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Les clefs, jetées dans le lac par le page, y furent retrouvées en 1805 par un pêcheur elles sont déposées à Kinross. On appelle encore éminence de Marie l'endroit où la reine fugitive débarqua sur la rive méridionale

du lac.

L

Un Episode de la Saint-Barthélemy Caumont de La Force

(1572)

'histoire du jeune Caumont de La Force est assurément l'un des épisodes les plus dramatiques et les plus instructifs de la Saint-Barthélemy. Elle ne nous retrace pas seulement l'une des horribles scènes qui remplirent cette nuit sinistre et les journées qui l'ont suivie; elle nous fait pénétrer dans l'intérieur d'une de ces grandes familles, divisées, comme la France elle-même, par les luttes religieuses, et au sein desquelles les affections naturelles durent compler avec les calculs les plus légitimes de la prudence, ou parfois avec les suggestions de la cupidité.

François de Caumont, seigneur de Castelnau, né en 1524, était l'un des gentilshommes huguenots qui avaient suivi à Paris la reine de Navarre, Jeanne d'Albret, lorsqu'elle y vint pour y conclure le mariage de son fils, le prince de Béarn, le futur Henri IV, avec la sœur de Charles IX.

Sa femme, qui lui apporta en dot la seigneurie de la Force, avait, d'un premier mariage, une fille, qui, ayant épousé M. de Larchant, capitaine des gardes de Catherine de Médicis, devint elle-même dame d'honneur de cette reine. L'un de ses frères avait épousé une sœur du maréchal de Biron, grand-maître de l'artillerie. François lui-même eut deux fils : l'aîné, Armand, périt, on va le voir, avec son père; le second, Jacques-Nompar, devait être l'un des compagnons les plus dévoués d'Ilenri IV et mourir duc et pair et maréchal de France en 1652, à plus de quatre-vingt-dix ans : il est à la fois le héros et le narrateur du récit qui va suivre et que nous empruntons à ses Mémoires.

François de Caumont demeurait, lors du massacre de la Saint-Barthélemy, près de la rue de Seine. Quand les égorgeurs y pénétrèrent, on le sollicita de s'enfuir avec l'un de ses frères et quelques gentilshommes protestants. Mais son fils aîné était convalescent et hors d'état de le suivre. Il se résolut donc à s'enfermer chez lui avec ses deux enfants. Sa maison est bientôt entourée de soldats. Il offre alors au chef de la troupe deux mille écus de rançon et obtient qu'on les transporte, ses fils et lui, dans une maison de la rue des Petits-Champs, où ils restent tous trois sous la garde de deux Suisses. Caumont d'ailleurs a dû promettre qu'aucun d'eux ne chercherait à s'échapper, et, dès lors, esclave de sa parole, il résiste aux offres de salut qui lui sont faites par ses gardiens eux-mêmes.

Le lendemain matin, le comte de Coconas, l'odieux favori du duc d'Alençon, frère du roi, se présente avec une compagnie de soldats et intime l'ordre à Caumont de le

suivre au Louvre avec ses enfants. Caumont, qui devine son dessein, proteste d'abord, alteste la foi jurée en échange de la rançon qu'il a promise; Coconas n'écoute rien : « il les fait sortir de la maison, ayant chacun deux hommes à leurs côtés, el commence alors à les mener à la tuerie », dit énergiquement Jacques-Nompar. Mais laissons-lui tout à fait la parole.

་་

E père marchait le premier; son fils aîné ensuite, et le cadet venait le

L dernier. Étant arrivés au fond de la rue des Petits-Champs, près le

rempart, les soldats crièrent: Tue! Tue!

On donne d'abord plusieurs coups de poignard à l'aîné des enfants, qui s'écrie en tombant :

« Ah! mon Dieu, je suis mort! »>

Le père, se retournant vers son fils, est aussitôt percé de coups. Le plus jeune, couvert de sang, mais qui, par un miracle, n'avait point été atteint, s'écria aussi, comme inspiré du ciel : « Je suis mort! » et en même temps il se laissa tomber entre son père et son frère, qui, bien que par terre, reçurent encore force coups, tandis que lui n'eut pas seulement la peau percée. Dieu le protégea si visiblement que, quoique les meurtriers les dépouillassent et les laissassent tous nus et sans chemises, ils ne reconnurent jamais qu'il y en avait un qui n'avait aucune blessure.

Comme ils crurent les avoir achevés, ils se retirèrent en disant :

« Les voilà bien tous trois. »

Si le corps du jeune Caumont ne fut point frappé, son esprit fut en récompense cruellement agité; car on lui a ouï dire que son père avait demeuré longtemps à expirer et qu'il l'entendit plusieurs fois sangloter. Quelle angoisse et quelle perplexité de se trouver entre un père et un frère cruellement massacrés, et dont les sanglots étaient autant de coups de poignard qui lui perçaient le cœur! Et, s'il considérait l'avenir, que devait-il en attendre? Quelle espérance selon le monde pouvait-il concevoir? Car, quoique Dieu l'eût préservé jusque-là, il voit bien que, sans un miracle aussi marqué que le premier, il ne peut se sauver et se garantir de la furie enragée d'un peuple mutiné. Il demeura ainsi tout nu, jusqu'à ce que, sur les quatre heures du soir, ceux des maisons voisines sortant, soit par curiosité, soit dans le désir de profiter de ce que les bourreaux pouvaient avoir laissé, s'approchent pour visiter les corps. Un marqueur du jeu de paume de la rue Verdelet, voulant lui arracher un bas de toile qui lui était resté à une jambe, le retourna, car il avait le visage contre terre, et, le voyant si jeune, s'écria :

« Hélas! celui-ci n'est qu'un pauvre enfant; n'est-ce pas grand dommage? Quel mal pouvait-il avoir fait ? »

Ce qu'oyant le jeune Caumont, il leva doucement la tête et lui dit tout bas

« Je ne suis pas mort; je vous prie, sauvez-moi la vie. »

Mais soudain, lui mettant la main sur la tète :

«Ne bougez, dit-il, car ils sont encore là.»>

Ce qu'il fit; et ledit homme, se promenant par là peu de temps après, s'en revint à lui et lui dit :

« Levez-vous, car ils s'en sont allés. »><

Et soudain lui jeta un manteau sur les épaules, car il était tout nu, et, faisant semblant de le frapper, le fait marcher devant lui.

Qui menez-vous donc là? demandèrent les voisins.

C'est mon petit neveu qui est ivre et que je fouetterai à bon escient », répondit le marqueur.

Il le conduisit ainsi chez lui, passant devant plusieurs corps de garde, car il y en avait encore à tous les coins de rue, et le mena tout au haut de sa maison, dans une petite chambre où sa femme et son neveu se trouvaient : là il le fit cacher dans la paille de son lit.

Un peu après, ledit marqueur s'étant aperçu qu'il avait quelques bagues au doigt, il se mit à lui représenter qu'il était si pauvre qu'il n'avait pas seulement de quoi lui donner à manger et lui demanda ses bagues. Le jeune Caumont de La Force les donna toutes, à la réserve d'un seul diamant, qu'il gardait parce qu'il venait de sa mère; ce que la femme du marqueur ayant entendu, lui dit que, puisqu'on lui sauvait la vie, il était bien juste qu'il donnât tout. Il eut beau répondre qu'il ne pouvait se défaire de cette bague, parce que, venant de sa mère, elle servirait à le faire reconnaître : cette femme opiniâtre la voulut absolument, et dit que, si on ne la lui donnait pas, elle le ferait reprendre. Alors il la lui donna, et, quand elle l'eut, elle lui apporta alors un morceau à manger et une chopine de vin. Après quoi, le marqueur lui demanda ce qu'il voulait devenir et lui offrit de le conduire partout où il voudrait aller.

Il pria que ce fût au Louvre, où il avait une sœur nommée Mme de Larchant, qui était auprès de la reine. A cela le marqueur répondit :

« Mon enfant, je n'oserais vous mener là; même il y a tant de corps de garde à passer que quelqu'un vous reconnaîtrait et qu'on nous tuerait tous

deux. »

Lors le jeune de La Force lui proposa de le mener à l'Arsenal, où logeait sa tante, Mme de Brisambourg, à quoi le marqueur accéda plus volontiers, disant :

<«< Cela est bien loin, mais je vous mènerai plutôt là; car j'irai tout le long des remparts et nous ne rencontrerons personne. »

Le matin, dès le plus petit point du jour, il lui donna de mauvaises chausses de toile toutes crasseuses, le pourpoint de même, et le manteau qu'il

lui avait prêté la veille, avec un méchant bonnet rouge, sur lequel il avait mis une croix de plomb. Équipé de la sorte, il le conduisit par-dessus les remparts jusqu'à l'Arsenal. Ils arrivèrent à la première porte que le jour était à peine commencé; mais comme ladite porte se trouvait fort éloignée des bâtiments, le jeunede La Force dit à celui qui l'avait si heureusement conduit : <«< Demeurez ici : je vous renverrai les habits que vous m'avez prêtés, avec les trente écus que je vous ai promis.

Il demeura longtemps à la porte, n'osant pas heurter, de crainte qu'on ne demandat qui il était. Au bout de quelque temps, quelqu'un venant à sortir, il s'avança dextrement sans qu'on lui dit rien; il traversa donc toute la première basse-cour et s'en alla jusqu'au droit du logis, regardant s'il ne voyait personne de sa connaissance; car il jugeait bien que, sous ses mauvais accoutrements, on ne le laisserait point entrer. Il n'osait dire son nom, craignant de rencontrer quelque bourreau de l'espèce de ceux auxquels il avait échappé.

Il est à propos de mentionner ici qu'un page du sieur de La Force s'était sauvé au moment du massacre il se nommait La Vigerie, mais dans la maison on l'appelait l'Auvergnat, pour le distinguer d'avec son frère. Lorsque Coconas eut fait sortir M. de La Force et ses fils de la maison où deux Suisses les gardaient, un de ces Suisses dit au page :

<«< Sauvez-vous, car on va dépêcher ceux-ci. »

Il se sauva; mais il s'arrêta à quelques pas de là jusqu'à ce qu'il eût entendu crier: Tue! Tue! et qu'il eût vu tomber le père et ses deux enfants. Il se retira la même nuit à l'Arsenal, et il lui fut d'autant plus facile d'échapper qu'il portait une livrée semblable à celle du comte de La Marck, qui était un des chefs du massacre, et ainsi ledit Auvergnat disait à tous les corps de garde :

« Je suis un page du comte de La Marck, et je vais trouver de sa part M. le maréchal de Biron à l'Arsenal. »

Aussitôt arrivé, il se rendit auprès de Mme de Brisambourg et lui raconta comme il avait vu tuer M. de La Force et ses deux enfants, ce qui fut un sujet de grande affliction à cette bonne dame, leur tante et veuve d'un de leurs oncles.

Nous avons laissé le jeune de La Force fort en peine de savoir comment il ferait pour entrer dans l'Arsenal; Dieu lui suscita un moyen qui fut que, comme on ouvrait la porte, il aperçut l'Auvergnat, qu'il appela par son nom; mais il n'en cut point de réponse, soit que, le croyant mort, il ne reconnût pas sa voix, soit qu'il ne l'entendit point. On rouvrit une seconde

1. Au droit, en face.

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Quand les soldats se furent éloignés, l'homme jeta un manteau sur les épaules

du jeune Caumont de la Force.

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