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naïve et héroïque simplicité, qu'il est séduisant ; c'est par là qu'il mérite de demeurer non seulement comme un récit d'évasion célèbre vraiment exemplaire, mais comme un excellent document sur les mœurs de la société mérovingienne.

THIERRY et Childebert, fils de Clovis, avaient fait alliance, s'étaient

T

promis sous serment de ne pas marcher l'un contre l'autre el avaient regu mutuellement des otages l'un de l'autre pour mieux faire exécuter leurs conventions verbales. Or, il se trouvait, dans cette livraison d'otages, beaucoup de fils de sénateurs. Mais, la désunion s'étant élevée de nouveau entre les deux rois, les olages furent réduits en servitude, et ceux qui les avaient reçus en garde s'en firent des esclaves. Cependant beaucoup s'échappèrent el retournèrent dans leur pays: un petit nombre seulement d'entre eux se virent retenus.

Parmi ceux-ci se trouvait Attale, neveu du bienheureux Grégoire, évêque de Langres. Vendu comme esclave au nom de l'État, il fut destiné à garder les chevaux et adjugé à un certain barbare qui habitait le pays de Trèves. Le bienheureux Grégoire envoya à sa recherche des serviteurs, qui, l'ayant découvert, offrirent des présents à cet homme; mais il les refusa en disant :

« Celui-ci, issu d'une si haute origine, doit payer dix livres d'or pour sa

rangon. »

Au retour des envoyés, un nommé Léon, attaché à la cuisine de l'évêque, lui dit :

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Plût à Dieu que tu m'en donnasses la permission! Peut-être serais-je en état de ramener ton neveu de captivité.

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L'évêque se réjouit, et Léon fut envoyé sur les lieux. Il essaya d'abord d'enlever secrètement le jeune homme; mais il ne put pas.

Alors, prenant un homme avec lui, il dit :

Viens me vendre dans la maison de ce barbare, et le prix de celle vente sera ton bénéfice. Tout ce que je veux, c'est d'avoir le moyen d'exécuter plus facilement ce que j'ai résolu. »

Le marché ayant été conclu sous serment, l'homme y alla, le vendit douze écus d'or et se refira. Or, l'acheteur s'informa de ce que savait faire son serviteur, qui n'était pas encore au fait de sa maison, et celui-ci répondit :

« Je suis très habile à apprêter tout ce qui doit être servi sur la table des maîtres, et je ne crains pas qu'on puisse trouver mon pareil dans cette science. Je le dis avec vérité : quand même tu voudrais traiter le roi, je suis en état d'apprêter un festin royal. »

Le maître dit alors:

« Le jour du soleil approche (c'est ainsi que la barbarie a coutume de

nommer le dimanche); ce jour-là, j'inviterai dans ma maison mes voisins et mes parents, et je désire que tu me prépares un repas qui excite leur admi

ration.... >>

Quand brilla le jour du dimanche, l'esclave servit un grand et somptueux festin.... Le maître accorda dès lors sa faveur à cet esclave et celui-ci prit autorité sur tout ce dont son maître disposait.

Après un intervalle d'un an, comme le maître avait pleine confiance en lui, Léon s'en alla dans un pré qui était très voisin de la maison avec Attale, l'esclave gardeur de chevaux ; puis, se couchant à terre loin de lui, chacun le dos tourné, afin qu'on ne vît pas qu'ils causaient ensemble, il dit au jeune homme :

Il est temps que nous pensions à notre pays; je t'avertis donc que, cette nuit, lorsque tu auras mené les chevaux à l'écurie, tu ne te laisseras pas aller au sommeil ; mais dès que je t'appellerai, sois prêt et partons.

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Le barbare avait invité, ce soir-là, beaucoup de ses parents et notamment son gendre. A minuit, les convives se levant de table pour se livrer au repos, Léon suivit le gendre de son maître avec un breuvage et lui présenta à boire dans son logis. Le gendre l'apostropha alors en ces termes :

<«< Dis donc, toi, l'homme de confiance de mon beau-père, en supposant que tu en aies le pouvoir, quand auras-tu le vouloir de prendre ses chevaux el de t'en aller dans ton pays? » Ce qu'il disait par plaisanterie pour s'amuser, Léon, faisant de même, répondit, en riant, la vérité.

«

C'est, dit-il, ce que je compte faire cette nuit, si Dieu le veut.

Plaise au ciel, reprit l'autre, que mes serviteurs fassent bonne garde, afin que tu n'emportes rien de mes affaires! »

Et ils se séparèrent en riant.

Pendant que tout le monde dormait, Léon appela Attale et, les chevaux sellés, il lui demanda s'il avait une épée :

« Je n'ai rien qu'une petite lance », répondit-il.

Alors Léon, entrant dans l'appartement de son maître, lui prit son bouclier et sa framée, et, comme celui-ci demandait qui était là, et ce qu'on lui voulait :

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Je suis Léon, ton serviteur, répondit l'esclave, et j'éveille Attale afin qu'il se lève promptement et mène les chevaux au pâturage; car il est appesanti par le sommeil comme un ivrogne.

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Fais comme tu veux... répondit le maître, et, en disant cela, il se rendormit.

Léon sortit, munit d'armes le jeune homme, et trouva ouvertes, par une faveur du ciel, les portes de la cour que, pour la sûreté des chevaux, on avait fermées à l'entrée de la nuit avec des clous enfoncés à coups de mar

teau. Il en rendit grâces à Dieu, et ils s'éloignèrent, emmenant aussi le reste des chevaux et emportant leurs effets dans une valise.

Arrivés à la Moselle, ils furent arrêtés par la présence de quelques personnes et forcés d'abandonner leurs chevaux et leurs effets; ils gagnèrent l'autre rive en nageant, étendus sur leurs boucliers. Puis, grâce à l'obscurité de la nuit, ils s'enfoncèrent dans une forêt et se cachèrent.

La troisième nuit était arrivée depuis qu'ils marchaient sans avoir pris aucune nourriture. Alors, par la permission de Dieu, ayant trouvé un prunier chargé de fruits, ils mangèrent et, un peu sustentés, ils entrèrent sur la route de Champagne. Comme ils s'avancent, ils entendent un piétinement de chevaux qui galopent.

« Couchons-nous à terre, dirent-ils, pour n'être pas vus des gens qui viennent. »

Tout à coup se présenta à eux un grand buisson de ronces; ils passent derrière et se jettent à terre, l'épée à la main, afin que, s'ils étaient découverts, ils fussent prêts à se défendre. Arrivés en cet endroit, les cavaliers s'arrêtèrent devant le buisson, et l'un d'eux se mit à dire :

Quel malheur que ces misérables se sauvent sans qu'on puisse les retrouver! mais je jure par mon salut que, si on parvient à les prendre, je ferai pendre l'un et hacher l'autre en morceaux à coup d'épée.

C'était le barbare, leur maître, qui était parti à leur recherche, et il les aurait certainement rencontrés en route si la nuit ne l'en cùt empêché. Les chevaux se mirent en marche et s'éloignèrent.

Léon et Attale atteignirent Reims cette nuit même; et lorsqu'ils y furent entrés, ils trouvèrent un homme auquel ils demandèrent où était la maison du prêtre Paul. Cet homme la leur indiqua.

Comme ils traversaient la place, la cloche sonna matines; car c'était un dimanche. Ils frappèrent à la porte du prêtre, entrèrent chez lui, et Léon lui fit savoir qui était son maître.

«Ma vision se vérifie, dit le prêtre : car, cette nuit, je voyais deux colombes venir en volant se poser sur ma main.

Que le Seigneur nous pardonne, reprit l'esclave, de ne pas observer son saint jour': nous vous prions de nous donner quelque nourriture, car voilà la quatrième fois que le soleil se lève sans que nous ayons goûté ni pain ni viande. >>

Le prêtre cacha les deux jeunes gens, leur donna du pain trempé dans du vin, et s'en alla à matines.

Le barbare à son tour arriva, cherchant toujours ses esclaves; mais il s'en

1. Car on ne devait manger, le dimanche, qu'après la messe,

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Cachés derrière un buisson, Attale et son compagnon

entendirent les menaces des cavaliers chargés de les poursuivre.

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