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ordonna audit Rouffelin de dire fon affaire; & après qu'il eut parlé une grande demie-heure, fans être interrompu, & qu'il eat fini fon difcours, ledit fieur de Bellinzani m'adreffa la parole, & me dit, que l'intention de mondit fieur Colbert étoit que j'opinaffe le premier. Il n'y a pas d'apparence que mondit fieur Colbert lui eût dit que fon intention étoit que j'opinaffe le premier, parce que cela n'importoit en rien en l'affaire, mais ledit de Bellinzani avoit fes raifons pour cela; car il avoit toujours coutume de fe fervir du nom de mondit fieur Colbert pour parvenir à fes deffeins. Quoiqu'il en foit, je pris la parole & j'opinai fur les trois chofes que ledit fieur de Bellinzani avoit propofées à l'Affemblée : & après avoir dit toutes les raifons qui avoient donné lieu aux difpofitions portées par les deux Articles en queftion, & après avoir répondu à toutes les objections alleguées par Rouffelin contre ces Articles, & contre la Sentence du Châtelet qui l'avoit condamné à l'amende; je conclus premiérement, que le fieur Rouffelin avoit été bien condamné en l'amende par la Sentence du Châtelet: fecondement, que les deux Articles en queftion avoient été judicieufement mis dans l'Ordonnance, & que s'ils n'y étoient point, il faudroit par un Arrêt du Confeil en ordonner les difpofitions, comme très-avantageufes pour la manutention du Commerce de la Banque & du Change, & pour ôter les abus que commettoient les Agens de Banque, toutes les raifons que j'avois alleguées.

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Et comme j'avois épuifé cette matiere, cela fit que ceux qui opinerent après moi, ne firent pas long difcours, mais tout d'une voix leurs opinions furent conformes à la mienne; après quoi je repris la parole, & dis que j'eftimois à propos qu'on drefsât notre délibération, laquelle contiendroit ce qu'avoit dit Rouffelin, & tout ce que la Compagnie avoit dit, & qu'elle fût fignée de tous. Alors ledit fieur de Bellinzani me dit d'un ton de voix qui marquoit fa colere, fi je ne me confiois pas en lui pour rapporter à Monfieur Colbert ladite délibération de l'Affemblée, & que c'étoit l'offenfer d'en douter. Je lui répliquai que je n'avois pas cette pensée, mais qu'il étoit impoffible, quelque bonne mémoire qu'il pût avoir, de rapporter à Monfieur Colbert un fi grand nombre de chofes qui avoient été alleguées, tant de la part de Rouffelin & de Hebert, que de celle de ces Meffieurs & de moi. Mais à l'inftant que j'eus fini mon difcours, ledit fieur de Bellinzani fe leva fans attendre que ces autres Meffieurs euffent opiné fur ma propofition. Cela fit qu'ils fe leverent auffi fans dire un feul mot. Ledit fieur Bellinzani continuant dans la mauvaise humeur, me dit en particulier à la fortie de la Chambre des Affurances, que je ne gardois pas les mesures que je devois garder avec lui, mais qu'il m'excufoit, parce qu'il étoit perfuadé que ce n'étoit pas à mauvaise intention que j'avois fait cette propofition. A quoi je lui répondis froidement, qu'il n'y avoit aucune mefure à der quand il s'agiffoit de faire une chofe qui étoit jufte & raifonnable, qu'il lui étoit même avantageux pour ne pas attirer fur fui la mauvaise humeur de Rouffelin & des autres Agens de Banque, fi ce qu'ils demandoient à Monfieur Colbert ne réuffiffoit

pas.

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Quinze jours après je rencontrai Rouffelin chez Monfieur le Camus Lieutenant Civil, qui eft celui qui avoit prononcé la Sentence contre lui; lequel me dit avec une extrême colere, que je me ferois bien paffé d'avoir opiné contre lui, & contre tous les autres Agens de Banque fes confreres, qu'heureusement pour eux mes opinions n'avoient point été fuivies par ceux qui avoient compofé la fufdite Affemblée, que j'avois été feul de mon opinion, dont ledit de Bellinzani avoit informe

Monfieur Colbert, & que dans peu il y auroit un Arrêt du Confeil qui défendroit l'exécution des deux Articles de l'Ordonnance en queftion, comme étant très-préju-diciables à l'Etat & au Public.

J'avoue ingénument que je fus furpris du difcours & de l'impudence de Rouffelin, & encore davantage de la hardieffe qu'avoit eu ledit fieur de Bellinzani d'en avoir ainfi impofé à Monfieur Colbert. Je répondis audit freur Rouffelin froidement, puifque ledit fieur de Bellinzani n'avoit pas bien informé Monfieur Colbert de la délibération qui avoit été prife fur fon affaire, que dès le lendemain je l'en informerois au vrai, & qu'il pouvoit s'affurer que je n'oublierois rien de toutes les raifons qu'il avoit déja alleguées contre la Sentence qui le condamnoit à l'amende, & contre les difpofitions portées par les deux Articles de l'Ordonnance qui regar-doient les Agens de Banque. Après avoir fini ce difcours je le quittai-là pour entrer dans le cabinet de Monfieur le Camus, pour lui parler de l'affaire qui me faifoit ve

nir en fon Hôtel..

D'abord que Monfieur le Lieutenant Civil me vir, il me dit que Rouffelin ve-noit de fortir, qui lui avoit dit que Monfieur Colbert alloit donner un Arrêt du Confeil qui le déchargeroit de l'amende à laquelle il avoit été condamné par Sen-tence, pour avoir fait le Commerce de la Banque & du Change, & le Courtage tout enfemble, & qui défendroit l'exécution des deux Articles de l'Ordonnance. en question, parce qu'ils étoient contraires au bien de l'Etat, du Commerce & du Public, fuivant l'avis qui avoit été donné par cinq ou fix Banquiers & Né-gocians. Je répondis à mondit fieur le Lieutenant Civil, que j'avois de la peine à croire cela. En même-tems je l'informai de ce qui s'étoit paffé en l'Affemblée de ces Négocians, & qu'il falloit que ledit fieur de Bellinzani en eût impofé à Monfieur Colbert, en ne lui rapportant pas au vrai l'avis defdits Négocians, qui avoit été tout d'une voix à maintenir les deux Articles, & en ordonner l'exécution; que je venois de rencontrer Rouffelin dans la falle qui m'en avoit dit quelque chofe, &. que j'étois réfolu d'écrire à Monfieur Colbert, & de lui envoyer un Mémoire qui contiendroit tout ce qui s'étoit paffé en cette. Affemblée, afin de le désabuser du mauvais rapport que lui avoit fait ledit fieur de. Bellinzani.

Auffi-tôt que je fus de retour dans ma maifon, je mis la main à la phume pour dreffer ce Mémoire, & pris en même-tems la réfolution de ne plus retourner chez ledit fieur de Bellinzani, ni ne le point voir, fans pourtant rompre avec lui, puifqu'il ine rendoit de fi mauvais offices auprès de Monfieur Colbert.. Ce: Mémoire étant dreffé, je me donnai l'honneur d'écrire à Monfieur Colbert, & joignis à ma lettre: ledit Mémoire.

Le fieur Rouffelin ne manqua pas d'avertir ledit fieur de Bellinzani de la réso-lution que j'avois prife d'informer Monfieur Colbert de ce qui s'étoit pafsé dans. la fufdite Affemblée; lequel jugeant bien que fa fourberie alloit être découverte,. pour parer ce coup qui lui étoit inévitable, il dreffa. une délibération conforme au rapport qu'il avoit fait de cette affaire à Monfieur Colbert, la figna, & la fit. figner au fieur de la Live, Greffier de la Chambre des Affurances, qui étoit préfent à cette Affemblée, enfuite la mit entre les mains de Rouffelin pour la faire figner aufdits fieurs de Bie, André, le Vieux, Pierre Fromont, Robert, & Pierre Pocquelin..

Le premier à qui Rouffelin s'adreffa pour faire figner cette délibération, ce: fit.à Monfieur de Bie.. Ledit fieur de Bie voyant d'abord que je ne l'avois point:

gnée, lui dit de me la porter à figner, & qu'enfuite il la figneroit. Mais quand ledit fieur de Bie en eut pris la lecture, & qu'il vit qu'elle n'étoit pas conforme à ce qui avoit été arrêté, il jugea bien qu'il y avoit du myftere là-deffous; ainfi il ne la voulut pas figner. De-la ledit Rouffelin alla chez ledit fieur Pierre Fromont, qui lui dit la même chofe, & ne la voulut pas figner. Je n'ai point fçû ft ledit Rouffelin alla chez lefdits fieurs André, le Vieux, & Robert & Pierre Pocquelin pour leur faire figner cette fauffe délibération. Quoiqu'il en foit, apparemment Monfieur Colbert fe trouva perfuadé des raifons portées par mon Mémoire, puifqu'il ne donna point d'Arrêt, & que les chofes font demeurées en l'état qu'elles

étoient.

J'ai eftimé devoir mettre ce Mémoire au rang de mes Pareres, non-feulement parce qu'il eft important pour la manutention du Commerce de la Banque & du Change, mais encore parce qu'il fert d'inftruction aux gens d'Affaires, & aux grandes Compagnies qui font le Commerce de Mer par des voyages de longs-cours, qui fondent leurs entreprises fur le grand crédit que leur font avoir les Agens de Banque & des grands inconvéniens qui leur en arrivent.

Mémoire contenant ce qui s'eft paffe dans une Affemblée de Negocians, convoquée par Monfieur de Bellinzani, de l'ordre de Monfieur Colbert, pour fçavoir, 1. Si une négociation faite par le fieur Rouffelin, Courtier de Change, avec défunt le fieur Tallement, pour laquelle il a été condamné à l'amende, étoit dans le cas de l'Ordonnance du mois de Mars 1673? 2. S'il y avoir quelque chofe à changer dans les I. & II. Articles du Titre XI. de ladite Ordonnance de 1673, touchant l'exercice des Courtiers de Change? 3. Quelles ont été les raisons qui ont donné lieu aux difpofitions defdits deux Articles?

Ce qui donne lieu au préfent Mémoire, eft que le fieur Rouffelin Courtier de Change, auroit dit au fieur Savary qu'il fe feroit bien paffé d'avoir donné fon avis contre lui, & qu'il avoit informé Monfieur Colbert, que toutes les raifons qu'il avoir alleguées n'étoient pas véritables; qu'il avoit été feul de fon avis, & qu'enfin M. Colbert changeroit par un Arrêt du Confeil les difpofitions portées par lefdits deux Articles en queftion, comme étant contraires au bien de l'Etat & du Public. Le fieur Savary fe trouve obligé pour fon honneur & pour conferver l'eftime qu'il s'eft acquife auprès de Monfeigneur, de l'informer qu'il n'a point été feul de fon avis, puifqu'il a été fuivi de ceux des fieurs de Bie, André, le Vieux, Robert & Pierre Pocquelin freres, Fromont pere, qui compofoient cette Affemblée avec Monfieur de Bellinzani qui y préfidoit, & que les raifons par lui alleguées pour montrer que Rouffelin a fait le Commerce de Change contre les défenfes portées par l'Artiele I. font véritables, & par conféquent qu'il a été justement condamné en l'a-mende par Monfieur le Camus, Lieutenant Civil.

Le fieur Savary eft encore obligé par l'affection particuliere qu'il a, & qu'il a toujours ene pour le fervice du Roi, de l'Etat & du Public, d'informer Monfeigneur des raifons qui ont donné lieu aux difpofitions portées par les deux Articles en quefrion, & de lui repréfenter qu'on n'y peut rien changer fans faire un notable préju dice au Commerce de la Banque & du Change, & au Public.

LE FAI T.

Le défunt fieur Tallement auroit fait tirer par fon Commis plufieurs lettres de change fur la Ville de Lyon, montant ensemble à 54000 livres, payables à lui ou à fon ordre, ledit Tallement mit fa fignature en blanc au dos defdites lettres & les auroit données à Rouffelin, qui lui donna en échange plufieurs de fes billets payables au Porreur pour la valeur d'icelles lettres.

Trois ou quatre jours après cette négociation le fieur Tallement feroit décedé & après fon décès on auroit appofé le fcellé en fa maifon, auquel fcellé Rouffelin fe feroit oppofé, & auroit revendiqué les billets qu'il avoit donnés au défunt fieur Tallement pour la valeur de fefdites lettres de change, offrant de rendre lef dites lettres qu'il n'avoit point encore négociées ; & pour le voir ainfi ordonner, il fait affigner au Châtelet les héritiers & les créanciers dudit défunt Talle

ment.

Lors de la plaidoirie de la Caufe, Meffieurs les Gens du Roi, après avoir conclu à ce que les billets de Rouffelin lui fuffent rendus en rendant par lui les let tres de change dont il étoit porteur, aux héritiers & créanciers du défunt fieur Tallement, ils auroient auffi conclu contre Rouffelin, à ce qu'il fût condamné à l'amende, pour avoir fait le Commerce de la Banque & du Change, contre les défenfes portées par l'Article I. du Titre XI. de l'Ordonnance du mois de Mars 1673, & fur lefdites Conclufions feroit intervenu Sentence qui condamne Rouffelin à deux cens livres d'amende.

Rouffelin foutient qu'il a été mal jugé par ladite Sentence, attendu que la négociation qu'il a faite avec le défunt fieur Tallement, n'eft point un Commerce de Banque & de Change qu'il ait fait avec lui, parce qu'il lui avoit fimplement donné fes billets payables au porteur pour la valeur de fes lettres de change, pour enfuite les difpofer pour lui aux Négocians & Banquiers, & en recevoir d'eux la valeur pour la payer enfuite audit Tallement, en retirant de lui fes billets; qu'ainfi il n'avoit fait en cela que fon fimple exercice de Courtier. De forte que cette négociation ne fe pouvoit appeller un Commerce de Banque & de Change, parce qu'il n'y avoit qu'une feule nature de Change, qui eft celui de vendition d'argent d'une Place pour une autre, qui eft le feul Change qui puiffe être défendu aux Courtiers de Change par le fufdit Article; & par conféquent que la négociation qu'il a faite avec le fieur Tallement n'eft point dans le cas de l'Ordonnance, puifqu'il n'y a point d'argent vendu d'une Place pour une autre,

Raifons pour montrer que Rouffelin a fait le Commerce de la Banque & du Change, contre les défenfes portées par l'Ordonnance.

Après avoir établi le fair, Savary efpere faire voir à Monfeigneur que Rouffelin a fait le Commerce de la Banque & du Change, & qu'ainfi il a été justement condamné à l'amende. Mais pour bien réfoudre cette question, il eft néceffaire de fçavoir deux chofes ; la premiere, quel eft l'exercice & les fonctions des Courtiers de Change; & la feconde, combien de fortes de Changes fe pratiquent parmi les Négocians & Banquiers,

A l'égard de la premiere queftion, il eft certain que les Proxenetes ou Courtiers

de Change ne font autre chofe que des entremetteurs entre les Négocians & Banquiers pour faire plus facilement leur commerce de la Banque & du Change, 'eft-à-dire, qu'ils doivent feulement propofer les lettres de change que les Négocians ou Banquiers veulent tirer pour un lieu où ils ont de l'argent, à d'autres qui en ont befoin, & de porter leurs paroles aux uns & aux autres fur le plus ou fur le moins du prix qu'ils defirent avoir, ou donner des lettres ; & lorfque les Cambiftes font demeurés d'accord par leurs entremises du prix de Change, ceux qui doivent fournir les lettres de change les envoyent chez ceux qui les doivent prendre, leur en payent la valeur en argent comptant, ou en leurs billets payables à ordre, ou au porteur, fi la négociation a été faite à cette condition.

Et où les fonctions des Courtiers s'étendent tout au plus, eft que quand les lettres de change leur font confiées pour en faire la négociation, de les mettre èsmains de ceux ausquels ils les ont négociées, & prennent leurs billets payables aux porteurs, qu'ils remettent ès mains de ceux qui les ont fournies pour aller ou envoyer recevoir leur argent, s'ils doivent le recevoir comptant ou dans le tems qu'ils font payables (c'est felon la négociation.) Voilà où aboutiffent toutes les fonctions des Proxenetes ou Courtiers de Change, fans qu'il leur foit permis de faire le Commerce de la Banque & du Change pour leur compte particulier, pour les raifons qui feront déduites ci-après.

Quant à la nature du Change, il y en a de quatre fortes.

La premiere eft le Change de permutation d'efpeces l'une pour l'autre, qui a été le premier inventé par les Grecs & les Romains pour la commodité publique, & particuliérement pour les Etrangers qui apportoient de leurs Pays des efpeces d'or & d'argent dans leurs Villes qui n'y avoient point de cours, qu'ils changeoient & permutoient en monnoie du Pays avec les Changeurs établis dans tous les Royaumes & Etats du Monde, & particuliérement en Mofcovie, où le Czar qui eft le Grand Duc, ne permet jamais que l'on expose en fes Etats des efpeces d'or & d'argent étrangers; & quand les Etrangers y en portent, elles font en même-tems converties en d'autres qui fe marquent au coin du Prince..

La feconde nature ou efpece de Change eft celle de vendition d'argent. Jacques a 3000 livres en la Ville de Lyon, où Pierre en a befoin. Pierre a pareille fomme à Paris où Jacques en a befoin. Jacques vend à Pierre les 3000 livres qu'il a à Lyon, & prend de lui les trois mille livres qu'il a à Paris, & le Contrat de cette vendition d'argent, eft la lettre de change que Jacques tire fur fon Correfpondant de Lyon, payable à Pierre dans le tems que ces deux Cambiftes ont convenu enfemble, qui porte valeur reçûe en argent comptant. Voilà ce qu'on appelle: Change de vendition d'argent.

Cette feconde nature & efpece de Change a été inventée par les Juifs, quifurent chaffés de France fous les regnes de Dagobert I, Philippe Augufte, & Philippe le Long, ès années 440, 1181 & 1316, lefquels s'étant réfugiés en Lombardie, la néceffité leur apprit pour retirer leur argent & les autres effets qu'ils avoient laiffés en France entre les mains de leurs amis, de fe fervir de lettres écrites en peu de paroles, comme font encore aujourd'hui les lettres de change; & les Gibelins chaffés d'Italie par la faction des Guelphes, s'étant retirés a Amfterdam, fe fervirent autfi du même moyen pour retirer leurs effets qu'ils avoient en Italie, où ils établirent le commerce des lettres de changes qu'ils appellerent Polizza di Cambio, lequel. Commerce s'eft établi depuis danss

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