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alla joindre le fils du seigneur de La Châtre, le baron de Maison. Celui-ci l'attendait au delà du Cher, avec trois cents chevaux, qui l'accompagnèrent jusqu'à Bourges, où il fut reçu avec de grandes démonstrations d'allégresse.

Prisonnière & Mère de Roi

Marie de Médicia

(1619)

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Le rème au e règne réparateur d'Henri IV avait guéri les maux des guerres civiles. Mais au lendemain de la mort de ce prince, la jeunesse, puis la faiblesse de son fils Louis XIII, l'avidité et la turbulence des nobles et de la reine-mère, Marie de Médicis, faisaient renaître les troubles : le désordre ne devait prendre fin que le jour où la main puissante de Richelieu s'emparerait définitivement du gouvernement de l'État. En attendant, la France eut à subir tour à tour la toule-puissance scandaleuse d'un Concini, la politique à courte vue du duc de Luynes, et, sans cesse, en faveur du premier ou à l'encontre du second, les intrigues de la reine-mère.

Notre récit se place au moment où Concini vient d'être assassiné et remplacé au pouvoir par de Luynes. Marie de Médicis, après la chute de son favori, tente en vain d'attendrir le roi, son fils, sur son sort : il lui faut abandonner la cour et se retirer au château de Blois. Retraite, exil, prison, pourrait-on dire. Car de Luynes la fil entourer d'espions et posta, dans tous les villages voisins, des compagnies de cavalerie pour surveiller ses moindres mouvements.

C'est alors que le véritable chef du parti des grands, depuis que le duc de Condé était à la Bastille, le duc d'Épernon, trouva profitable aux intérêts de son parti et de la lulle qu'il soutenait contre le pouvoir royal de se constituer le défenseur, le champion de Marie de Médicis et d'unir la cause des nobles à celle de la mère du roi. Il offrit à la prisonnière d'aider à son évasion et de la recueillir dans un de ses gouvernements: car il avait à la fois les Trois-Évêchés (Metz, Toul et Verdun), le Boulonnais, la Touraine, la Normandie, l'Angoumois, l'Aunis et la Saintonge. Le marquis de Fontenay-Mareuil, compagnon d'enfance de Louis XIII et, plus tard, diplomate avisé, nous a laissé dans ses Mémoires tout le récit de l'affaire. C'est ce récit que nous allons tour à tour reproduire et résumer.

ELUI qui disposa M. d'Épernon à cette entreprise, dit Fontenay-Mareuil, fut M. de Rucellai, lequel ne pensait qu'à rendre service à la reinemère, et particulièrement pour sa liberté, qu'il désirait passionnément. Et, comme il ne jugeait personne plus propre pour y contribuer que M. de

Bouillon', tant pour la réputation où il était et pour sa place de Sedan, où il pourrait lui donner retraite, que pour le crédit qu'il avait parmi les huguenots, dont on pourrait être obligé de se servir, en un voyage qu'il fit à Blois, incognito, le proposa-t-il à la reine, et eut d'elle la permission de lui en parler, et de lui promettre tout ce qui serait à propos pour cela.

Ce qu'ayant fait, quoique avec beaucoup de peine, parce qu'il fallut y aller de nuit et tout seul de peur d'être découvert, M. de Bouillon s'en excusa, disant qu'étant vieux, en mauvaise santé, et assez bien avec le roi, il voulait jouir de la grâce qu'il lui avait faite après la mort du maréchal d'Ancre et achever ses jours en repos, mais qu'il y avait M. d'Épernon, nouvellement venu à Metz, fort mal satisfait de M. de Luynes, lequel, ayant beaucoup de santé et de grands établissements dans le royaume, y serait bien plus propre que lui. »

Rucellai en écrivit à la reine-mère, et, ayant obtenu son consentement à cet égard, fit faire des propositions à d'Épernon, qui les accueillit d'abord avec assez de méfiance, puis se laissa persuader, et, ayant fait venir chez lui Rucellai, « l'y tint quelques jours enfermé pour parler à loisir de tout ce qu'il faudrait faire; et puis le renvoya à la reine pour lui dire et l'assurer que, pourvu qu'elle pût sortir du château de Blois et passer seulement le pont sur la rivière de Loire, qu'il se trouverait de l'autre côté avec telle compagnie que, malgré les chevau-légers (car ils y étaient encore alors) et tout ce qui s'y pourrait opposer, il la mènerait à Angoulême et partout où il serait nécessaire d'aller ».

La reine fit savoir à Rucellai que c'était chose facile, et celui-ci pressa d'Épernon de hâter l'exécution de leur projet ; mais d'Épernon voulut absolument remettre l'entreprise au mois de février de l'année suivante.

De Luynes, toujours soupçonneux et désirant pénétrer les sentiments de la reine, lui dépêcha un homme dont il était sûr pour lui dire que le roi irait à Blois au premier jour et la ramènerait avec lui; l'envoyé devait aussi faire de la part de Luynes des protestations de service fort expresses, assurer la reine qu'elle serait traitée à l'avenir comme elle pourrait désirer, et particulièrement « bien observer tant ses paroles que son visage et celui de toutes les personnes qui l'approcheraient, pour voir s'il n'y aurait rien de changé ». Mais pas un des gens de la reine ne savait encore rien de ses desseins; et, pour elle, elle joua si bien son rôle que l'agent de Luynes revint persuadé qu'elle attendait impatiemment le roi, « et ne demandait, pour être bien avec M. de Luynes, qu'à oublier toutes choses ».

1. Le calviniste Henri de La Tour d'Auvergne, qui fut le père de Turenne, et qui tenait, de son mariage avec Charlotte de La Marck, le duché de Bouillon et la principauté de Sedan. Il avait alors soixante-quatre ans, et devait mourir quatre ans plus tard.

D'Épernon, ayant pris toutes ses mesures, se rendit à Confolens, où l'archevêque de Toulouse l'attendait avec plus de deux cents de ses amis, mais il n'y trouva pas de nouvelles de la reine-mère comme il s'y attendait. Cependant «< il était trop engagé pour s'en dédire : c'est pourquoi il ne laissa pas d'aller à Loches, et d'envoyer au même temps M. du Plessis1 à la reinemère pour l'avertir de son arrivée et savoir ce qu'elle voulait faire; pendant quoi elle n'était pas sans inquiétude de n'avoir point de lettres, et de ne savoir rien de ce qui se passait. Mais enfin M. du Plessis étant arrivé et lui ayant dit comme M. d'Épernon était à Loches, et tout si bien disposé qu'elle pourrait s'en aller quand il lui plairait, elle se résolut de le faire dès la nuit

même.

Ce fut alors seulement qu'elle s'en découvrit au comte de Brennes, son premier écuyer, à La Masure et Merçay, exempts de ses gardes, et à la signora Catherine, sa première femme de chambre, auxquels seuls elle se confia, commandant au comte de Brennes de se trouver devant' cinq heures du matin à la porte de sa chambre, et que son carrosse, avec six chevaux, fùt en même temps au delà du pont; et, pour les autres, elle les retint auprès d'elle pour faire ses paquets et serrer ses pierreries.

« Avec ces trois hommes donc et une seule femme de chambre, le 22 février, à six heures du matin, sortant par la fenêtre d'une salle qui répond sur3 la terrasse, de laquelle, parce qu'il y avait un endroit de la muraille qui était tombé, on pouvait facilement descendre en bas et aller au pont sans passer par la porte du château ni par la ville, ce qu'elle fit en s'asseyant et se laissant glisser sur la terre, qui était éboulée; après quoi elle fut sur le pont, où elle rencontra deux hommes qui passaient déjà, dont l'un, à ce qu'elle-même disait, la voyant menée par deux autres à une heure si indue, en fit un fort mauvais jugement; mais l'autre, plus spirituel, la reconnut, et, jugeant bien qu'elle se sauvait, lui souhaita bon voyage.

« Au bout du pont elle trouva son carrosse, et, y montant avec ceux qui l'accompagnaient, alla à Montrichard, où M. de Toulouse, ne se croyant pas obligé d'aller plus en avant, s'était arrêté pour s'assurer du passage de la rivière du Cher. M. d'Épernon fut au-devant d'elle jusqu'à une lieue de Loches. Elle y séjourna deux jours pour se reposer et écrire au roi. De là elle se rendit à Angoulême.

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C'est dans cette ville que devait être signée, deux mois plus tard, la paix que ménagea entre le roi et sa mère l'habile diplomatie de Richelieu, ou,

1. Le futur cardinal de Richelieu, qui partageait alors la disgrâce de la reine-mère. 2. Devant, avant.

3. Répond sur, a vue sur.

pour parler, comme notre auteur, de M. du Plessis, qui préparait ainsi sa rentrée aux affaires.

Pendant le troubles de Hollande L'Evasion de Grotiu

(1621)

sait que la première moitié du XVIIe siècle fut, pour la république des Pro

Ovinces Unies, une période de luttes intestines, politiques et religieuses: lutte entre

les républicains groupés autour du grand-pensionnaire de Hollande et les partisans du stathoudéral ou du gouvernement militaire de la maison d'Orange; lutte aussi entre les doctrines libérales des disciples du théologien Arminius et le calvinisme intolérant des disciples de Gomar. Au reste, les orangistes étaient en même temps gomaristes; les républicains étaient arminiens. Par deux fois, ces troubles dégénérèrent en tragédies sanglantes. On sait comment, en 1672, les frères de Will furent massacrés par les partisans de Guillaume d'Orange. Cinquante-trois ans auparavant, le grand-oncle de ce prince, le stathouder Maurice de Nassau, avait fait mettre à mort, comme arminien, le grand-pensionnaire Barneveldt.

Après Barneveldt, l'homme le plus considérable du parti républicain était alors l'illustre érudit Hugo de Groot, plus connu sous le nom latin de Grotius. Lui aussi, il fut traduit en jugement et condamné à la confiscation de ses biens et à la prison perpétuelle. Il fut enfermé au château de Lævenstein, près de Gorcum : il avait alors (1619) trente-six ans.

É

TROITEMENT gardé, Grotius n'avait, dans sa prison, d'autre consolation que l'étude et la compagnie de sa femme, Marie de Reygesberg, qui avait demandé la permission de le visiter. On lui accorda l'autorisation d'entrer dans la prison de son mari, mais en lui signifiant que, si elle en sortait, on ne l'y laisserait plus rentrer. Plus tard cependant on lui permit de sortir deux fois par semaine.

Cette captivité durait déjà depuis dix-huit mois, lorsque Muys van Holi, un des ennemis déclarés de Grotius et qui avait été son juge, avertit les ÉtatsGénéraux qu'il avait reçu de bonne part l'avis que leur prisonnier cherchait les moyens de se sauver. On envoya un agent à Lovenstein pour examiner ce qui s'y passait; mais il ne trouva rien qui pût faire croire que l'avis fùt motivé. Il était vrai cependant que Marie de Reygesberg n'était occupée que d'un seul projet, celui de procurer la liberté à son mari.

On avait permis à Grotius d'emprunter des livres à des amis. Lorsqu'il les avait lus, il les renvoyait dans un coffre, où l'on mettait aussi son linge, que l'on envoyait blanchir à Gorcum.

La première année, les gardes de la prison visitaient exactement le coffre lorsqu'il était emporté de Lævenstein; mais, accoutumés à n'y voir que des livres et du linge, ils se lassèrent de l'examiner et ne prirent pas la peine

de l'ouvrir.

La femme de Grotius remarqua cette négligence et conçut la pensée de la mettre à profit. Elle confia son dessein à son mari et lui persuada de tenter sa délivrance en se mettant dans le coffre. Auparavant, et afin de ne pas l'exposer à être privé d'air, elle pratiqua des trous étroits et difficiles à apercevoir du dehors vers l'une des extrémités du coffre, et elle obtint de lui qu'il s'y renfermat plusieurs fois, en y restant autant de temps qu'il en fallait pour aller de Lævenstein à Gorcum; pour elle, elle se tenait assise sur le coffre afin d'éprouver pendant combien de temps il pourrait supporter cette posture gênée. Quand il en eut pris une habitude suffisante, elle ne songea plus qu'à profiter d'une occasion favorable.

Cette occasion se présenta bientôt. Le commandant de la forterese s'absenta pour affaire de service. La femme de Grotius alla rendre visite à la commandante, et, dans la conversation, elle lui dit qu'elle voudrait bien renvoyer un coffre plein de livres ; que son mari était très faible et qu'elle s'inquiétait en le voyant travailler avec tant d'application.

Après avoir ainsi prévenu la commandante, elle retourna dans la chambre de son mari et l'enferma dans le coffre. Un valet et une servante étaient dans la confidence, et la femme de Grotius fit courir le bruit que son mari ne se portait pas bien, afin qu'on ne fût pas surpris de ne pas le voir. Deux soldats emportèrent le coffre, et l'un d'eux, le trouvant plus pesant qu'à l'ordinaire, dit :

« Il faut qu'il y ait quelque arminien là-dedans.

La femme de Grotius répondit froidement :

«En effet, il y a des livres arminiens.

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On fit descendre le coffre par une échelle avec beaucoup de peine.

Le même soldat insista pour qu'on ouvrit le coffre, afin de voir ce qu'il contenait; il alla même chez la femme du commandant et lui dit que la pesanteur du coffre lui faisait penser que quelque chose de suspect y était enfermé et qu'il serait à propos de l'ouvrir. La commandante ne le voulut pas, soit que son intention fût de fermer complaisamment les yeux, soit par négligence: elle répondit qu'il n'y avait que des livres dans ce coffre, ce que lui avait assuré la femme de Grotius, et qu'on pouvait le porter au bateau.

d'après

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