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Je

ne puis rendre l'impression terrible que me fit cet événement.... Heureusement, en allant devant moi, je heurtai contre une pierre et je tombai. Le choc, en m'ébranlant avec violence, me rendit l'usage de mes sens. Aussitôt je me retournai, et je me mis à courir comme si tous les démons de l'enfer eussent été à ma poursuite. La terreur me prêtait des ailes. Je ne m'arrêtai que devant le grand pont d'Oundle, auprès duquel se trouvait le hangar qui m'avait servi d'asile.

Je m'y réfugiai une seconde fois. La vache et son veau n'y étaient plus. Affamé, exténué de fatigue, je m'étendis de nouveau sur le lit de paille : la nuit était close et il pleuvait à verse. Rien, pendant toute cette nuit, ne vint troubler mon repos. La pluie continuait, et les prairies qui m'environnaient formaient comme un lac autour de moi.

Vers les onze heures du matin, je pensai que ma situation était dangereuse, et pourtant je ne pouvais quitter mon asile par le temps qu'il faisait. J'examinai attentivement l'intérieur du hangar, et je vis que sur les solives qui formaient le plancher on avait jeté une vieille porte et quelques bottes de foin. Je grimpai sur les solives, et, plaçant le foin dans l'endroit le plus obscur du toit, je parvins à me ménager une retraite sure, une espèce de nid où j'allai me blottir. Je redescendis pour voir s'il était possible de me découvrir d'en bas, et lorsque j'eus la certitude que rien ne me trahirait, je remontai dans cet asile, et je fis un trou à la vieille porte et un second à la toiture, pour observer à mon aise ce qui se passait sur la grande route et dans le hangar.

Le carillon de l'église venait de sonner midi, quand, j' perçus trois soldats, la baïonnette au bout du fusil, s'avançant vers le hangar. Leur uniforme était celui d'un des corps chargés de la surveillance de la prison.

Je me sentis défaillir, et je me regardai comme perdu. Deux des soldats, qui ne voyaient qu'un hangar, ne soupçonnèrent pas qu'on eût pu s'y cacher et sortirent aussitôt sans s'arrêter; mais le troisième, qui entra après eux, frappa du bout de sa baïonnette la vieille porte sur laquelle je me trouvais ; il la perça et m'effleura le mollet de la jambe gauche. Par un nouveau miracle, il se trompa comme les deux premiers, ne soupçonna pas ma présence, et se retira avec eux. Si ces hommes m'avaient pris, ou j'aurais été fusillé, ou le plus affreux cachot m'aurait rendu la vie insupportable. Je remerciai Dieu d'un bonheur auquel je pouvais à peine ajouter foi; et, quoique tourmenté par la faim, je repris encore une fois mon courage et ma gaieté.

Résolu à ne voyager que la nuit, j'attendis avec impatience que la journée finît et me permit de quitter un poste dangereux et voisin de ma prison. Mon plan était de faire un long détour au nord et d'atteindre le point de la côte qui m'était indiqué.

Il fallait passer par Peterborough, ville que j'avais plus d'un motif de

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Coiffe d'un mouchoir rouge, le fugitif sortit du tas de paille où il était caché

et apparut soudain aux yeux du paysan terrifié.

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redouter d'abord parce qu'elle était proche de notre prison, ensuite parce qu'elle était remplie de soldats. Cependant il n'y avait pas à hésiter. Les indications jointes à ma carte me recommandaient surtout de ne pas m'engager dans le pays marécageux par lequel il m'aurait fallu passer, si j'avais voulu échapper aux dangers de Peterborough. Ma résolution fut prise, et, avant de partir, je commençai par graver dans ma mémoire tous les noms des villages que je devais rencontrer sur ma route.

A neuf heures, je quittai mon asile, et je m'acheminai vers Oundle, dont je repassai le grand pont; les rues étaient plongées dans les ténèbres, et je profitai de cette obscurité pour les traverser avec célérité.

Je suivis de mon mieux les instructions de ma carte, que j'avais apprises par cœur, et, quelques milles plus loin, j'entrai dans Peterborough, dont la cathédrale gothique jetait sur moi son ombre épaisse et gigantesque.

L'horloge sonnait trois heures; sentant qu'il n'y avait pas de temps à perdre, je continuai ma route sans m'arrêter un seul instant et je m'engageai dans le labyrinthe de ces rues étroites, dont les détours m'égarèrent plusieurs fois. Après avoir longtemps erré dans ce dédale, je trouvai enfin une issue. La grande route que je cherchais se présenta à mes regards: je n'avais plus qu'à côtoyer la rivière Nen et à suivre son cours, qui décrit une ligne presque directe, pour atteindre le but de mes désirs.

Pour la première fois depuis mon évasion, je me crus certain du succès. J'étais bien sûr que la prison était derrière moi; je commençais à me fier au sort: c'était de l'espérance, c'était presque du bonheur.

Suivant toujours le plan que j'avais formé, je continuai à voyager la nuit et à me reposer le jour. Au lever de l'aurore, j'aperçus dans un champ, sur ma droite, une grange isolée où j'allai me cacher. Je me recouvris de paille, et je dormis jusqu'au soir. Vers les cinq heures, un homme entra dans la grange, une fourche à la main. Son intention apparente était d'enlever de la paille pour la donner à des bœufs qui se trouvaient dans une cour voisine; je me cachai et je n'eus que le temps de me tapir sous la paille; malheureusement, il dirigea sa fourche précisément vers l'endroit où j'étais blotti; et, quand je vis qu'il allait me toucher, et peut-être me blesser, je soulevai lentement ma tête, toute couverte de chaume. J'étais coiffé d'un mouchoir de poche rouge et, soit que le paysan ait cru voir une tête ensanglantée, ou qu'il m'ait pris pour un fantôme, il s'offrit à mes yeux sous des traits que je n'oublierai de ma vie. Les cheveux hérissés, les yeux hors de la tête, la fourche immobile, il semblait pétrifié de surprise et d'effroi. Je devinai ce qui se passait chez lui, et, continuant le mouvement lent et progressif qui l'avait épouvanté, j'essayai d'augmenter sa terreur en poussant le cri le plus lugubre que jamais homme ou animal ait proféré. A cet exploit se joignit un mouvement majestueux et

solennel de la main gauche, mouvement qui ordonnait au paysan de sortir. Il réunit alors tout ce qui pouvait lui rester de forces; il s'élança comme un trait, franchit trois ou quatre fossés sans regarder derrière lui, et, toujours courant avec la rapidité du lévrier le plus agile, disparut à mes yeux.

Ce grotesque incident m'amusa quelques minutes, tout en m'avertissant du danger de mon asile et de la nécessité d'en sortir; après une courte délibération, je quittai la grange et je continuai ma route, observant attentivement tout ce qui m'entourait. Cette partie de l'Angleterre, avec ses quais, ses jetées, ses levées, ses canaux et ses digues, ressemble beaucoup à la Hollande. Le terrain était sans accident; d'un côté s'étendaient les eaux de la Nen; de l'autre des marais et des prairies immenses.

Pour atteindre la ville de Wisbeach, j'avais encore près de seize milles à faire. Je ménageai mon temps et calculai mes pas de manière à n'y arriver que le soir.

Wisbeach est une petite ville maritime, quoiqu'elle soit située à quelque distance de la côte. En traversant le pont, j'entrevis les mâtures de plusieurs vaisseaux, et mon cœur tressaillit de joie quand je pensai que chaque minute m'approchait de la mer. Plusieurs matelots se trouvaient dans les rues, et leurs regards curieux s'attachèrent sur moi avec une attention marquée qui me causa quelque inquiétude. Aussi ne songeai-je plus qu'à en sortir.

Quelques soldats qui passèrent auprès de moi rendirent mes alarmes plus vives encore. Je ne tardai cependant pas, grâce aux excellentes instructions de ma carte, à me trouver hors de danger; devant moi s'ouvrait une route excellente. Cependant, mes frayeurs duraient toujours, et, dès que j'eus passé la barrière de l'octroi, je me mis à courir pendant plusieurs milles, jusqu'au moment où l'excès de la fatigue et de la faim me força de ralentir mon pas. Je traversai heureusement quelques bourgades, et je me trouvai sur une nouvelle jetée qui côtoyait un canal.

Il était environ neuf heures du soir, quand je parvins à l'extrémité d'un village dont la dernière maison était construite sur le penchant de la jetée, de manière que je pouvais, de la grande route, toucher les fenêtres du second étage. J'admirai quelque temps cette construction singulière; mais ce qui fixa bien plus sérieusement mon attention, ce fut l'étalage de la boutique (car c'en était une): longtemps, je contemplai avidement les pains et les fromages qui s'y trouvaient exposés et offerts à la curiosité des acheteurs. Il y avait dans la chambre une lumière qui éclairait à mes yeux tous les objets qui s'y trouvaient; je restai les bras croisés devant la fenêtre, regardant avec anxiété ces objets, d'ailleurs vulgaires, mais qui excitaient si vivement ma convoitise et mon appétit.

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