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était possible; mais les personnes de sa suite ne furent pas de cet avis et luimême reconnut bientôt que l'entreprise ne pouvait être tentée.

Il lui fallait se débarrasser du grand nombre de cavaliers qui l'accompagnaient et qui constituaient un péril bien plus qu'une sauvegarde. Il y parvint peu à peu, grâce à la fatigue qui les fit rester en arrière pour la plupart.

Mais de quel côté maintenant se diriger? Charles, encore suivi d'une soixantaine de gentilshommes ou d'officiers, marcha dans la direction de Wolverhampton, traversa pendant la nuit et sans être aperçu une ville voisine, occupée par un détachement de l'armée républicaine, et gagna, sur l'avis d'un de ses fidèles, un endroit nommé White-Ladys, maison écartée appartenant à une honnête famille du nom de Penderell, composée de cinq frères, qui tous concoururent à sauver le roi proscrit, avec le courage et le désintéressement le plus admirable. Au moment où Charles arrivait en ce lieu, un paysan vint lui dire que trois mille hommes de sa cavalerie étaient. près de là, mais dans le plus grand désordre. La suite du roi le pressait pour qu'il se joignît à eux et cherchàt ainsi à regagner l'Écosse; mais il jugea sagement la chose impossible.

« Ceci, dit-il, me fit prendre la résolution de me déguiser et de tâcher de gagner Londres à pied sous les habits d'un paysan et vêtu d'un haut-dechausse de gros drap gris, d'un pourpoint de cuir et d'un justaucorps vert, que je pris dans la maison de White-Ladys; je coupai de plus mes cheveux très court et jetai mes propes vêtements dans un puits, afin que personne ne pût s'apercevoir que quelqu'un s'en était dépouillé. Je ne communiquai mon projet à personne qu'à lord Wilmot; tous les autres me prièrent de ne pas leur faire connaître mes desseins, de peur des aveux qu'ils pourraient être contraints à faire.

« Lord Wilmot se dirigea donc vers Londres; les autres gens de qualité et officiers qui m'avaient suivi allèrent joindre les trois mille cavaliers débandés et, presque aussitôt après leur réunion à cette troupe, furent mis en déroute par un simple détachement de cavalerie.

« Dès que je fus déguisé, je pris avec moi l'un des Penderell, Richard, et, le lendemain matin, nous quittâmes la maison. Je me trouvai bientôt dans un grand bois et me tins sur la lisière, le plus près possible du chemin, afin de mieux reconnaître ceux qui nous poursuivaient.

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Un corps de cavalerie passa sur la route; mais, peut-être parce qu'il plut toute la journée, personne ne s'avisa de fouiller ce bois, où Charles passa le jour entier sans nourriture. Son compagnon, Richard Penderell, ne connaissait pas la route de Londres, et cette circonstance contribua à faire changer au roi son itinéraire.

La nuit venue, ils gagnèrent, non sans difficultés, la demeure d'un gentilhomme du nom de Wolf, à qui Penderell fit connaître un peu imprudemment. le nom du fugitif qui lui demandait asile. Wolf les reçut avec empressement et loyauté. La maison était surveillée, les cachettes connues, pour avoir trop souvent servi dans ces temps de proscription; le roi fut caché dans une grange. La nuit suivante il revint sur ses pas et gagna la demeure d'un des frères de Penderell, où il sut que Wilmot était réfugié dans le voisinage et qu'il y avait aussi près de là un certain major Careless, qu'il connaissait comme digne de toute confiance. Il le fit venir et, lui ayant demandé conseil :

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« Il serait également dangereux pour Votre Majesté, lui dit Careless, soit de demeurer dans la maison où elle se trouve, soit de se jeter dans le bois; car l'ennemi le fouillera certainement. Je ne connais qu'un moyen de passer la journée de demain, c'est de monter sur un grand chêne placé au milieu d'une jolie plaine bien ouverte : de là nous pourrons tout voir autour de nous. » J'approuvai cette idée, continue Charles II; Careless et moi nous partîmes donc, emportant avec nous, pour toute la journée, une légère provision de pain, de fromage et de petite bière, mais rien de plus; et nous montâmes sur le grand chêne : ébranché trois ou quatre ans auparavant, il avait repoussé depuis et était devenu si gros et si touffu que l'œil ne pouvait percer à travers; nous y restames le jour entier. Et, de là, nous pûmes voir des soldats aller et venir dans le plus épais du bois pour chercher ceux qui auraient pu s'y sauver, et de temps en temps regarder hors du bois. »

Ce chêne devint célèbre dans la suite sous le nom de Chêne royal, et finit par disparaître, enlevé, dit-on, morceau à morceau' par les jacobites.

Après qu'on se fut concerté avec Wilmot, caché dans le voisinage, et le colonel Lane, qui demeurait près de là, il fut convenu que Charles voyagerait comme domestique d'une sœur de ce dernier.

« La nuit suivante, dit le roi, je partis pour me rendre chez le colonel Lane; j'y changeai mes vêtements contre un habit un peu meilleur et plus convenable à un homme de service. C'était un surtout de drap gris. Le lendemain, mistress Lane et moi nous nous mîmes en route pour Bristol. Mais nous n'eûmes pas marché deux heures que la jument que je montais perdit un de ses fers. Nous nous vimes donc forcés d'en aller chercher un dans un village écarté.

<< Tout en tenant le pied de mon cheval, je questionnais le maréchal sur ce qu'il y avait de nouveau.

« Rien que je sache, me dit-il, depuis l'excellente nouvelle de la défaite de « ces coquins d'Écossais.

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1. A titre de souvenir vénérable. Les jacobites sont les partisans des Stuarts: ils sont ainsi appelés du nom de Jacques Ier, fondateur de la dynastie en Angleterre.

« Je lui demandai encore si l'on n'avait donc pas mis la main sur quelquesuns des Anglais qui s'étaient joints aux Écossais.

« Je n'ai pas entendu dire, répondit-il, qu'on se fùt emparé de ce scélérat « de Charles Stuart; on a pris quelques-uns des autres, mais non pas lui.

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Pour ce coquin-là, dis-je, si on le tenait, il mériterait plus que tous les

« autres d'être pendu pour avoir amené les Écossais dans le royaume. »> « A cela il s'écria que c'était parler en brave homme et nous nous séparames ainsi. »

Après d'autres aventures assez menaçantes, ils arrivèrent dans la maison. de M. Norton, parent de mistress Lane. Le roi y fut présenté par elle au sommelier Pope comme son domestique, malade et digne d'intérêt.

Le lendemain, pendant qu'il déjeunait avec quelques gens de service, un de ces hommes se mit à faire une description si détaillée de la bataille de Worcester, que Charles le prit pour un soldat de l'armée royale, et, en continuant à le questionner, il apprit qu'il avait en effet fait partie du régiment des gardes.

« Je lui demandai, dit-il, quel homme était le roi; il me répondit en me faisant une exacte description des vêtements que je portais et du cheval que je montais dans l'action; puis, me regardant, il ajouta que le roi était d'au moins trois pouces plus grand que moi. Je me hâtai de quitter la sommellerie: j'étais en effet beaucoup plus effrayé que rassuré à la pensée que cet homme avait été l'un de mes propres soldats. »

Charles apprit quelques instants après que Pope, le sommelier, l'avait reconnu. Mais cet homme lui ayant été donné pour honnête et incapable de trahison, il jugea sagement que le plus sûr était de se confier à lui. Pope se mit dès lors tout entier à ses ordres et lui rendit les plus grands services.

Au moment où le roi allait partir pour se rendre chez un de ses partisans, la maîtresse de la maison, mistress Norton, se sentit tout d'un coup très souffrante. Impossible de trouver un prétexte plausible pour que mistress Lane quittât en ce moment sa parente. On s'avisa alors de fabriquer une lettre adressée à mistress Lane et lui annonçant que son père était dangereusement malade. Ainsi motivé, le départ eut lieu avec sécurité, et les fugitifs arrivèrent à Trent, chez un des fidèles partisans du roi, le colonel Franck Wyndham. Tandis qu'il y était, Charles, entendant sonner les cloches en signe de réjouissance, s'informa du motif, et apprit qu'un cavalier de l'armée de Cromwell se vantait d'avoir tué le roi et de porter son justaucorps.

Cependant Wyndham avait nolisé un navire, et Charles, accompagné de ce gentilhomme et d'une dame Coningsby, était allé attendre le bâtiment au point où il devait s'embarquer. Le navire n'ayant point paru, on se dirigea vers Burport, l'endroit le plus proche.

«En y arrivant, dit Charles II, nous vimes les rues pleines d'habits rouges.

C'étaient quinze cents soldats de Cromwell. A cette vue, Wyndham, troublé, me demanda ce que je prétendais faire.

Il nous faut, répondis-je, entrer effrontément dans la meilleure auberge de la ville et y demander la meilleure chambre.... »

Nous nous rendimes donc à cheval dans la plus fameuse auberge de l'endroit ; nous en trouvâmes la cour remplie de soldats. Je mis pied à terre, et, prenant les chevaux par la bride, je pensai que le mieux était de me jeter à l'étourdie au milieu de la foule et de conduire nos montures à l'écurie à travers les soldats; je le fis, et eux se mirent fort en colère de ma grossièreté. »

Arrivé dans l'écurie, Charles se trouva en présence d'un nouveau danger. Le palefrenier prétendit le reconnaître pour un ancien camarade, qu'il avait connu à Exeter. Le roi eut assez de présence d'esprit pour profiter de cette demi-méprise et répondit:

« C'est vrai, j'ai été au service de M. Potter; mais je suis pressé en ce moment: mon maître va à Londres et reviendra bientôt; à mon retour, nous renouvellerons connaissance devant un pot de bière. »

Peu de temps après, le roi et sa suite rejoignirent lord Wilmot hors de la ville; mais le maître du vaisseau qu'on avait retenu, cédant aux craintes de sa femme, se refusa à remplir ses engagements. Charles reprit, consterné, le chemin de Trent. Un autre vaisseau, qu'on s'était procuré à Southampton, fut saisi par les autorités pour un transport de troupes, et des bruits mystérieux qui circulaient aux environs rendirent périlleux un séjour plus prolongé chez Wyndham.

Le roi trouva alors près de Salisbury, à Heale, un asile où il resta cinq jours, pendant lesquels le colonel Gunter, par l'entremise d'un négociant royaliste, nommé Mansel, arrêta un bâtiment charbonnier qui se trouvait à New-Shoreham. Charles se rendit à la hâte à Brighton, où il soupa ayec Gunter, Mansel et le maître du bâtiment, un certain Tattershall.

A table, Tattershall tint ses yeux fixés sur le roi; puis, après souper, prenant Mansel à part, il se plaignit d'avoir été trompé : le gentleman habillé en gris, dit-il, était le roi; il le connaissait bien, ayant été pris par lui, puis relâché avec bonté, lorsque, comme prince de Galles, Charles commandait la flotte royale, en 1648.

Le roi fut promptement informé de cette conjoncture, et, pour plus de sûreté, il trouva moyen de retenir ses convives à boire et à fumer le reste de la nuit.

Avant son départ, comme il était seul dans une chambre, l'aubergiste entra et, passant derrière lui, lui baisa la main qui s'appuyait sur le dos d'une chaise en disant :

« Je ne doute pas, si je vis, que je ne devienne un lord et ma femme une lady. »

Charles se mit à rire, pour montrer qu'il avait compris, et rejoignit la compagnie dans l'autre pièce.

A quatre heures du matin, le 16 octobre, ils se rendirent tous à Shoreham. Quand Charles et Wilmot, qui seul l'accompagnait plus loin, furent dans la barque, Tattershall tomba aux genoux du roi et lui jura que, quelle que pût en être la conséquence, il le conduirait sain et sauf sur les côtes de France. Le bâtiment, aidé de la marée, se dirigea vers l'ile de Wight comme s'il faisait route pour Deal, sa prétendue destination. Mais, vers cinq heures du soir, Charles, ainsi qu'il en était convenu avec Tattershall, s'adressa aux hommes de l'équipage. Il leur dit que son compagnon et lui étaient des négociants en faillite qui fuyaient leurs créanciers, les pria de se joindre à lui pour décider le patron à les conduire en France et, comme dernier argument, leur donna vingt shillings pour boire. Tattershall fit beaucoup d'objections; mais, à la fin, avec une répugnance apparente, il se dirigea vers les côtes de France.

Au point du jour, on aperçut la ville de Fécamp, et en même temps se découvrit au vent une voile suspecte que l'on crut être un corsaire d'Ostende. C'était un caboteur français; mais, sans attendre qu'on s'en fùt assuré, la chaloupe fut mise à la mer et les deux fugitifs furent conduits sains et saufs dans le port.

Le Granda Marina

du Dix-Septième Siècle

e XVIIe siècle, fut pour notre marine, une période glorieuse. C'est le grand titre

L de Seignelay, le fils de Colbert, à notre reconnaissance, que d'avoir fait de

son

notre flotte la plus belle et la plus puissante de l'Europe. Sa mort prématurée (1690) fut une perte pour l'État. Mais, à défaut d'un administrateur qui sut continuer œuvre, la France trouva, pendant les trente dernières années du règne de Louis XIV, une ressource nouvelle dans le courage de ses hardis corsaires, les Jean Bart (1651-1702) et les Duguay-Trouin (1673-1736).

Point de noms plus populaires dans notre pays; nul besoin, par conséquent, de dessiner ici la physionomie de ces héros. Quiquéran de Beaujeu, officier de la marine royale et chevalier de Malte dès 1637, est moins connu de la postérité. Rappelons

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