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par le Rhin, en Hollande. Munis d'un laissez-passer fabriqué par un camarade alsacien, ils parvinrent à traverser la ligne des sentinelles; puis, une fois à l'abri des regards indiscrets, ils revêtirent des habits de paysan qu'on leur avait procurés et, en toute hate, se dirigèrent vers le fleuve.

La température était rigoureuse le Rhin charriait des glaçons en si grande quantité que les ponts de bateaux qui reliaient ordinairement l'île à Wesel avaient été supprimés. Heureusement, les fugitifs trouvèrent sur la rive une barque avec ses avirons, amarrée par une chaîne cadenassée à un pieu solidement planté. Faire sauter le cadenas n'était pas chose difficile et, quelques instants après, nos sous-officiers s'éloignaient de l'ile, ramant avec toute la vigueur que donne l'espoir de la délivrance.

Mais les glaçons se présentaient de plus en plus nombreux, entouraient l'embarcation et la heurtaient au point de donner la crainte qu'elle ne se brisat sous le choc. A un moment même, une barrière de glace leur interdit d'avancer plus loin sur le fleuve. Il fallut abandonner l'idée de remonter le Rhin en bateau et tâcher de revenir sur la rive. Pour arriver jusque-là, les malheureux éprouvèrent les plus grandes difficultés. Les glaçons, retenus par les hautes herbes et par les arbrisseaux, s'étaient accumulés près des bords et formaient une barrière presque infranchissable; partis à six heures du soir, les fugitifs atteignaient la rive à trois heures du matin, n'ayant parcouru que deux kilo

mètres.

Le plus sage était d'abandonner la barque et de suivre à pied, en s'en éloignant le moins possible, les bords du Rhin.

A peine se mettaient-ils en route que la neige commença de tomber abondamment, ce qui rendit leur marche encore plus pénible. Au point du jour, comme ils atteignaient une forêt de pins, ils décidèrent d'y prendre quelque repos; mais, sous peine de geler, il leur fallut bientôt se remettre en mouvement. Une autre souffrance non moins grande vint s'ajouter à celle que leur causait le froid: la faim; les malheureux n'avaient pu emporter aucune provision de bouche. Cependant, la prudence leur commandait de résister au froid et à la faim: allumer du feu, c'était attirer l'attention; la fumée aurait bientôt décelé leur présence; demander à manger en frappant à la porte de la première habitation, c'était risquer de tomber chez des hôtes plutôt disposés à les trahir qu'à les héberger. Ils se trouvaient à quelques kilomètres à peine du lieu de leur détention et les plus grandes précautions s'imposaient s'ils ne voulaient pas compromettre leur liberté. Aussi nos fugitifs passèrentils tout le jour dans le bois de sapins, allant et venant, sans pouvoir rester assis longtemps à cause du froid.

A la nuit, ils se remirent en marche et atteignirent, au bout de deux heures, un village dont toutes les maisons étaient déjà closes. A bout de forces,

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Les glaçons les empéchant d'avancer, les sous-officiers regagnèrent la rive.

mourant de faim, ils se décidèrent à demander du secours; mais personne ne répondit à leurs appels : car aucun d'eux ne parlait l'allemand. Poussés par la nécessité, ils entrèrent, sans en demander la permission, dans la dernière chaumière du village et firent comprendre par signe qu'ils avaient besoin de manger. Soit par pitié, soit par crainte, on leur donna du pain, qu'ils emportèrent en se sauvant, dans la crainte qu'on ne se mit à leur poursuite.

A deux cents mètres du village, les sous-officiers rencontrèrent une ligne de chemin de fer qui, d'après une carte de la région dont l'un d'eux avait pu se munir, leur indiquait le chemin le plus court pour pénétrer en Hollande : ils côtoyèrent la voie en s'en écartant le moins possible, s'arrêtant et se cachant dès qu'un bruit de pas frappait leurs oreilles.

Chemin faisant, un accident faillit les perdre: le sergent-major tomba dans un trou dont l'ouverture se trouvait dissimulée par la neige. La douleur qu'il ressentit de sa chute lui fit perdre connaissance. Ses camarades s'empressèrent autour de lui. Quand le malheureux revint à lui, on le mit debout et on s'assura que fort heureusement encore il n'avait que quelques contusions légères. Une heure après, on pouvait se remettre en route, en soutenant le blessé qui traînait la jambe.

Au milieu de la nuit, les voyageurs rencontraient une grange abandonnée dans laquelle ils se reposèrent quelques instants; puis il fallut repartir. Au point du jour, nouvelle halte d'une heure, cette fois dans une ferme hospitalière, dont le propriétaire se montra très humain et leur donna de quoi se

restaurer.

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Le jour suivant, le temps devint affreux les bourrasques de neige qui se succédaient sans interruption ne permettaient pas de voir devant soi; les sous-officiers qui, jusqu'alors, n'avaient marché que pendant la nuit, de peur d'attirer l'attention sur eux, jugèrent l'occasion propice pour se rapprocher de la frontière sans crainte d'être vus. Mais il leur restait deux points dangereux à traverser, les bourgs manufacturiers d'Istelburg et d'Anholt. Ils essayèrent de les contourner; mais les canaux des fabriques les en empêchèrent et, une fois encore, ils furent contraints de se réfugier dans un bois de pins pour y attendre la nuit. Leurs pieds meurtris les faisaient horriblement

souffrir.

Nos sous-officiers traversèrent Istelburg à la faveur de l'obscurité. A la sortie d'Anholt, un pont-levis leur ferma la route. Il fallut revenir sur ses pas et chercher un autre point de passage. Enfin, ils atteignaient la frontière, qu'ils traversèrent entre deux postes de douaniers. Il était temps: torturés par la faim, harassés de fatigue, les fugitifs étaient à bout de forces et leur faiblesse les rendait incapables d'un nouvel effort, si petit qu'il fût.

En Hollande, on les accueillit cordialement; après s'y être reposés pendant quatre jours, ils gagnèrent Lille, où ils demandèrent à être de nouveau incorporés dans l'armée.

Après la Guerre Civile

Tentative d'Evasion & Evasion de
M. Henri Rochefort

(1871-1874)

ous n'avons pas ici à retracer l'histoire de l'insurrection du 18 mars 1871: on

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sait qu'elle se termina par l'exécution ou la condamnation des chefs et des soldats de la Commune. C'est ainsi que M. Henri Rochefort fut, au mois de septembre 1871, condamné par le troisième conseil de guerre de Versailles à la déportation dans une enceinte fortifiée. Il fut alors interné provisoirement au fort Boyard, près de la Rochelle, et c'est de là qu'il tenta d'abord de s'évader. Nous empruntons le récit de celle tentative à son ouvrage les Aventures de ma vie'.

M

ON premier projet d'évasion, qu'un exécrable hasard fit avorter, présentait cependant les chances de succès les plus réelles. C'était moi qui l'avais conçu, et voici comment il avait été mis à exécution.

J'avais, dans l'ombre de ma casemate coupée en deux par une énorme pièce de huit qui allongeait son museau hors du sabord, rédigé à l'adresse de Mme Saint-Ch..., amie intime de mes sœurs, une lettre détaillée et explicative sur le plan du fort, dont je donnais en outre le dessin.

A marée basse, le brise-lame, qui avançait comme la proue d'un navire, était complètement hors de l'eau. Par une nuit noire, un canot pouvait done y aborder assez facilement, la surveillance de notre côté étant à peu près nulle. Si le capitaine d'un bateau, soit français, soit étranger, consentait, moyennant une somme débattue, à venir nous attendre dans sa baleinière auprès du terre-plein du brise-lame, nous ne devions éprouver que peu de difficultés à descendre de notre sabord au moyen de nos draps solidement roulés et attachés à l'affût du canon.

1. Paris, 1896-1898 (Paul Dupont, éditeur).

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