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donc qu'il appartenait à une famille assez illustre, et qu'un de ses neveux, frère de celui dont il sera question dans le récit suivant, fut évêque de Castres en 1705 et se fit connaître à la fois par son zèle charitable et par son éloquence.

C'est précisément à un Éloge de l'évêque de Castres lu en 1736 à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, dont ce prélat était membre, par le savant de Boze, secrétaire perpétuel, que nous empruntons le récit de l'aventure de Quiquéran de Beaujeu. Celle de Jean Bart nous est contée par M. Ad. Badin, dans son Histoire de Jean Bart, d'après les Mémoires du chevalier de Forbin, autre héros de nos guerres maritimes. Enfin c'est Duguay-Trouin lui-même qui nous fait connaître, dans ses Mémoires, les détails de sa captivité et de son évasion.

PAC

Quiquéran de Beaujeu

(1671)

AUL-ANTOINE Quiquéran de Beaujeu, chevalier de Malte, s'était acquis la réputation d'un des premiers hommes de mer de son temps par le nombre et le bonheur de ses combats contre les Turcs.

Au mois de janvier 1660, la tempête l'ayant obligé de relâcher dans un mauvais port de l'Archipel, il y fut investi et attaqué par les trente galères de Rhodes, que le capitan pacha Mazamet commandait en personne. Il en soutint le feu pendant un jour entier, et n'y succomba qu'après avoir épuisé toutes ses munitions et perdu les trois quarts de son équipage.

Il était chargé de fers, et on le menait comme en triomphe, quand une nouvelle tempête, beaucoup plus violente que la première, s'éleva et mit la flotte victorieuse en tel danger que Mazamet se vit réduit à implorer le secours de son prisonnier, et ce ne fut pas en vain. Le chevalier de Beaujeu le sauva par l'habileté de sa manœuvre et le pénétra de tant d'estime et de reconnaissance que, voulant le sauver à son tour, il supprima sa qualité de chevalier, et le confondit avec les plus vils esclaves.

Mais le grand vizir, qui avait probablement eu avis du détail des succès de Mazamet, demanda à voir ces esclaves, et, reconnaissant Beaujeu à sa mine guerrière ou au rapport qu'on lui en avait fait, le fit mettre au château des Sept-Tours', sans espérance de rançon ni d'échange. La Porte rejeta toutes les propositions qui en furent faites au nom même du roi de France; et les Vénitiens tentèrent avec aussi peu de succès de faire comprendre Beaujeu dans le traité de Candie.

Mais enfin l'un des neveux du chevalier, âgé de vingt-deux ans, forma le dessein de l'aller délivrer et l'exécuta.

1. A Constantinople.

Il passa à Constantinople avec M. de.Nointel, ambassadeur de France ; il eut la liberté de voir le prisonnier : on ne la refusait à personne dans un lieu aussi sur ; on se contentait de fouiller au premier corps de garde ceux qui se présentaient, d'y retenir leurs armes, jusqu'à de simples couteaux, et même des clefs, s'ils en avaient.

Le chevalier de Beaujeu fut d'abord effrayé d'un projet qui pouvait avoir les suites les plus funestes; mais onze années de prison, jointes au goût qu'il conservait encore pour les entreprises hasardeuses et à la confiance que lui inspirait le courage du jeune homme, ne lui permirent pas de balancer longtemps.

Dès lors, son neveu commença à lui porter chaque fois une certaine quantité de corde dont il s'entourait le corps ; et, quand ils jugèrent tous deux qu'il y en avait assez, ils convinrent du jour, de l'heure et du signal.

Le signal donné, le chevalier descendit, et, la corde se trouvant de quatre à cinq toises trop courte, il s'élança dans la mer qui baigne le pied du château.

Le bruit qu'il fit en tombant fut entendu de quelques Tures qui passaient dans un brigantin, et ils allèrent droit à lui; mais le neveu, arrivant à force de rames dans un esquif bien armé, les écarta, recueillit son oncle, et le conduisit à bord d'un vaisseau du roi que montait le comte d'Apremont, son ami, qui le ramena heureusement en France, où il a vécu encore longtemps dans le sein de sa famille, revêtu de la commanderie de Bordeaux, que le grand maître de l'ordre de Malte lui conféra immédiatement après son retour.

Quant au kaïmakan, gouverneur du château des Sept-Tours, l'évasion du chevalier de Beaujeu lui coûta la vie.

Jean

Bart & le Chevalier de Forbin

(1689)

EAN Bart avait été chargé d'escorter un convoi de vingt bâtiments mar

J' chands; il montait une frigate, la Railleuse, de vingt-huit canons, et avait

pour second le chevalier de Forbin, commandant les Jeux, frégate de vingtquatre canons. Attaqués par deux vaisseaux anglais, l'un de quarante-huit et l'autre de quarante-deux canons, les deux braves capitaines se sacrifièrent pour sauver le convoi. Jean Bart perdit presque tout son équipage et fut

1. La toise équivaut à 1 m. 949.

blessé légèrement à la tête. Forbin reçut six blessures et perdit les deux tiers de son monde. Il fallut se rendre; mais la flotte marchande était sauvée : tous les officiers anglais et un nombre considérable de leurs matelots ou soldats avaient été tués.

Conduits à Plymouth par le contremaître anglais qui avait dù prendre le commandement des deux vaisseaux et des deux prises, Jean Bart et Forbin comptaient qu'on les considérerait comme prisonniers sur parole. Mais le gouverneur de la ville ne crut pas devoir leur faire cet honneur. On les enferma dans une sorte d'auberge, dont les fenêtres étaient grillées et aux portes de laquelle on plaça des sentinelles.

Aussi les deux capitaines n'curent-ils tout d'abord qu'une pensée, celle de s'évader, sans même attendre que leurs blessures fussent guéries. Un pêcheur d'Ostende, parent de Jean Bart, peut-être même, on l'a supposé, son frère Gaspard, vint relâcher à Plymouth, parvint à pénétrer dans la prison de nos marins, et s'entendit avec eux sur les moyens de les délivrer. Il leur apporta une lime avec laquelle iis coupèrent les barreaux de leur fenêtre, cachant ensuite les brèches qu'ils faisaient avec de la mie de pain mêlée de suie.

Il se trouva de plus que le chirurgien envoyé près d'eux pour soigner leurs blessures était Flamand, prisonnier lui-même des Anglais et non moins désireux que ses deux malades de recouvrer sa liberté.

Enfin les deux mousses qu'on avait mis au service des prisonniers se laissèrent gagner par eux. Les deux capitaines étaient assez pourvus d'argent et assez connus pour qu'on se fiât à leurs promesses.

Il ne restait plus qu'à se procurer une embarcation; les deux mousses, qui pouvaient sortir librement et aussi souvent qu'ils le voulaient, se chargèrent de la leur trouver. Ils avisèrent un jour sur le port une chaloupe norvégienne, dont le patron ivre-mort dormait profondément. Transporter l'ivrogne dans une embarcation voisine, délier l'amarre du bateau et le conduire dans un coin écarté fut pour les deux jeunes gens l'affaire de quelques instants. Puis ils coururent à la prison. On peut juger s'ils y furent bien accueillis.

Quand le chirurgien vint faire sa visite, on le chargea d'aller dire au pêcheur ostendais de porter dans le bateau détqurné par les mousses tous les objets de première nécessité pour une navigation de quelques jours; c'est-à-dire du pain, du fromage, de la bière, un compas de route et une carte marine. Si tout réussissait à souhait, le chirurgien devait revenir à minuit, avec le pêcheur et les deux mousses, sous les fenêtres de la prison. Une pierre lancée doucement contre les vitres devait servir de signal aux prisonniers.

A l'heure dite, ce signal impatiemment attendu se fit entendre. Les prisonniers enlèvent les barreaux de la fenêtre, fixent solidement les draps de

leurs lits, noués bout à bout, descendent l'un après l'autre et arrivent à terre sans accident. Le chirurgien, le pêcheur et les deux mousses, qui les attendaient, les conduisirent en toute hâte à la petite crique où était amarré le bateau norvégien; ils s'embarquèrent aussitôt, à l'exception du pêcheur, qui retourna tranquillement à son bord.

En quittant Plymouth, nos fugitifs eurent une chaude alerte. Un bâtiment qui surveillait le port les aperçut et, gouvernant sur eux, leur cria : « Where goes the boat? » (Où va la chaloupe ?)

Par bonheur Jean Bart savait un peu d'anglais et répondit :

« Fisherman» (pêcheur), et le bâtiment anglais s'éloigna sans méfiance. Pendant que la petite embarcation se dirigeait vers les côtes de France, le lieutenant du chevalier de Forbin, prisonnier comme son capitaine, avait dù se résigner à le voir partir sans le suivre. Il avait un bras de moins, une corpulence extrême et aurait singulièrement compromis l'entreprise. Il vint en aide aux fugitifs en amusant les gardes au moment décisif; puis, les oiseaux envolés, en parlant à haute voix et sur des tons différents, comme s'il se fut entretenu avec ses compagnons. Bientôt après, le brave officier retira de la fenêtre les draps qui avaient servi à l'évasion et alla se coucher tranquillement.

Le lendemain, il montra la plus grande surprise quand on lui dit que ses compagnons s'étaient enfuis, feignit de ne pas croire qu'ils eussent pu l'abandonner ainsi et s'emporta contre eux en les maudissant comme des traîtres. Les Anglais se laissèrent prendre à sa ruse et le questionnèrent sur ce qui s'était passé les jours précédents, espérant qu'il pourrait leur fournir quelques indications sur la direction suivie par les fugitifs.

« Ces traîtres, dit-il, ne m'ont rien confié de leur dessein; tout ce que je sais, c'est que Bart, ayant fait faire des souliers neufs il y a deux jours, dit en les essayant qu'ils étaient excellents pour une longue marche. »

Les Anglais, trompés par ce renseignement, envoyèrent dans toutes les directions des cavaliers à la poursuite des deux capitaines qui se trouvaient alors au milieu de la Manche. ¡

La mer était calme et un brouillard épais dérobait aux croiseurs la petite barque qui s'avançait lentement vers la France. Pendant deux jours et deux nuits, Jean Bart ne quitta pas l'aviron, ramant avec une vigueur infatigable.

On découvrit enfin la côte de Bretagne, et les fugitifs, exténués de fatigue, débarquèrent à Hanqui, petit village à quelques lieues de Saint-Malo. Plus de quarante-huit heures s'étaient écoulées depuis leur départ de Plymouth. Ils furent reçus avec des transports de joie et comme en triomphe; car les capitaines marchands sauvés par eux avaient exalté leur courage et leur dévouement patriotique, mais tous s'accordaient à croire qu'ils avaient péri dans le combat.

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Jean Bart et le chevalier de Forbin débarquèrent près de Saint-Malo,

aux acclamations de leurs compatriotes.

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