contre Jacques pour se faire rembourfer & payer de ladite fomme de 15000 livres.

Préfuppofé tout ce qui vient d'être dit véritable, comme il l'eft en effet, au moyen de l'acceptation, qu'a fait Guiton de la lettre en queftion, il eft devenu feul & unique débiteur de Mathurin, tant qu'il ne l'a point fait protefter fur lui faute de payement; & en vertu du proteft d'icelle lettre, il pouvoit feulement retourner fur Jacques en recours de garantie, fans lequel il n'avoit aucune action contre lui. Néanmoins Mathurin de fon propre mouvement & fans aucun titre récurfoire a retourné fur Jacques, auquel il a donné volontairement terme & délai de trois ans & demi après l'échéance de la lettre en question, pendant lequel tems il lui a fait payer les intérêts defdites 15000 livres mentionnées en la lettre. Après cela on peut dire, & avec raifon, que Mathurin a renoncé à l'obligation qu'il avoit fur Guiton, au moyen de l'acceptation qu'il avoit faite à fon profit de la lettre de change en queftion, & qu'il l'a abandonnée pour reprendre ladite fomme de 15000 livres fur Jacques fon vendeur, puifqu'il lui en a fait payer les intérêts pendant trois ans & demi: de forte que le Contrat de Change qui a été fait entre ledit Mathurin & Jacques, le 15 Septembre 1676 eft devenu caduc comme

non avenu.

La preuve de ce fait réfulte de toutes les lettres de change qui ont été tirées depuis l'échéance de la lettre en queftion par Jacques, au profit de Mathurin fur Guiton, & particuliérement celle de 15000 livres, payable à huit jours de vûe, & qu'il a reçûe dudit Guiton, fans faire aucune réserve par les endoffemens ou quittances qu'il a mis au dos defdites lettres de change. Ainfi cette conduite de Mathurin montre évidemment qu'il a abandonné l'obligation qu'il avoit contre Guiton, en conféquence de fon acceptation, pour reprendre pour fon feul & unique débiteur Jacques fon vendeur; ainfi plus d'action contre

Guiton.

. En effet, quelle raifon y auroit-il que Mathurin attendît trois ans & demi pour le faire payer par ledit Guiton de la fomme de 15000 liv. & de laiffer cette fomme en arriere pour recevoir de lui d'autres lettres qui avoient été tirées après l'échéance de la lettre en question? Et Guiton n'a-t-il pas eu jufte raison de croire que Mathurin avoit rendu la lettre en queftion à Jacques, & qu'il en étoit forti avec lui en rencontre d'affaires, parce qu'ils avoient toujours correfpondance enfemble.

Mais quels abus ne fe commettroient point dans le Commerce des lettres de

&

change, fi la prétention de Mathurin avoit lieu? Ne tiendroit-il qu'aux porteurs de lettres qui auroient été acceptées, de prendre les intérêts de ceux qui les auroient tirées des fommes mentionnées en icelles pendant cinq ans, fans faire aucunes fommations ni protefts aux accepteurs, & même en pourroient faire faire de faux pour interrompre la prescription, & ainfi continuer de cinq ans en cinq ans, qu au bout de vingt ans les tireurs vinffent à faire faillite? Ne tiendroit-il, dis-je, qu'aux porteurs de lettres de pourfuivre les accepteurs au payement des fommes mentionnées en icelles? Et où feroit l'état des familles, fi ces abus étoient tolerés ? En effet, les accepteurs auroient foldé toutes les affaires qu'ils ont eues avec les tireurs leurs Correfpondans, & il y auroit des lettres acceptées qui ne feroient point paffées dans lefdits comptes, fur ce que des tireurs de mauvaise foi, & qui s'entendroient avec les porteurs d'icelles, qui feront auffi de mauvaise foi, prendront le prétexte de dire qu'ils ont retiré lefdites lettres, qu'ils ne les peuvent rendre, , parce qu'ils les auront perdues; & après vingt ans, comme il vient d'être dit, ces porteurs de lettres de mauvaise foi viendront en demander le payement aux femmes & enfans ou héritiers des accepteurs décédés. Si cela étoit toleré, on ne verroit que des procès, du défordre, & de la confufion, & fouvent cela cauferoit l'entiere ruine des familles.

Il est arrivé une pareille queftion en la Jurifdiction Confulaire de Paris en 1662 à un nommé Ferret, qui demandoit à un nommé Pidou, auquel ledit Ferret auroit fait demande de deux fommes confi lérables contenues en deux lettres de change qu'il avoit endoffées après vingt ans, fans en avoir demandé le payement. Pidou en fut déchargé par Sentence des Juge & Confuls; & c'eft ce différend qui a donné lieu au Réglement de 1664. Voyez dans le Recueil contenant l'Edit du Roi, fur l'établissement de la Jurifdiction Confulaire, imprimé chez Sebaftien Cramoifi, au fol. 375.

Il faut remarquer que tous ces abus ne fe commettent que par des Banquiers & Négocians ufuriers, qui non-feulement font payer des intérêts à dix ou douze pour cent par an aux tireurs de lettres, mais encore fe fervent de ce moyen pour plus grande sûreté de leur dû, penfant avoir deux débiteurs pour un.

Par toutes les raisons ci-dessus déduites, le fouffigné estime que Mathurin eft nonrecevable en fon action contre Guiton, & qu'il doit être déchargé de fon acceptation, fauf audit Mathurin fon recours contre Jacques le tireur, la foi duquel il a fuivi.

Déliberé à Paris le zo Juillet 1681.

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2.

"

PARERE XXVII I.

Si un mineur qui eft Commis-Caiffier d'un Receveur des Tailles, eft capable de tirer des Lettres de Change fur fon Maitre, & s'il peut s'en faire reftituer par Lettres de refcifion? LE FAI T.

Acques, demeurant à Paris, Receveur des Tailles d'une Election & d'une Généralité, qui avoit moitié en la Charge de Receveur Général des Finances de ladite Généralité, prend François fon frere pour fon Commis-Caiffier, qui pouvoit avoir environ vingt-deux ans. Quelque tems après être entré dans fon fervice, Jacques fait tirer fur lui par François plufieurs lettres de change, qu'il datte d'une Ville de Province, quoiqu'il demeurât à Paris chez fondit frere, payables à Pierre ou à fon ordre, qui avoit moitié en la Charge de Receveur Général des Finances, & fous le nom duquel fe faifoit l'exercice. Jacques auroit accepté lesdites lettres de change, & Pierre auroit mis fes ordres au dos d'icelles en faveur de ceux aufquels un Courtier de Change les auroit négociées.

François rend compte à Jacques fon frere du maniment de fa caiffe; & comme il n'avoit tiré lesdites lettres que par le commandement qu'il lui en avoit fait, & qu'il les négocioit lui-même fous les ordres de Pierre, & en recevoit l'argent, ledit Jacques auroit fait un Acte paffé pardevant Notaire, par lequel il reconnoît que ce n'étoit qu'à fa priere & requête que François avoit tiré lefdites lettres de change fur lui; payables audit Pierre, qu'il en avoit reçu la valeur de ceux à qui elles avoient été négociées, lefquelles lettres il promet payer à l'échéance, & l'en acquitter, garantir,. & indemnifer.

Depuis ce compte rendu & l'Acte d'indemnité ci-deffus paffé, Jacques qui avoit accepté lesdites lettres, & Pierre qui avoit mis les ordres fur icelles, ont fait faillite; de forte que les porteurs reviennent aujourd'hui en garantie fur François qui les a tirées, & lui en demandent le payement.

François dit pour défenfes; premiérement, qu'encore que lesdites lettres de change foient dattées de la Ville d'une Province, néanmoins il les a tirées de Paris fur Jacques fon frere, duquel il étoit Commis-Caiffier; que ce n'étoit que pour lui faire plaifir, & qu'il n'en a jamais reçû aucune valeur de Pierre, en faveur duquel il les a tirées. Secondement, qu'il eft mineur, qu'ainfi il n'a pas pû tirer lefdites lettres de change, ni s'engager à la garantie d'icelles, en cas qu'elles fuffent proteftées fur Jacques faute de payement. De forte que par ces deux raifons il prétend qu'il peut fe faife reftituer par lettres, aufquelles il fera bien

fondé.

Les porteurs defdites lettres prétendent au contraire, premiérement, que ce n'est point à eux à entrer en connoiffance fi François a reçu la valeur defdites lettres de change de Pierre; qu'il fuffit qu'il les ait tirées pour l'en rendre garant. Secondement, que la minorité alleguée par François n'eft de nulle confidération

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