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qu'ils ont de la peine à gagner fuffifamment pour nourrir & entretenir leurs familles ce qui n'eft que trop véritable; ainfi il n'eft pas befoin d'en augmenter le nombre à moins de vouloir ruiner les fix Corps.

Secondement, fi cet établiffement avoit lieu, & que Monfieur le Prince de Marfillac pût mettre tel nombre de perfonnes qu'il voudroit pour faire le Commerce, il ne feroit plus néceffaire aux jeunes gens de faire aucun apprentiffage, ni de fe faire recevoir Maîtres dans l'un des fix Corps, puifque fa feule permiffion fuffiroit. Ainfi les fix Corps des Marchands deviendroient inutiles, & s'anéantiroient peu à peu; de forte que la Police ne feroit plus obfervée dans les Visites qui fe font ordinairement quatre ou cinq fois l'année par les Maîtres & Gardes dans les magafins & boutiques des Marchands, & même dans les Foires de faint Germain, du Landy, de faint Denis, & de faint Laurent, pour tenir la main à ce que les marchandifes foient des longueurs, largeurs & teintes fuivant les Ordonnances du Roi. Or par ces raifons il eft certain qu'il n'y auroit rien de fi défavantageux au Commerce & au Public, fi Monfieur le Prince de Marfillac avoit le pouvoir d'établir en cette Ville de Paris tant de Marchands qu'il lui plairoit.

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La premiere raifon que l'on donne pour donner couleur à cet établiffement qui eft que les Sujets de Sa Majefté & les Etrangers qui ont commerce ensemble, y trouveront de l'avantage pour la commodité & füreté qu'ils fourniront dans la néceffité où ils pourront être d'emprunter ou de vendre, ne peut fervir de fon dement à cet établiffement, parce qu'il eft trivial, & tout le monde fçait que Marchands & Négocians fe prêtent refpectivement les uns aux autres leur argent dans leurs befoins, bien fouvent avec trop de facilité : & quoiqu'ils ayent correfpondance avec les Marchands & Négocians tant des Provinces de ce Royaume que des Pays étrangers pour l'achat & vente des marchandises, il eft encore vrai de dire que lefdits Marchands, tant des autres Villes de ce Royaume, que des Pays étrangers, fe fervent du miniftere de ceux de Paris, qui font reçûs Marchands dans les fix Corps pour vendre leurs marchandifes par commiffion, lefquels y trouvent leur sûreté toute entiere; ainfi cet établiffement n'apporteroit aucun nouvel avantage tant aux Marchands de ce Royaume que des Pays étrangers, & par conféquent point d'utilité au Public & au Commerce, au contraire cela lui feroit défavantageux pour deux raifons.

La premiere, parce que fi cet établiffement avoit lieu, ce feroit un moyen infaillible d'introduire les Etrangers à vendre leurs marchandifes à Paris eux-mêmes en perfonne, par le moyen des permiffions qu'en donneroit Monfieur le Prince de Marfillac, au préjudice des Marchands reçûs Maîtres dans les fix Corps, qui ont feuls le pouvoir de vendre les marchandises, ainfi qu'il fe pratique même dans les autres Royaumes étrangers, & particuliérement en Angleterre, où il n'eft pas permis aux Etrangers de vendre eux-mêmes les marchandifes qu'ils portent dans ce Royaume, même dans les Foires & Marchés, étant obligés de fe fervir pour cet effet du miniftere d'un Négociant Anglois, que l'on appelle Fredneyfon, (c'est-à-dire franc-Bourgeois): quoique cette loi femble dure, néanmoins elle est politique, parce que c'eft un moyen qui donne lieu aux Négocians d'Angleterre de participer aux profits que font les Etrangers fur les marchandifes qu'ils y portent

vendre.

Et c'est auffi pour cette feconde raifon que l'établissement en question feroit

préjudiciable au Commerce, parce que les Marchands & Négocians tirent un grand avantage que les Etrangers fe fervent de leur miniftere pour la vente de leurs marchandifes: ce qu'ils n'auroient plus, fi la prétention de Monfieur le Prince de Marfillac avoit lieu.

Ceux qui ont donné cet avis à Monfieur le Prince de Marfillac, difent pour feconde raifon que l'Office des Négocians, dont on demande l'établissement, fe bornant à faciliter les moyens de faire prêter, louer & vendre à ceux qui voudront fe fervir de leur miniftere, cela préviendra quantité de procès qui arrivent tous les jours aux Sujets de Sa Majesté & aux Etrangers, ne pouvant quelquefois trouver les chofes qu'on a confiées à ceux à qui l'on a néceffité de fe confier, étant des gens fans nom & fans aveu, qui n'ont pas le moyen d'en répondre.

L'on voit par ce raifonnement que ces prétendus Négocians ne prêteront non feulement pas leur miniftere aux Etrangers pour vendre leurs marchandises, mais qu'ils s'érigeront encore en un mont de piété; car ils prêteront & feront prêter fous gages, ils loueront des tapifferies, des lits, & autres fortes de meubles & uftenciles de maison. L'on ne peut douter que fi cet établissement avoit lieu, bien loin que le Commerce & le Public en reçût de l'utilité, il en recevroit un grand défavantage; premiérement, parce qu'il y a grand nombre de Fripiers & Tapilliers dont le plus grand Commerce eft de louer par mois aux Etrangers qui viennent à Paris, des tapifferies, des meubles & autres uftenciles de maison, moyennant certaine fomme d'argent dont ils conviennent ensemble; ce qui fait honnêtement subfifter leur famille.

C'est une mauvaise raifon de dire que cet établiffement préviendra beaucoup de procès, à caufe que ceux qui louent & confient des choses à des gens fans nom & fans aveu ; parce que l'on fçait bien que ceux qui font ce Commerce, prennent leurs précautions le mieux qu'ils peuvent pour n'être pas trompés.

En fecond lieu, il n'y auroit rien de plus dangereux pour le Public que cet établiffement; parce que ces prétendus Négocians prêtant & faifant prêter fur gages à toutes fortes de perfonnes par le privilege & la permiffion qu'ils en auroient de Sa Majefté, il fe commettroit de grandes ufures, parce que tous ceux qui aiment le jeu & la débauche des femmes & du vin, trouvant par ce moyen facilement de l'argent à emprunter fur des hardes & nippes pour entretenir leur débauche, payeront tels & fi gros intérêts qu'on voudra leur demander pour l'argent qu'ils emprunteront, qui confommerònt toutes les chofes qu'ils auront données en gage, par la mévente qui s'en fera enfuite; de forte que cet établissement feroit un moyen infaillible pour ruiner une infinité de perfonnes.

Pour quatriéme & cinquième raifon, l'on dit qu'il fera loisible à un chacun de chercher fon mieux aux Négocians qui feront prépofés, & qu'ils ne prendront de ceux qui s'adrefferont à eux, que ce qui fera convenu de gré à gré, & qu'ils fourniront un récépiffé des chofes qu'ils remettront entre leurs mains pour leur sûreté. Cela ne doit pas être confidéré, car l'on fçait bien que ceux qui empruntent fur gages pour entretenir leur jeu & leur débauche, offrent eux-mêmes de gros intérêts pour porter d'autant plus ceux de qui ils veulent emprunter, à leur prêter les fommes de deniers qu'ils demandent ; & il y en a tels qui prendront un écu blanc pour un Louis d'or, pour fatisfaire à leur paffion.

En troifiéme lieu, fi cet établissement avoit lieu, cela produiroit une infinité de vols & de friponneries, parce que ce feroit un moyen infaillible à tous les enfans

fans de famille, ferviteurs, domeftiques, & à tous les Commis & Facteurs des Marchands & Négocians, de voler plus impunément leurs peres & meres, & leurs maîtres & maîtreffes, par la facilité qu'ils auroient de vendre ou de faire vendre par ces prétendus Négocians, les hardes & les marchandises qu'ils auroient

volées.

Cet établissement produiroit & faciliteroit auffi les banqueroutes frauduleufes parce que les Marchands de mauvaise foi, qui méditeroient de faire banqueroute frauduleuse à leurs Créanciers, trouveroient par-là un moyen facile de vendre promptement leurs marchandifes, par le miniftere de ces prétendus Négocians, en la donnant à vil prix, pour enfuite fe retirer hors le Royaume; de forte que cette feule raifon fuffit pour faire voir qu'il n'y auroit rien de fi dangereux & de fi defavantageux au Public que cet établiffement.

Monfieur le Lieutenant de Police voit par toutes les raisons ci-dessus alleguées, que cet établissement de Négocians de prêt & de vente, ne feroit pas un mont de piété, mais bien un mont d'impiété & d'ufure, parce que les monts de piété qui font établis dans plufieurs bonnes Villes d'Italie, ne prennent aucun intérêt des fommes de deniers qu'ils prêtent fur les gages qui leur font baillés pour leur sûreté, & ceux que l'on veut établir à Paris & dans toutes les bonnes Villes du Royaume, ne veulent point prêter fur gage qu'en prenant des intérêts: ce qui feroit une chose monftrueufe & ruineufe au Commerce & au Public.

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Pour toutes les raifons ci-deffus déduites, les Maîtres & Gardes de la Mercerie ne font point d'avis de cet établiffement, & ils fupplient très-humblement Monfieur le Lieutenant de Police d'en faire connoître l'importance au Roi, même à Monfieur le Prince de Marfillac, afin qu'il fe déporte de la poursuite qu'il fait, pour en obtenir de Sa Majefté le don, étant perfuadés que fes intentions font bonnes; mais qu'il a été furpris par ces donneurs d'avis, qui n'envifagent que leurs intérêts particuliers, & jamais celui du Public, ne fe fouciant pas fi les chofes font honnêtes & juftes, ou non, pourvû qu'ils profitent aux dépens de qui il appar

tiendra.

Délibéré à Paris le 2 Janvier 1680.

PARERE X.

Si la veuve d'un Marchand qui s'eft obligée au payement d'une fomme, folidairement avec fon mari, par Acte paffé pardevant Notaire, eft jufticiable des Juges Confuls; & fi elle peut être condamnée par corps, parce que la dette eft caufée pour fait de marchandises?

MÉMOIRE POUR CONSULTER,

LE FAIT.

Adrian, Marchand à la Flèche en Anjou, & Jeanne fa femme, pallen; obli

gation au profit de François, Marchand à Paris, de la fomme de 400 livres,

pour marchandise vendue & livrée audit Adrian,

Tome II.

I

Ledit Adrian étant décedé, François fait affigner Jeanne fa veuve en la Jurifdiction Confulaire d'Angers, pour fe voir condamner à lui payer lefdites vres & par corps, attendu qu'il s'agit du fait de marchandise.

400 li

Ladite Jeanne veuve d'Adrian comparoît & foutient qu'elle n'eft point jufticiable de la Jurifdiction Confulaire, & qu'elle n'a dû être affignée que pardevant le Juge à la Jurifdiction duquel elle s'eft foumife par ladite Obligation, devant lequel elle demande être renvoyée.

Et quant à la contrainte par corps, elle dit pour défense: Premiérement, qu'elle a été abrogée par l'Ordonnance de 1677. Secondement, qu'elle ne s'eft point obligée par corps par ladite Obligation. Troifiémement, que quand on voudroit alleguer que c'eft pour fait de marchandise, cela ne regarderoit feulement que fon mari, en la perfonne duquel réfidoit le Commerce, & non elle, qui n'est qu'une fimple caution; & par toutes ces raifons, qu'elle ne doit point être condamnée par

corps.

François foutient au contraire que ladite Jeanne veuve d'Adrian eft jufticiable dela Jurifdiction Confulaire, quoique ce foit une Obligation paffée pardevant Notaire, n'y ayant que la fubftance de l'Acte qui fait changer la Jurifdiction, parce qu'il eft conftant que fi Adrian vivoit, il ne pourroit pas décliner la Jurifdiction Confulaire pour être renvoyé devant le Juge du lieu où ladite Obligation a été paffée, parce que c'est pour fait de marchandise.

A l'égard de la contrainte par corps, François dit qu'il ne peut y avoir de diffi--culté. 1. Parce que dans l'Ordonnance, Article des Cautions, ils font contraints par corps, tout infi que le principal Débiteur; de forte que l'Obligation folidaire en queftion, étant conçue pour fait de marchandise de Marchand a Marchand, ladite Jeanne s'y étant ligée comme caution, elle doit être condamnée par corps au. payement defdites ရာဝ livres.

2. Que par l'Ordonnance de 1673, les femmes Marchandes font condamnées par corps pour fait de marchandife; qu'il eft vrai qu'elle ne peut y être contraintedu vivant de fon mari, mais qu'après fon décès elle peut y être contrainte.

3. Qu'il en eft de meme d'une Obligation pour fait de marchandise comme d'un billet ou lettre de change, dont les cautions font condamnables par corps: & par toutes les raifons ci-deffus alleguées, François foutient que ladite Jeanne veuve d'Adrian, doit être condamnée par corps au payement des 400 livres en question.

L'on demande avis fur la préfente conteftation: Premiérement, quel eft l'ufage parmi les Marchands & Negocians, touchant la compétence des Juge-Confuls

fur le fait des veuves des Marchands?

Secondement, fi elles font fujettes à la contrainte par corps, quand elles font cautions de leurs maris, pour fait de marchandise de Marchand à Marchand?: Le fouffigné qui a pris lecture du Mémoire ci-dessus, est d'avis..

Sur la premiere Queflion.

Que ladite Jeanne veuve d'Adrian eft jufticiable de la Jurifdiction Confulaire fuivant l'Ordonnance de Charles IX. du mois de Novembre 1563, Article I. dont voici la difpofition: Les Juge-Confuls connoîtront de tous procès & differends qui feront mis entre Marchands, pour fait de marchandife, leurs veuves, Mar

chandes publiques, leurs Facteurs, Serviteurs & Commis, foit que lesdits differends procedent d'Obligations, Cédules, Récépiffes, Lettres de Change, ou crédit, Réponses, Affurances, &c. De forte qu'aux termes de cette Ordonnance non-feulement les veuves des Marchands, mais encore ceux qui ont répondu ou qui font cautions, font jufticiables des Juge & Confuls. Cela eft encore conforme à l'Ordonnance du mois de Mars 1673, Titre XII. Article XVI. aux exceptions portées par ledit Article, & c'eft un ufage que l'on ne peut révoquer en doute, fi les Obligations font conçues pour fait de marchandise, & non autrement.

Sur la feconde Question.

A l'égard de la contrainte par corps, il eft certain qu'encore que les Obligations qui font conçues pour fait de marchandises ne portent point que les débiteurs s'obligent à payer par corps; néanmoins quand la contrainte par corps eft demandée en Juftice, les Juge & Confuls la prononcent, parce que cela eft non-feulement conforme à leur Edit de création, Article XVI. mais encore à l'Ordonnance du mois d'Avril 1667, Titre XXXIV, Article IV. & à celle du mois de Mars 1673, Titre VII. Article L

Ainfi il n'y a point de difficulté que les Marchands qui contractent des dettes pour fait de marchandise, foit par Promeffes ou Obligations, font fujets à la contrainte par corps: mais la queftion eft de fçavoir, fi la veuve d'un Marchand qui s'eft obligée avec fon mari par Obligation, Promelle ou autrement pour fait de marchandise, eft fujette à la contrainte par corps, & fi elle doit être prononcée par les Juge & Confuls?

Il faut diftinguer la condition des femmes en trois manieres. Premiérement, fi c'est une femme Marchande publique, qui fait la marchandise elle-même fous fon nom, quoique fon mari foit d'une autre profeffion que celle du Commerce. Secondement, fi c'eft une femme veuve d'un Marchand qui continue la Marchandife après le décès de fon mari. Troifiémement, fi c'est une femme qui s'eft feulement obligée avec fon mari, ou qui eft intervenue pour caution dans un Acte fous feing prive, ou en une obligation paffée pardevant Notaire pour fait de marchandise, qui depuis le décès de fon mari n'a pas continué la profeffion mercantille.

A l'égard de la premiere propofition, il eft certain qu'une femme en puissance de mari, qui fait la marchandife publiquement, quoique fon mari foit d'une autre profeffion, non-feulement eft obligée par corps, mais encore elle oblige fon mari quand c'eft pour fait de marchandise. Et cette femme & fon mari peuvent être condamnés par corps par les Juge - Confuls, & la femme emprifonnée en vertu de leur Sentence du vivant du mari; c'eft un ufage qui n'a jamais été révoqué en doute, & cela a été jugé par Arrêt du Parlement, du i Mars 1580, & par plufieurs autres rendus enfuite.

Quant à la feconde queftion, il eft encore certain que la veuve d'un Marchand qui continue le Commerce de la marchandise que faifoit fon mari de fon vivant, après fon décès eft condamnable par corps, même pour les dettes contractées du vivant de fon mari, pour les raifons qui feront déduítes fur la question fuivante.

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