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PARERE XXXIV.

I. Si une Marchande publique de Paris eft obligée d'accepter & de payer une Lettre de Change tirée fur elle par fon mari qui n'eft point Marchand, pour valeur en marchandifes achetées d'un Marchand, fans qu'elle ait donné ordre au tireur de vendre & livrer fes marchandises à fon mari ?

II. Si le mari qui n'eft pas Marchand, peut obliger fa femme Marchande publique au payement du prix des marchandifes qu'il achete fans pouvoir, & fans envoyer ces marchandifes à fa femme?

III. Si le mari de cette Marchande publique, commune en biens avec lui, peut difpofer, fans le confentement de fa femme, de toutes les marchandifes étant dans fa boutique; & fi les Créanciers du mari les peuvent faire faifir au préjudice des Créan ciers de la femme, qui lui ont vendu les marchandifes?

C

MÉMOIRE POUR CONSULTER.

LE FAI T.

Laude, Huiffier à Cheval, eft marié avec Louife, Marchande Lingere à Paris. Etant à Rouen, il achete de Pierre, Marchand de ladite Ville, pour 500 livres de toiles, pour laquelle fomme il tire une lettre de change fur Louise fa femme, payable audit Pierre, ou à fon ordre, dans trois mois.

François, au profit duquel l'ordre eft paffé fur la lettre par Pierre, préfente la lettre à Louife pour l'accepter, & fur fon refus la fait protefter faute d'acceptation, à l'échéance il la fait protefter faute de payement, & fait donner affignation en la Jurifdiction Confulaire à Louife, pour fe voir condamner au payement des soo liv. mentionnées en ladite lettre de change.

Louife pour défenfes dit, que n'ayant point accepté la lettre de change en queftion, elle n'eft point obligée envers François porteur d'icelle, ni envers Pierre, au profit duquel Claude fon mari l'a tirée, & qu'ainfi elle doit être renvoyée quitte & abfoute de la demande à elle faite par François, fauf à fe pourvoir contre Claude fon mari, fi bon lui femble.

François pour réponfes dit, que la lettre en queftion portant valeur reçue en marchandifes, que Claude avoit achetées de Pierre, qui eft un Marchand de toiles de la Ville de Rouen, duquel Louife a accoutumé d'acheter des toiles pour fon commerce, fon mari lui ayant envoyé les toiles qui font la valeur de ladite lettre, elle eft renue & obligée au payement des 500 livres mentionnées en icelle, comme étant une Marchande publique.

Louife pour répliques dit, qu'elle n'a point donné charge à Claude fon mari d'acheter de Pierre les toiles que François prétend être la valeur de la lettre en queftion; qu'il ne les lui a point envoyées, & qu'elle ne les a point reçues, & par

Conféquent qu'elle n'eft point tenue ni obligée à la dette des soo liv. contractée par 500 Claude fon mari.

On demande avis fur trois chofes. La premiere, Pierre, Marchand de la Ville de Rouen, qui a accoutumé de vendre des toiles à Louife, Marchande Lingere à Paris, ayant vendu à Claude fon mari en ladite Ville de Rouen pour 500 livres de toiles, pour laquelle fomme il a tiré fur elle la lettre de change en queftion, ladite Louise n'eft pas tenue d'accepter & payer ladite lettre de change comme fi ledit Pierre avoit vendu à elle-même lefdites toiles ?

La feconde, foit que Claude ait envoyé à Louise fa femme, ou qu'il ne lui ait point envoyé les toiles, qui font la valeur de la lettre en queftion, s'il ne l'a pas obligée au payement des soo livres mentionnées en icelle, comme étant une Marchande publique ? Et comme telle, fi elle n'est pas tenue des faits & promesses de fondit mari, pour tout ce qui regarde fon commerce de Lingerie, de même qu'elle feroit des faits & promeffes d'une fille fervant à fa boutique qui auroit acheté lefdites toiles, pour la valeur defquelles cette fille auroit tiré fur elle la lettre de change en question?

La troifiéme, fi Claude & Louise étant en communauté de biens, Claude ne peut pas difpofer de toutes les marchandifes de toiles & de Lingerie qui font dans la boutique de Louise fa femme ? Et fi fes créanciers ne peuvent pas les faire faifir pour les dettes par lui contractées ?

Le fouffigné qui a pris lecture du préfent Mémoire, eftime:

Sur la premiere Question.

Que les marchandifes de toiles- vendues par Pierre à Claude, ne font pas cenfées avoir été vendues à Louise fa femme, quoiqu'il ait accoutumé de lui vendre des toiles. La raifon eft, que Louife eft une Marchande publique, qui fait un commerce féparé de celui de Claude fon mari, qui eft un Huiffier à Cheval, lequel n'a aucune autorité ni puiffance de lui-même d'acheter des marchandises pour fa femme, qui n'a rien de commun avec la profeffion dudit Claude. De forte que pour que lesdites marchandises de toiles achetées par Claude de Pierre, puffent être cenfées appartenir à Louise fa femme, il faudroit qu'il les eût achetées de Pierre, en vertu d'une Procuration de Louife, qui lui eût donné pouvoir d'acheter lesdites marchandises de toiles; ou bien en vertu d'une lettre miflive qu'elle lui eût écrite, par laquelle elle lui eût mandé de lui vendre & livrer lefdites marchandifes pour elle. Autrement & à faute de ce, lefdites marchandifes font cenfées avoir été achetées pour le compte particulier de Claude, & non pour celui de Louise fa femme; ainfi il n'a pû tirer fur elle la lettre de change en queftion, & Pierre doit s'adreffer, fi bon lui femble, à Claude fon mari, la foi duquel il a fuivi, & conféquemment celle de Louife fa femme.

Sur la feconde Question.

Que Claude n'a pu obliger Louife fa femme envers Pierre au payement des 500 livres mentionnées en la lettre de change en queftion, pour l'achat des marchandifes de toiles qu'il a fait de lui. La raifon eft que Louise eft une Marchande publique, qui fait le commerce de la marchandise de Lingerie, féparé de la profeffion

ayant

de fon mari, qui eft un Huiffier à Cheval, lequel ne peut être confidéré que comme Commiffionnaire de Louise fa femme, & en cette qualité il n'a pû faire ledit achat qu'en vertu de fa procuration, ou d'une lettre miffive qu'elle auroit écrite à Pierre. De forte acheté de Pierre les toiles en queftion fans aucun pouClaude que voir de Louise fa femme, elles demeurent pour fon compte & non pour le fien, & par conféquent Louise n'eft point tenue envers Pierre des faits & promeffes de fon mari. Il en feroit de même de la fille fervant à la boutique de Louise, fi elle avoit acheté lesdites marchandises de toiles de Pierre fans fa Procuration, ou d'une lettre miffive qu'elle lui auroit écrite, par laquelle elle lui auroit mandé de vendre & livrer lefdites toiles à ladite fille fervant à fa boutique.

Néanmoins il en feroit autrement, fi Claude eût envoyé les marchandises de toiles à Louise fa femme, qu'elle les eût reçu en fa maison ou boutique, & qu'elle eût commencé à les vendre & débiter; car en ce cas elle auroit fait une action de propriétaire defdites toiles, qui approuveroit l'achat qu'en auroit fait fondit mari; & par conféquent elle feroit tenue de fes faits & promeffes pour la lettre de change qu'il a tirée fur elle, laquelle elle auroit été tenue d'accepter & payer à

fon échéance.

Mais fuppofé auffi que Louise eût reçu lesdites marchandises de toiles, & qu'elles euffent demeuré dans fa boutique jufqu'au jour que la lettre en queftion lui a été préfentée pour l'accepter, fans en avoir vendu, il eût été à fon option d'accepter ou de ne pas accepter l'achat que Claude fon mari auroit fait d'icelles toiles, & de dire pour réponse au proteft qui lui a été fait à la requête de François, porteur de la lettre, qu'elle ne pouvoit l'accepter, attendu qu'elle n'avoit point donné ordre ni pouvoir à Claude fon mari d'acheter, ni de lui envoyer lefdites toiles, qui font la valeur, d'icelle lettre, lefquelles elle étoit prête de lui remettre entre les mains, pour en faire & difpofer comme bon lui auroit femblé, & de cette ma niere Louife fe fût tirée d'affaire,

Sur la troifiéme Queftion.

Quoique cette Question foit plus de la profeffion d'un Avocat & d'un Jurifconfulte, que d'un Négociant, néanmoins le fouffigné ne laiffera pas d'en dire fon avis. Il ne croit pas que cette queftion ait été encore agitée jufqu'à préfent, ni qu'il y ait eu de Sentence ni d'Arrêts qui l'ayent décidée, du moins il n'en a jamais entendu parler aux anciens Marchands & Négocians. De forte qu'il eftime que cette queftion doit être décidée par le bon fens & la droite raifon, qui eft la regle de toutes les loix, & fur quoi elles font fondées, & non par le droit commun; parce que fi on la décide par le droit commun, il n'y a pas de doute, que quand le mari & la femme font communs en biens, fuivant le 225o Article dú Titre X. de la Coutume de Paris, le mari eft le feigneur & le maître des meubles; en telle forte qu'il les peut vendre, & en faire & difpofer à fon plaifir fans le confentement de fa femme. Ainfi fuivant cette difpofition de la Coutume de Paris, Claude pouvant vendre & difpofer des meubles de la communauté de lui & de Louise fa femme fans fon confentement, fes créanciers qui exercent fes droits & actions peuvent faire faifir & vendre pour les dettes par lui contractées les marchandifes de toiles & de Lingerie qui font dans la boutique de ladite Louife, parce que lesdites toiles & lingerie font effets mobiliaires.

Quoique

Quoique par le droit commun le mari foit le feigneur & le maître des effets mobiliaires de la communauté de lui & de fa femme, & qu'il en puiffe difposer à sa volonté fans le confentement de fadite femme, néanmoins le fouffigné eftime que cela se doit entendre à l'égard des Marchands & Négocians, dont les femmes ne font point d'autre commerce que celui de leur mari; parce qu'encore que la femme d'un Marchand ou d'un Négociant vende & débite en détail ou en gros les marchandises qui font dans la boutique ou le magafin de fon mari, ce n'eft que pour fon mari, qui en eft le feul feigneur & le maître pendant & conftant leur mariage, & non ladite femme, qui ne peut vendre ni difpofer defdites marchandifes fans le confentement de fon mari, parce qu'elle ne fait en cela que la même chofe que font les Facteurs ou les Commis qui vendent & débitent les marchandises pour le compte

du mari.

Mais il n'en doit pas être de même à l'égard d'une femme qui fait un autre commerce de marchandifes que celui de fon mari, & qui eft féparé du fien, qu'on appelle Marchande publique, parce qu'encore qu'une Marchande publique foit fous la puiffance de fon mari, & qu'elle foit en communauté de biens avec lui, elle peut vendre & difpofer de la marchandise dont elle fe mêle, comme bon lui femble, & elle peut même s'obliger fans le confentement & l'autorisation de fon mari, touchant le fait & dépendance de ladite marchandise. Cela eft conforme à l'article 236 du Titre X. de la Coutume de Paris; & elle peut même obliger fon mari touchant le fait & dépendance de ladite marchandise publique, fuivant le 234° Article. Ainfi l'on peut dire qu'une Marchande publique eft feule maîtreffe de la marchandise dont elle fe mêle, & de tout ce qui en dépend. En telle forte qu'elle la peut vendre, prêter, engager, & difpofer des dettes actives qu'elle a contractées avec ceux aufquels elle a vendu ladite marchandife; le tour fans le confentement & l'autorisation de fon mari, pourvû que ce foit à perfonnes capables & fans fraude.

Au contraire le mari de cette Marchande publique ne peut en façon quelconque difpofer de la marchandise, ni des dettes actives, ni de tout ce qui dépend du fait de ladite marchandise dont elle fe mêle, fans le confentement de fadite femme. La raison eft,

Premiérement, , parce que les marchandifes achetées par la Marchande publique, & les dettes actives qu'elle a faites & créées pour raifon de fon commerce, font des effets mobiliaires qui font féparés & qui ne font point confus avec ceux qui font faits & créés par fon mari, fur lefquels effets il n'a aucune puif

fance.

Secondement, parce que lesdites marchandifes & dettes actives font un gage public, c'est-à-dire, qu'elles demeurent entre les mains de la femme Marchande publique, pour la sûreté des dettes paffives qu'elle a contractées & qu'elle contracte tous les jours avec ceux qui lui ont prêté & qui lui prêtent journellement leurs marchandifes, leurs deniers & autres chofes dépendant de la marchandise dont elle fe mêle. Ainfi toutes les marchandifes & dettes actives font affectées & obligées au payement defdites dettes paffives, fans que le mari les puiffe prendre, vendre ni engager pour s'en fervir en fes affaires particulieres fans le confentement de fa fémme, autrement il n'y auroit aucune sûreté de traiter & commercer avec la femme Marchande publique. H h

Tome II.

Troifiémement, non-feulement le mari de la femme Marchande publique ne peut prendre, vendre, engager, ceder, tranfporter, ni difpofer des marchandifes, dettes actives, & autres chofes dépendant du commerce & du fait de la marchandise dont elle fe mêle, pour les employer à autre ufage qu'à celui qui concerne les affaires de fondit commerce, mais elle n'y doit pas même confentir; autrement il en arriveroit de grands abus & des inconvéniens tout-à-fait préjudiciables au Commerce & au Public; car il ne tiendroit qu'à une Marchande publique, dont le commerce eft féparé d'avec celui de fon mari, de contracter en fon nom plufieurs dettes paffives, tant pour achat de marchandifes, façons d'ouvrages, empunts de deniers, que pour autres chofes dépendant de ladite marchandife, & enfuite confentir que fon mari pût prendre, engager, vendre & difpofer par des ceflions, & tranfporter lefdites marchandises, dettes actives, & autres effets dépendans de fon commerce, pour les employer à fon profit, ou au payement des dettes paffives qu'il auroit contractées dans fon commerce particulier, au préjudice des créanciers de fa femme, la foi de laquelle ils ont fuivi, en lui vendant leurs marchandises, ou lu prêtant leurs deniers, & autres chofes dépendans de fa marchandise, & qu'elle en uferoit en bon pere de famille.

D'ailleurs la femme Marchande publique ne laiffe pas d'être toujours fous la puiffance de fon mari, quoiqu'elle faffe le commerce féparé du fien. De forte que fon mari, qui feroit peut-être ruiné, pourroit prendre fa marchandise, & lui faire confentir par force, violence, & mauvais traitemens, à faire fon profit des ceffions & tranfports de fes dettes actives & autres effets dépendans de fon commerce fous des noms interpofés; le tout au préjudice & en fraude des créanciers, particuliérement de sa femme. Ce feroit un inconvénient très-défavantageux au Com merce & au Public.

C'eft aufli pour toutes ces raifons que la femme Marchande publique, non-feulement fe peut obliger fans le confentement de fon mari, fuivant l'Article 236 du Titre X. de la Coutume de Paris, mais elle l'oblige encore avec elle touchant le fait & dépendance de ladite marchandise publique, fuivant l'Article 234 du Titre X. fans qu'il foit même befoin de fon confentement par écrit ou autrement; & c'eft pour les raifons ci-deffus que la Coutume y a fi fagement pourvû.

Il ne refte plus qu'une chofe à examiner, qui eft de fçavoir fi les créanciers de Claude peuvent faire faifir les marchandifes, dettes actives, & autres effets dépendans du commerce de Louise fa femme, pour les dettes particulieres qu'il a contractées avec eux, pour se faire payer de leur dû, fondé sur la communauté de biens qu'ils ont ensemble, & par conféquent qu'il en appartient la moitié à Claude leur débiteur.

Le fouffigné eftime que lefdits créanciers particuliers de Claude ne peuvent pas de fon vivant ni de celui de Louise fa femme, faire faifir les marchandises, dettes actives, & autres effets dépendans du fait de la marchandise dont fe mêle ladite Louife, pour fe faire payer des dettes qu'il a contractées avec eux pour le fait de fon commerce, ou autres affaires particulieres, parce qu'ils ne peuvent exercer que les mêmes actions de Claude leur débiteur. Or fi Louife eft feule la maîtreffe des marchandises, dettes actives, & autres effets dépendans de la marchandise publique dont elle fe mêle, & que Claude fon mari n'en puiffe pas difpofer de fon vivant pour les raisons ci-deffus déduites, il s'enfuit que fes créanciers qui n'ont

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