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ordinaire, il ne le témoigna pas.... La reine et lui parlèrent fort honnêtement de l'aventure et ne firent qu'en rire, disant que M. de Beaufort avait bien fait.

La dernière Aventure

du Cardinal de Retz

(1654)

était à la fin de l'année 1652. La Fronde était définitivement vaincue. Le 21 octobre, le roi était rentré dans Paris, que les massacres de l'Hôtel-deVille, ordonnés naguère par Condé, avaient achevé d'épouvanter et de détacher de la cause des princes révoltés. Dès le début de novembre, Condé, qui venait d'ailleurs de passer à l'Espagne, était déclaré criminel de lèse-majesté. Quant au cardinal de Relz, l'ancien favori du peuple de Paris, il se croyait protégé et par sa dignité et par sa popularité. Il fut déçu dans son espoir : le 19 décembre, il était arrêté au Louvre et conduit à Vincennes, sans que personne s'émûl en sa faveur.

Son emprisonnement ne met pas fin d'ailleurs à ses intrigues. Il noue toutes sortes de négociations pour recouvrer sa liberté. Ses tentatives restent vaines jusqu'au moment où meurt son oncle, l'archevêque de Paris, dont il était le coadjuteur et le successeur désigné (mars 1654). C'est alors qu'en renonçant à celle succession, le cardinal obtint d'être transféré au château de Nantes, sous la garde du maréchal de La Meilleraye.

Celui-ci en usa d'une manière singulièrement courtoise à l'égard de son prisonnier. « On ne pouvait rien ajouter, dit le cardinal lui-même, à la civilité avec laquelle il me garda. Tout le monde me voyait; on me cherchait même tous les divertissements possibles : j'avais presque tous les soirs la comédie; toutes les dames s'y trouvaient ; elles y soupaient souvent. » Mais, ajoute-t-il, « l'exactitude de la garde fut égale à l'honnêteté : on ne me perdait jamais de vue que quand j'étais retiré dans ma chambre ». A la porte de cette chambre, six soldats étaient postés jour et nuit, et le corps de garde était dans la cour au bas de la fenêtre.

C'est dans ces conditions que le cardinal, avec la complicité de quelques amis, résolut de s'évader, d'autant plus qu'on lui faisail craindre qu'il ne fût, s'il tardait, transporté à Brest. Il avait d'abord songé à s'en aller dans un coffre, mêlé aux bagages de son parent le duc de Brissac. Puis le moyen lui ayant, à la réflexion, paru peu sûr, il forma un autre plan, qu'il ne tarda pas à mettre à exécution. Aussi bien, c'est lui qui va nous raconter son aventure.

E m'allais quelquefois promener sur une manière de ravelin qui répond

J sur la rivière de Loire ; et j'avais observé que, comme nous étions au

1. Sur une espèce de bastion qui a vue sur.

mois d'août, la rivière ne battait pas contre la muraille et laissait un petit espace de terre entre elle et le bastion. J'avais aussi remarqué qu'entre le jardin qui était sur ce bastion et la terrasse sur laquelle mes gardes demeuraient quand je me promenais, il y avait une porte que Chalucet' y avait fait mettre pour empêcher les soldats d'y aller manger son verjus. Je formai sur ces observations mon dessein, qui fut de tirer, sans faire semblant de rien, cette porte après moi. Étant à jour par des treillis, elle n'empêchait pas les gardes de me voir, mais elle les empêchait au moins de pouvoir venir à moi. Ceci fait, je comptais me faire descendre par une corde que mon médecin et l'abbé Rousseau, frère de mon intendant, me tiendraient, et faire trouver des chevaux au bas du ravelin et pour moi et pour quatre gentilshommes que je faisais état de mener2 avec moi.

Ce projet était d'une exécution très difficile. Il ne se pouvait réaliser qu'en plein jour entre deux sentinelles, qui n'étaient qu'à trente pas l'une de l'autre, à la portée d'un demi-pistolet, et qu'à la vue de mes six gardes qui me pouvaient tirer à travers les barreaux de la porte. Il fallait que les quatre gentilshommes qui devaient venir avec moi et favoriser mon évasion, fussent bien justes à se trouver au bas du ravelin, parce que leur apparition pouvait aisément donner de l'ombrage. Je ne me pouvais pas passer d'un moindre nombre, parce que j'étais obligé de passer par une place qui est toute proche et qui était le promenoir ordinaire des gardes du maréchal.

Si mon dessein n'eût été que de sortir de prison, il eût suffi d'avoir des égards nécessaires à tout ce que je viens de marquer; mais, comme il s'étendait plus loin, et que j'avais formé celui d'aller droit à Paris et d'y paraître publiquement, j'avais encore d'autres précautions à observer, qui étaient, sans comparaison, plus difficiles. Il fallait que je passasse en diligence de Nantes à Paris, si je ne voulais être arrêté par les chemins où les courriers du maréchal de La Meilleraye ne manqueraient pas de donner l'alarme; il fallait que je prisse mes mesures à Paris même, où il m'était aussi important que mes amis fussent avertis de ma marche qu'il me l'était que les autres n'en fussent point informés....

Il n'y eût eu rien de plus extraordinaire dans notre siècle que le succès d'une évasion comme la mienne, si elle se fût terminée à me rendre maître de la capitale du royaume, en brisant mes fers. Tout ce plan fut renversé en un moment, quoique aucune des machines sur lesquelles il était bati n'eût manqué.

Je me sauvai un samedi 8 d'août, à cinq heures du soir; la porte du

1. Le gouverneur du château.

2. Je comptais mener.

3. Je ne pouvais pas me contenter.

petit jardin se referma après moi presque naturellement; je descendis, un bâton entre les jambes, très heureusement du bastion, qui avait quarante pieds de haut. Un valet de chambre, qui est encore à moi, qui s'appelle Fromentin, amusa mes gardes en les faisant boire. Ils s'amusaient euxmêmes à regarder un jacobin' qui se baignait et qui, de plus, se noyait. La sentinelle qui était à vingt pas de moi, mais en un lieu d'où elle ne pouvait pourtant me joindre, n'osa me tirer, parce que, lorsque je lui vis compasser2 sa mèche, je lui criai que je le ferais pendre s'il tirait; et il avoua, à la question, qu'il crut, sur cette menace, que le maréchal était de concert avec moi. Deux petits pages, qui se baignaient et qui, me voyant suspendu à la corde, crièrent que je me sauvais, ne furent pas écoutés, parce que tout le monde s'imagina qu'ils appelaient les gens au secours du jacobin qui se baignait.

Mes quatre gentilshommes se trouvèrent à point nommé au bas du ravelin où ils avaient fait semblant de faire abreuver leurs chevaux, comme s'ils eussent voulu aller à la chasse. Je fus à cheval moi-même avant qu'il y eût eu seulement la moindre alarme; et, comme j'avais quarante relais posés entre Nantes et Paris, j'y serais infailliblement arrivé le mardi à la pointe du jour, sans un accident que je puis dire avoir eu une influence fatale et décisive sur le reste de ma vie.

Aussitôt que je fus à cheval, je pris la route de Mauve, qui est, si je ne me trompe, à cinq lieues de Nantes, sur la rivière, et où nous étions convenus que M. de Brissac et M. le chevalier de Sévigné m'attendraient avec un bateau pour la passer. La Ralde, écuyer de M. le duc de Brissac, qui marchait devant moi, me dit qu'il fallait galoper d'abord pour ne pas donner le temps aux gardes du maréchal de fermer la porte d'une petite rue du faubourg où était leur quartier, et par laquelle il fallait nécessairement passer. J'avais un des meilleurs chevaux du monde, et qui avait coûté mille écus à M. de Brissac. Je ne lui abandonnai pas toutefois la main, parce que le pavé était très mauvais et très glissant ; mais un gentilhomme à moi, qui s'appelait Boisguérin, m'ayant crié de mettre le pistolet à la main, parce qu'il voyait deux gardes du maréchal, qui ne songeaient pourtant pas à nous, je l'y mis effectivement ; et, en le présentant à la tête de celui de ces gardes qui était le plus près de moi pour l'empêcher de se saisir de la bride de mon cheval, le soleil, qui était encore haut, donna dans la platine'; la réverbération fit peur à mon cheval, qui était vif et vigoureux; il fit un grand soubresaut et 1. Voir la note 1 de la page 21.

2. Ajuster.

3. Beau-frère de la célèbre marquise.

4. Pièce plate, qui, mue par un mécanisme, mettait la mèche enflammée en contact avec l'amorce.

il retomba des quatre pieds. J'en fus quitte pour l'épaule gauche qui se rompit contre la borne d'une porte. Un gentilhomme à moi, appelé Beauchesne, me releva; il me remit à cheval, et, quoique je souffrisse des douleurs effroyables et que je fusse obligé de me tirer les cheveux de temps en temps pour m'empêcher de m'évanouir, j'achevai ma course de cinq lieues avant que M. le grand-maître 1, qui me suivait à toute bride, m'eût pu joindre.

Je trouvai au lieu destiné M. de Brissac et M. le chevalier de Sévigné, avec le bateau; je m'évanouis en y entrant. L'on me fit revenir en me jetant un verre d'eau sur le visage.

Je voulus remonter à cheval quand nous cùmes passé la rivière; mais les forces me manquèrent et M. de Brissac fut obligé de me faire mettre dans une fort grosse meule de foin, où il me laissa avec un gentilhomme à moi, appelé Montet, qui me tenait entre ses bras. Il emmena avec lui Joly, qui, seul avec Montet, m'avait pu suivre, les chevaux des trois autres ayant manqué, et il tira droit à Beaupréau, en dessein d'y assembler la noblesse pour me venir tirer de ma meule de foin....

J'y demeurai caché plus de sept heures, avec une incommodité que je puis exprimer. J'avais l'épaule rompue et démise; j'y avais une contusion terrible; la fièvre me prit sur les neuf heures du soir; la soif qu'elle me donnait était encore cruellement augmentée par la chaleur du foin nouveau. Quoique je fusse sur le bord de la rivière, je n'osais boire, parce que, si nous fussions sortis de la meule, Montet et moi, nous n'eussions eu personne pour raccommoder le foin qui eût paru remué et qui eût donné lieu par conséquent à ceux qui couraient après moi d'y fouiller. Nous n'entendions que des cavaliers qui passaient à droite et à gauche.... L'incommodité de la soif est incroyable et inconcevable à qui ne l'a pas éprouvée.

M. de La Poise Saint-Offanges, homme de qualité du pays, que M. de Brissac avait averti en passant chez lui, vint, sur les deux heures après minuit, me prendre dans cette meule de foin, après qu'il eût remarqué qu'il n'y avait plus de cavaliers aux environs. Il me mit sur une civière à fumier, et il me fit porter par deux paysans dans la grange d'une maison qui était à lui, à une lieue de là. Il m'y ensevelit encore dans le foin; mais comme j'y avais de quoi boire, je m'y trouvai même délicieusement.

M. et Mme de Brissac m'y vinrent prendre au bout de sept ou huit heures avec quinze ou vingt chevaux, et ils me menèrent à Beaupréau, où je ne demeurai qu'une nuit et jusques à ce que la noblesse fùt assemblée. M. de Brissac était fort aimé dans tout le pays; il mit ensemble, dans ce peu

1. Le grand-maître de l'artillerie, fils du maréchal de La Meilleraic.

2. Secrétaire du cardinal de Retz.

de temps, plus de deux cents gentilshommes. M. de Retz', qui l'était encore plus dans son quartier, le joignit à quatre lieues de là avec trois cents. Nous passâmes presque à la vue de Nantes, d'où quelques gardes du maréchal sortirent pour escarmoucher. Ils furent repoussés vigoureusement jusque dans la barrière, et nous arrivâmes à Machecoul, qui est dans le pays de Retz, avec toute sorte de sûreté 2.

Charles Deux, roi d'Angleterre

(1651)

etenue prisonnière, ainsi que nous l'avons raconté3, par la noblesse écossaise Ꭱ Marie Stuart dut abdiquer le pouvoir royal en faveur de son fils Jacques V1, alors âgé d'un an. Trente-six ans plus tard, quand mourut Élisabeth d'Angleterre, persécutrice et bourreau de Marie Stuart, ce fut, par une destinée singulière, ce fils de sa victime qui se trouva être le plus proche héritier, étant son arrière-cousin, de la défunte souveraine. C'est ainsi qu'un Stuart monta, en 1603, sur le trône des Tudor el joignil sur sa tête les deux couronnes d'Angleterre et d'Écosse.

Nous n'avons pas à rappeler ici les faiblesses du règne de Jacques VI et l'excès de ses prétentions au pouvoir absolu. Supérieur à son père par l'intelligence et par la force de volonté, Charles I, qui lui succéda (1625), apporta sur le trône les mêmes théories politiques. Son règne fut une longue lutte contre le Parlement: elle se termina, on le sait, par la victoire de ce dernier, la mort de Charles I, la proclamation de la République et le protectorat de Cromwell.

Mais dès que Charles Io eut été exécuté (16-19), son fils aîné Charles II, qui avait précédemment gagné le continent avec sa mère, revendiqua son titre de roi légitime, et passa en Ecosse, pays qui lui était resté fidèle, pour se mettre à la tête d'une armée et reconquérir le trône d'Angleterre. Coup sur coup les victoires de Cromwell à Dunbar (1650) et à Worcester (1651) vinrent ruiner ses espérances. Après celle dernière défaite, il dut s'enfuir el errer plus d'un mois dans l'ouest el le sud de l'Angleterre avant de pouvoir retourner en France. Il a laissé lui-même un journal complet de sa fuite et des péripéties qu'elle présente, et nous allons lour à tour citer son récit, et le résumer ou le compléter d'après l'Histoire d'Angleterre de Lingard.

E

N voyant la bataille perdue', la première pensée de Charles II fut de gagner Londres avant que la nouvelle de sa défaite y fùt parvenue, s'il

1. Frère aîné du cardinal. Le pays de Retz, dont Machecoul était la ville principale, occupait une partie du département actuel da la Loire-Inférieure.

2. De Machecoul, le cardinal gagna sans difficulté Belle-Isle, puis Saint-Sébastien, et enfin Rome. Il ne rentra en France qu'après la mort de Mazarin.

3. Voir page 22.

4. Worcester (13 septembre 1651).

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