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Très saint Père, vous m'avez accordé sa grâce et sa liberté que dira le monde de vous et de moi?

Vous voulez votre évêché, répliqua le pape; et moi, je veux Benvenuto : qu'on en dise ce qu'on voudra.

Que Votre Sainteté me donne l'évêché, dit le bon cardinal; pour le reste Votre Sainteté jugera de ce qu'elle veut et peut faire.

--

J'enverrai chercher Benvenuto, dit le pape, un peu honteux de manquer à sa parole, et je le mettrai dans les chambres basses de mon jardin particulier, où rien ne lui manquera pour sa guérison. Ses amis pourront le voir, et je le défraierai de tout. »

Le cardinal revint à son appartement et m'envoya dire par messire André que le pape voulait qu'il me remit entre ses mains, mais que je serais logé dans son jardin particulier et libre de recevoir mes amis. Alors je suppliai messire André de dire au cardinal qu'il ne me livrat pas au pape et me laissât faire comme je l'entendrais, que je me ferais envelopper d'un matelas et porter en lieu sûr, hors de Rome; car, me livrer au pape, c'était m'envoyer à la mort.

Le cardinal se serait, je crois, prêté à l'exécution de mon projet; mais messire André, qui tenait à son évêché, fit savoir la chose au pape, qui m'envoya prendre aussitôt.

Voilà Benvenuto de nouveau prisonnier. Le pape même ne tint pas longtemps sa parole de le trailer doucement. Renvoyé au château Saint-Ange, l'artiste y fut jelé dans un cachot souterrain, puis dans un autre plus profond encore, et il ne fallut rien moins pour l'en faire sortir, plusieurs mois après, que l'habileté diplomatique du cardinal de Ferrare, qui obtint enfin du pape, au nom du roi de France, la mise en liberté de l'artiste.

La Ruse de Secundua Curion

(1503-1569)

vec l'aventure de Cœlius Secundus Curion, nous entrons dans la terrible pé

A riode des luttes religieuses qui désolèrent, au XVIe siècle, la France, l'Allemagne

et l'Angleterre. L'Italie elle-même connut ces querelles, quoique le protestantisme n'y ait guère conquis d'adeptes. Secundus Curion était Piémontais; né en 1503, il était le dernier d'une famille de vingt-trois enfants. Passionné pour la science et la théologie, il fut, à l'âge de vingt ans, séduit par les doctrines de Luther et de Zwingle.

Il devait plus tard se réfugier en Suisse et mourir, en 1569, professeur de belles-lettres à l'Université de Bâle. Mais il eut d'abord, dans son propre pays, plus d'une persécution à soutenir, et c'est pendant cette période d'aventures que se place l'épisode dont nous empruntons le récit aux Curiosités biographiques de Ludovic Lalanne.

ECUNDUS Curion, ayant osé accuser de mensonge en pleine église, à Casal,

SEC

un jacobin' qui avait proféré en chaire les calomnies les plus odieuses contre le chef de la Réforme, fut arrêté aussitôt par ordre de l'Inquisiteur de Turin. Après avoir été transféré successivement dans plusieurs prisons, il parvint à s'échapper d'une manière assez adroite pour que ses ennemis. l'accusassent d'avoir eu recours à la magie. Afin de se diculper d'une accusation fort dangereuse à cette époque, il publia dans un petit dialogue latin,, intitulé Probus, les relations de son évasion. Nous en traduisons les passages suivants :

« J'étais, dit-il, enfermé depuis huit jours dans ma nouvelle prison, où l'on m'avait mis aux pieds d'énormes pièces de bois, quand je fus soudainement inspiré par le ciel.

« Lorsque le jeune homme chargé de me garder entra dans ma chambre, je commençai à le supplier de délivrer l'un de mes pieds des entraves : il devait lui suffire que je fusse, par un seul pied, attaché à une masse si énorme....

« Comme il était sans malice, il se laissa persuader et délivra un de mes pieds. Ainsi se passa ce jour et le suivant, pendant lesquels je me mis à l'ouvrage.

« J'étais revêtu d'une chemise de toile; je m'en dépouillai, et, ôtant en même temps le bas qui couvrait la jambe qu'on m'avait laissée libre, j'en fis un paquet auquel je donnai la forme d'une jambe, et j'y adaptai un soulier.

<<< Il me manquait encore quelque chose qui pùt lui donner de la consistance. J'étais fort embarrassé et je cherchais avec inquiétude de tous les côtés, quand j'aperçus un bâton de roseau sous une rangée de sièges. Je le saisis avec empressement, l'introduisis dans la fausse jambe, et, cachant ma vraie jambe sous mon manteau, j'attendis le succès de ma ruse........

« Le brave garçon revint le surlendemain, vers la vingtième heure3, me demandant comment j'allais :

<« Je n'irais pas mal, dis-je, si vous vouliez bien mettre mes liens à mon <«< autre jambe, afin que chacune d'elles pùt reposer à son tour. »

Le prisonnier, la nuit venue, ayant donné à ses gardiens le temps de s'en

1. Les dominicains étaient souvent appelés jacobins, en raison d'un couvent célèbre qu'ils possédaient rue Saint-Jacques, à Paris.

2. Secundus Curion a laissé près de quarante ouvrages d'érudition, de théologie et de polémique sérieuse ou satirique.

3. Deux heures de l'après-midi environ.

dormir et les entendant ronfler, ôta sa fausse jambe, remit sa chemise et son bas, puis alla ouvrir sans bruit la porte de son cachot, qui n'était fermée à l'intérieur que par un simple verrou. C'était là le plus difficile, et il parvint ensuite, mais non sans quelque peine, à escalader les murs de sa prison.

Les Infortunes d'une Maison Royale

Marie

Marie Stuart à Loch-Leven

(1568)

arie Stuart, figure délicieuse, destinée touchante, nom qui évoque à la fois les plus séduisants et les plus tragiques souvenirs! - Elle était fille de ce Jacques V, dont nous avons naguère raconté l'enfance', el, par sa mère, Marie de Lorraine, nièce et cousine des Guises, les puissants seigneurs de la cour de France. La mort prématurée de son père la fil, dès le berceau, reine d'Écosse; son mariage avec François II la fit reine de France à seize ans. A dix-sept, elle étail veuve (1560) el quittait celle cour des Valois, où elle avait séduit tout le monde par sa grâce, pour aller affronter, dans son royaume d'Écosse, les orages de la politique et des luttes religieuses, l'animosité séculaire d'une noblesse turbulente, la haine puissante enfin de sa cousine Élisabeth, reine d'Angleterre. La pauvre âme de Marie Stuart, élégante el faible en toutes choses — sauf dans son attachement profond à la foi catholique avait en elle-même peu de ressources contre tant d'intrigues, de violences et de dangers. Elle épouse, pour essayer de se rendre populaire, son cousin, le grossier Darnley (1565); puis, quand il est mort victime d'un complot qu'elle n'a

pas ignoré, le chef même du complot, Bothwell (1567) : le premier de ces mariages l'abreuve de chagrins; le second soulève contre elle l'indignation du peuple. C'est désormais la guerre civile, et qu'elle doit soutenir seule, car Bothwell l'a abandonnée pour s'enfuir en Norvège. Dès le premier combat ses partisans sont ballus. C'est à ce moment que commence notre récit, dont nous empruntons les éléments à la fois à la Marie Stuart de Mignet et à l'Histoire d'Écosse de Walter Scott.

L

ORSQUE les lords écossais confédérés, à qui Marie Stuart s'était rendue après sa défaite à Carberry Hill, eurent pris le parti de la retenir prisonnière et de la détrôner, ils l'enfermèrent dans le château de Loch-Leven, situé dans une île du lac de ce nom. Ils choisirent cette forteresse, non seulement à cause de sa position, mais surtout parce que la royale captive

1. Voir page 9.

devait y être placée sous la surveillance de la personne qui la détestait le plus, Marguerite Erskine, mère de William Douglas, le possesseur de LochLeven. Marguerite avait été jadis aimée de Jacques V, dont elle avait eu un fils, le comte Murray, l'un des plus cruels ennemis de Marie Stuart; puis la mort de ce roi et l'avènement de sa fille avaient ruiné tout d'un coup ses ambitieux projets. Mais au ressentiment de l'orgueil blessé et déçu s'ajoutait encore chez cette femme l'ardeur d'une piété intolérante : elle était zélée presbytérienne, et son caractère, ses croyances, sa parenté, ses rancunes faisaient d'elle une gardienne inexorable de la pauvre reine.

Après avoir été contrainte par la violence de renoncer à la couronne en faveur de son fils, Marie Stuart fut soumise à une surveillance encore plus dure, de peur qu'elle ne s'adressât aux souverains étrangers pour réclamer leur appui, ou qu'elle ne concertât son évasion avec les amis qu'elle avait en Écosse. Enfermée dans une tour, au milieu d'une petite île où elle avait à peine un espace de soixante pieds pour se promener, elle ne pouvait écrire que pendant les repas ou le sommeil de ses gardiens, dont les filles couchaient même auprès d'elle.

Mais toutes ces précautions, dit Mignet, devaient être insuffisantes. Sa beauté, sa grâce, ses malheurs exerçaient un irrésistible pouvoir sur ceux qui l'approchaient. L'un des fils de Marguerite Erskine, George Douglas, se laissa gagner à sa douceur et toucher par ses afflictions. Bientôt même, épris de la séduisante prisonnière, qui ne découragea pas ses espérances, il résolut de la délivrer.

Une première fois, trompant la surveillance de sa mère, il fit sortir Marie Stuart du château, sous les vêtements de la blanchisseuse qui apportait son linge à Loch-Leven. La captive, ainsi déguisée, avait franchi toutes les portes sans être reconnue. Elle était entrée dans le bateau qui devait la conduire sur l'autre bord, où l'attendait George Douglas et quelques autres de ses partisans.

Elle se croyait sauvée........ Au milieu de la traversée, un des bateliers, croyant s'adresser à une fille de sa condition, voulut par plaisanterie lever son voile. Marie y porta vivement la main pour ne pas laisser voir son visage, et la blancheur et la beauté de cette main firent deviner au batelier que c'était la reine qu'il conduisait. Ainsi découverte, Marie fit bonne contenance : elle commanda aux bateliers, sous peine de la vie, de la déposer sur l'autre bord. Mais ceux-ci, redoutant plus la sévérité du laird de Loch-Leven que les menaces d'une reine détrônée, la ramenèrent dans la forteresse.

Après cette malheureuse tentative, George Douglas avait été renvoyé de l'île. Mais il y avait conservé des intelligences avec un jeune parent, un Douglas, lui aussi, enfant de quinze à seize ans, qui était resté dans le château et servait Marguerite Erskine en qualité de page.

La prisonnière, elle, désespérant de sa liberté, voyait devenir plus sévères chaque jour les mesures de surveillance que l'on prenait contre elle. Cherchant partout des soutiens, elle écrivait à la reine Élisabeth, à Catherine de Médicis et à Charles IV, pour les supplier d'avoir pitié d'elle et de lui venir en aide.

Au moment où elle se croyait ainsi condamnée à un emprisonnement sans fin, George Douglas, avec l'aide de son cousin, le jeune page, préparait son évasion, tandis qu'avertis par lui, les Seaton et les Hamilton, deux familles dévouées aux Stuarts, se tenaient prêts à recevoir la reine à sa sortie du château. Le dimanche 2 mai 1568 fut choisi pour cette seconde fuite, mieux concertée que la première.

Les repas se prenaient en commun à Loch-Leven, et, pendant que tout le monde mangeait, les portes de la forteresse étaient fermées et les clefs étaient placées sur la table, à côté du châtelain. Au repas du soir, le petit Douglas, en posant un plat devant le laird, réussit à s'emparer des clefs. Puis, quand tout le monde fut endormi, il conduisit Marie et sa suivante hors de la tour, ferma les portes du château derrière lui pour empêcher qu'on les poursuivit, plaça la reine et la femme qui l'accompagnait dans un petit esquif, et rama vigoureusement jusqu'à ce qu'ils eussent atteint l'autre bord, après avoir eu la précaution de jeter au milieu du lac les clefs du château.

Au moment de commencer l'aventureux voyage, le jeune homme avait fait un signal convenu en plaçant à une fenêtre une lumière qui pouvait être vue de l'extrémité la plus éloignée du lac, pour informer ses amis que le plan avait réussi. Aussi lord Seaton et plusieurs membres de la famille des Hamilton attendaient-ils les fugitifs à l'endroit du débarquement. La reine monta à cheval sur-le-champ et se dirigea en toute hâte sur Niddry, résidence des Seaton, dans le Lothian occidental, d'où elle se rendit, après quelques heures de repos, au château fort d'Hamilton. Elle y fut reçue par l'archevêque de Saint-André et le lord Claude, qui était allé à sa rencontre avec cinquante chevaux.

La nouvelle de cette évasion, dit Walter Scott, se répandit en Écosse avec la rapidité de l'éclair, et partout elle fut reçue avec enthousiasme. Le peuple se rappelait l'affabilité, la grâce, la beauté et les malheurs de Marie; s'il se souvenait de ses erreurs, c'était pour dire qu'elles avaient été assez sévèrement punies. Le dimanche, Marie était encore une triste captive, abandonnée sans recours dans une tour solitaire; le samedi suivant, elle se trouvait à la tête d'une puissante confédération neuf comtes, huit lords, neuf évèques et quantité de gentilshommes du plus haut rang s'étaient engagés à la défendre et à lui rendre sa couronne. On sait que ce rayon d'espoir ne devait luire qu'un instant.

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