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POUR SE DÉBARRASSER DE LA CHAINE QUI LE RETENAIT PRISONNIER, HÉGÉSISTRATE EUT LE COURAGE

DE SE MUTILER UN PIED.

Introduction

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x annonçait un jour à un prisonnier politique, qui venait de tenter

de s'évader, le surcroît de précautions dont il allait être l'objet. Loin de s'indigner, il approuva ses geôliers; mais il leur demanda de ne pas feindre à leur tour de s'étonner de ses tentatives: «Un prisonnier politique, dit-il, est toujours en état de guerre contre ceux qui le surveillent. A eux de le garder s'ils le peuvent, c'est leur devoir; mais le sien, à moins, cela va sans dire, qu'il n'ait donné sa parole d'honneur, est de s'échapper, s'il croit en avoir le moyen. »

Cette philosophie d'allure si décidée n'a sans doute rien qui soit pour nous surprendre. Et, si l'on songe à ce qu'elle décèle le plus souvent de nobles sentiments, courage intrépide, mépris d'une vie lâche et inutile, fidélité au chef, à la patrie, aux compagnons d'armes,

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on jugera même peut-être qu'elle n'est pas inférieure aux plus belles leçons d'héroïsme et d'abnégation.

Avons-nous besoin de dire que c'est à célébrer les âmes viriles qui l'ont mise en pratique que notre livre est surtout destiné ?

Tous nos héros, qui se trouvent être, la plupart du temps, les narrateurs de leurs propres aventures, n'ont pas toujours soutenu la cause qui nous paraît la plus juste. S'il en est beaucoup qui méritent une place parmi les noms les plus considérés et les plus honorés de notre histoire, il en est aussi qu'a poussés l'amour des aventures extraordinaires plutôt que l'ardeur de se dévouer à quelque noble cause. Les uns sont dignes de Corneille; les autres sont des personnages d'Alexandre Dumas mais tous peuvent, par quelque côté, être considérés comme des maîtres de vaillance et d'énergie.

Tous, pour principe, professent les vieux proverbes : « Aux audacieux les sourires de la fortune, » et « Aide-toi, le ciel t'aidera ! »

Aussi bien les historiens anciens, qui furent curieux de toutes les sortes d'héroïsme, n'ont-ils pas réservé leurs moindres louanges à ceux qui tentèrent, par quelque mâle effort, de recouvrer la liberté perdue. Hérodote raconte, comme une action au-dessus de tout éloge et « la plus courageuse dont il ait jamais eu connaissance », l'entreprise, en effet extraordinaire, d'un certain Hégésistrate d'Élée.

Fait prisonnier par les Spartiates, et l'un de ses pieds étant maintenu par une entrave dont il ne pouvait se débarrasser, Hégésistrate se coupa résolument l'avant-pied, puis, par un trou pratiqué dans le mur, s'enfuit à Tégée, marchant la nuit sur son pied mutilé, se cachant le jour dans les bois. Il arriva la troisième nuit, ayant déjoué toutes les recherches des Spartiates stupéfaits.

Quand Pausanias, ce Joanne ou ce Baedeker de la Grèce ancienne, parcourait la Messénie, au second siècle de notre ère, on y racontait encore une héroïque histoire, vieille de près de neuf cents ans, celle de l'évasion merveilleuse d'Aristomène, général des Messéniens. Pris sur le champ de bataille par les Lacédémoniens, avec cinquante de ses soldats, il avait été amené à Sparte et condamné à être jeté avec eux dans un gouffre profond, où l'on précipitait ordinairement les condamnés à mort. L'exécution eut lieu en effet. Les compagnons

d'Aristomène périrent dans leur chute. Par un hasard miraculeux, le chef ne se tua pas. Pendant trois jours, il resta étendu au fond de la caverne, enveloppé dans ses vêtements et attendant sa dernière heure, qu'il croyait proche.

«Tout à coup, ayant entendu quelque bruit, dit Pausanias, il se découvrit le visage et aperçut dans une demi-obscurité un renard qui s'approchait des cadavres. Comprenant que cet animal ne pouvait avoir pénétré dans le ravin que par une fissure du rocher, il attendit que la bête vint jusqu'à lui, et, quand elle fut à sa portée, il la saisit d'une main, lui présentant de l'autre sa chlamyde à mordre quand elle se retournait vers lui, la suivant dans sa course et se faisant traîner par elle à travers les détours du souterrain. Il aperçut enfin une ouverture juste assez large pour laisser passer le renard et où pénétrait un peu de lumière. L'animal, làché par Aristomène, s'élança et disparut. Aristomène élargit avec ses mains l'issue de la caverne, parvint à la franchir et rejoignit ses concitoyens.

« Cette évasion, ajoute l'auteur ancien, fut considérée comme une preuve manifeste de la protection des dieux. »

Sans doute; mais elle doit être également admirée parce qu'elle était un bel exemple de sang-froid et de présence d'esprit, comme celle d'Hégésistrate offrait le modèle d'une force de résistance, d'une vigueur d'âme surhumaine.

Pour nous, nous tenions à faire figurer ici le récit de Pausanias et celui d'Hérodote ; ils n'avaient point à trouver place dans le corps même d'un recueil qui s'ouvre avec une page de Grégoire de Tours pour se fermer sur les noms de quelques-uns de nos contemporains. Mais, parmi tant d'autres que l'antiquité pouvait encore nous fournir, ils donnent une assez juste idée des exploits des personnages que nous mettrons en scène. Plus rapprochés de nous par le temps, ceux-ci nous intéressent naturellement plus vivement: mais il importait de marquer, dès l'abord, qu'ils sont le plus souvent de la même famille que ces très anciens, très valeureux et très subtils ancêtres.

Nous avons au reste emprunté nos récits aux histoires de tous les pays. L'Italie y figure avec Benvenuto Cellini et Casanova, l'Angleterre avec les Stuarts, la Hollande avec Grotius, l'Allemagne avec Trenck, la Pologne

avec Stanislas Leczinski et les héros de l'indépendance au XVIII et au XIX siècle. Mais on ne s'étonnera pas que la France tienne ici plus de place qu'aucune autre nation. Presque toutes les grandes époques de notre histoire y sont représentées: la Ligue et la Fronde, le règne de Louis XIV et celui de Louis XV, la Révolution et l'Empire, le XIXe siècle enfin jusqu'aux événements de l'année tragique.

On s'est efforcé d'ailleurs, par de courtes notices, de replacer chaque récit dans son cadre authentique. Ainsi, sans avoir essayé de relier entre eux ces épisodes par aucun lien factice, on espère que ces divers tableaux apparaîtront aux yeux des lecteurs comme autant d'illustrations caractéristiques de toute la suite de nos annales.

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est aux premiers temps de notre histoire, c'est à l'œuvre du premier en dale de nos historiens nationaux que nous empruntons nous-mêmes le premier de nos récits. Grégoire de Tours n'est pas un très grand écrivain et son Histoire ecclésiastique des Francs n'est un chef-d'oeuvre ni par le style, ni par la force de la pensée. Mais il a rapporté quelques épisodes de la période immédiatement antérieure à son temps, c'est-à-dire de l'histoire de Clovis el de ses premiers successeurs, avec tant de charme et d'animation, qu'on s'est quelquefois demandé s'il ne nous offrait pas, dans cette partie de son œuvre, comme les fragments recueillis d'une espèce d'épopée populaire et spontanée.

Cependant le père et la mère de Grégoire de Tours descendaient tous deux du saint évêque Grégoire de Langres, dont il va être question dans notre récit. Le héros même de cette aventure, Allale, qui fut comte d'Autun, vivait sans doute encore ou n'était pas mort depuis longtemps au moment où l'historien racontait son évasion. Ce sont là de sérieuses garanties. D'ailleurs, quand certains détails seraient ici le produit d'une sorte d'imagination poétique, ce qui n'est pas imaginaire, ce qui n'est pas voulu, c'est la couleur même de l'ensemble de ce morceau. Or, c'est par là surtout, par cet air de

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