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,,d'attraper, autant qu'il m'a été poffible, fon goût ,,en toutes chofes. C'eft effectivement, à quoi il ,,me femble que les Écrivains ne fauroient trop s'é,,tudier. Un Ouvrage a beau être approuvé d'un ,,petit nombre de Connoiffeurs, s'il n'eft plein d'un ,,certain agrément & d'un fel propre à piquer le goût ,,général des hommes, il ne paffera jamais pour un ,,bon Ouvrage, il faudra à la fin que les Connoif,,feurs eux-mêmes avouent qu'ils fe font trompés en ,,lui donnant leur approbation"

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Il explique après cela en quoi confifte ce fel & cet agrément, qui eft fi néceffaire pour faire valoir un Ouvrage.,,Que fi on me demande, reprend-il, ,,ce que c'eft que cet agrément & ce fel, je répon„drai, que c'est un je ne fai quoi, qu'on peut mieux ,,fentir, que dire. A mon avis néanmoins, il con,,fifte principalement à ne jamais préfenter au Le,,teur que des penfées vraies & des expreffions ju,,ftes. L'Esprit de l'homme eft naturellement plein ,,d'un nombre infini d'idées confufes du Vrai, que ,,fouvent il n'entrevoit qu'à demi; & rien ne lui eft ,,plus agréable que lors qu'on lui offre quelqu'une de ,,ces idées bien éclaircie, & mife dans un beau jour. ,,Qu'est-ce qu'une pensée neuve, brillante, extraor,,dinaire? Ce n'eft point, comme fe le perfuadent ,,les ignorans, une penfée que perfonne n'a jamais „eue, ni dû avoir. C'eft au contraire une pensée „,qui a dû venir à tout le monde, & que quelqu'un ,,savise le premier d'exprimer. Un bon mot n'est „bon_mot qu'en ce qu'il dit une chofe que chacun ,,penfoit, & qu'il a dit d'une manière vive, fine & ,,nouvelle. Confidérons, par exemple, cette repli,,que fi fameufe de Louis Douzième à ceux de fes ,,Miniftres qui lui confeilloient de punir plufieurs per,,fonnes, qui fous le Regne précédent, & lorfqu'il ,,n'étoit encore que Duc d'Orleans, avoient pris à ,,tâche de le deffervir. Un Roi de France, leur réguj

,,pondit-il, ne venge point les injures d'un Duc d'Or ,,leans. D'où vient que ce mot frappe d'abord? ,,N'eft-il pas aifé de voir que c'est parce qu'il pré,,fente aux yeux une vérité que tout le monde fent, ,,& qu'il dit mieux que tous les plus beaux difcours ,,de morale: Qu'un grand Prince, lorsqu'il eft une fois fur le trône, ne doit plus agir par des mouvemens. particuliers, ni avoir d'autre vue que la gloire, & le ,,bien général de fon État? Veut-on voir au contrai,,re combien une pensée fauffe eft froide & puérile ? ,,Je ne faurois rapporter un exemple, qui le faffe ,,mieux fentir, que deux Vers du Poëte Théophile ,,dans la Tragédie, intitulée: Pyrâme & Thysbé; lors,,que cette malheureufe Amante ayant ramaffé le Poi,,gnard, encore tout fanglant dont Pyrâme s'étoit tué, ,,elle querelle ainfi ce Poignard:

,,Ah! voici le Poignard qui du fang de fon Maître S'eft fouillé lâchement. Il en rougit le Traître. ,,Toutes les glaces du Nord ensemble ne font pas, à ,,mon fens, plus froides que cette pensée? Quelle ,,extravagance, bon Dieu! de vouloir que la rou,,geur du fang, dont eft teint le poignard d'un hom,,me, qui vient de s'en tuer lui-même, foit un ef ,,fet de la honte qu'a ce poignard de l'avoir tué ?

Voici encore une pensée qui n'eft pas moins fauffe, ,,ni par conféquent moins froide. Elle eft de Benfe,,rade dans fes Métamorphofes en Rondeaux, où par,,lant du Déluge envoyé par les Dieux pour châtier ,,l'infolence de l'Homme, il s'exprime ainfi :

,,Dieu lava bien la tête à fon Image.

,,Peut-on à propos d'une auffi grande chose que le ,,Déluge, dire rien de plus petit, ni de plus ridicule ,,que ce quolibet, dont la penfée eft d'autant plus ,,fauffe en toutes manières, que le Dieu dont il s'a

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,,git en cet endroit, c'eft Jupiter, qui n'a jamais paffé ,,chez les Payens pour avoir fait l'Homme, dans la ,,Fable, étant, comme tout le monde fait, l'Ouvrage ,,de Promethée.

,,Puis donc, ajoute Mr. Despreaux, qu'une pen,,fée n'eft belle qu'en ce qu'elle eft vraie; & que ,,l'effet infaillible du Vrai, quand il eft bien énoncé, ,,c'eft de frapper les Hommes; il s'enfuit que ce qui ,,ne frappe point les Hommes, n'eft ni beau, ni ,,vrai, ou qu'il eft mal énoncé: & que par conféquent ,,un Ouvrage qui n'eft point gouté du Public eft un ,,très-méchant Ouvrage. Le gros des hommes peut ,,bien, durant quelque tems, prendre le faux pour ,,le vrai, & admirer de méchantes chofes mais il ,,n'eft pas poffible, qu'à la longue une bonne chose ,,ne lui plaife; & je défie tous les Auteurs les plus ,,mécontens du Public, de me citer un bon Livre ,,que le Public ait jamais rebuté; à moins qu'ils ne ,,mettent en ce rang leurs Écrits, de la bonté des,,quels eux feuls font perfuadés. J'avoue néanmoins, ,,& on ne le fauroit nier, que quelquefois, lorsque ,,d'excellens Ouvrages viennent à paroître, la Caba ,,le & l'Envie trouvent moyen de les rahaiffer, & ,,d'en rendre en apparence. le fuccès douteux: mais ,,cela ne dure guères; & il en arrive de ces Ouvra,,ges comme d'un morceau de bois qu'on enfonce ,,dans l'eau avec la main: il demeure au fond tant ,,qu'on l'y retient, mais bien-tôt la main venant à ,,fe laffer, il fe releve & gagne le deffus. Je pour,,rois dire un nombre infini de pareilles chofes fur ,,ce fujer, & ce feroit la matière d'un gros Livre: ,,mais en voilà affez, ce me femble, pour marquer ,,au Public ma réconnoiffance, & la haute idée que ,,j'ai de fon goût & de fes jugemens.

Mr. Despreaux rend compte après cela de fa nouvelle Édition.,,Parlons maintenant, dit-il, de mon ‚Édition nouvelle. C'est la plus correcte qui ait

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,,encore paru, & non feulement je l'ai revûe avec ,,beaucoup de foin, mais j'y ai retouché de nouveau ,,plufieurs endroits de mes Ouvrages. Car je ne fuis ,,point de ces Auteurs fuyans la peine, qui ne fe ,,croient plus obligés de rien raccommoder à leurs ,,Écrits dès qu'ils les ont une fois donnés au Public. ,,Ils alleguent pour excufer leur pareffe, qu'ils au,,roient peur en les trop remaniant de les affoiblir, ,,& de leur ôter cet air libre & facile qui fait, difent,,ils, un des plus grands charmes du difcours; mais ,,leur excufe, a mon avis, eft très - mauvaise. Ce ,,font les Ouvrages faits à la hâte, & comme on dit, ,,au courant de la plume, qui font ordinairement ,,fecs, durs, & forcés. Un Ouvrage ne doit point ,,paroître trop travaillé; mais il ne fauroit être trop ,,travaillé, & c'eft fouvent le travail même qui en ,,le poliffant lui donne cette facilité tant vantée qui ,,charme le Lecteur. Il y a bien de la différence en,,tre des Vers faciles, & des Vers facilement faits. ,,Les Écrits de Virgile, quoi qu'extraordinairement ,,travaillés, font bien plus naturels que ceux de Lu,,cain, qui écrivoit, dit-on, avec une rapidité pro,,digieufe. C'eft ordinairement la peine que s'eft don,,née un Auteur à limer & à perfectionner fes Écrits, ,,qui fait que le Lecteur n'a point de peine en les li,,fant. Voiture qui paroit fi aifé, travailloit extrê,,mement fes Ouvrages. On ne voit que des gens ,,qui font aisément des choses médiocres; mais des ,,gens qui en faffent, même difficilement, de fort ,,bonnes, on en trouve très-peu.

,,Je n'ai donc point de regret d'avoir encore em,,ployé quelques-unes de mes veilles à rectifier mes ,,Écrits dans cette nouvelle Édition, qui eft, pour ,,ainfi dire, mon Édition favorite. Auffi y ai-je mis ,,mon nom que je m'étois abftenu de mettre à toutes ,,les autres. J'en avois ainfi ufé par pure modeftie: ,,mais aujourd'hui que mes Ouvrages font entre les

,,mains de tout le monde, il m'a paru que cette mo,,deftie pourroit avoir quelque chofe d'affecté. D'ail,,leurs j'ai été bien aife en le mettant à la tête de ,,mon Livre, de faire voir par-là quels font précise,,ment les Ouvrages que j'avoue, & d'arrêter, s'il ,,eft poffible, le cours d'un nombre infini de mé,,chantes pièces qu'on répand par-tout fous mon nom, ,,& principalement dans les Provinces & dans les Pays ,,étrangers. J'ai même, pour mieux prévenir cet in,,convénient, fait mettre au commencement de ce ,,Volume, une lifte exacte & détaillée de tous mes ,,Écrits, & on la trouvera immédiatement après cet,,te Préface. Voilà de quoi il eft bon que le Le,,cteur foit inftruit".

Mr. Despreaux marque enfuite les différentes Pièces dont cette Édition eft augmentée. ,,Il ne me ,,refte plus, pourfuit-il, qu'à lui dire quels font les ,,Ouvrages, dont j'ai augmenté ce Volume. Le plus ,,confidérable eft une onzième Satire que j'ai tout ,,récemment compofée, & qu'on trouvera à la fuite ,,des dix précédentes. Elle eft adreffée à Mr. de ,,Valincour, mon illuftre Affocié à l'Hiftoire. J'y ,,traite du vrai & du faux Honneur, & je l'ai com„pófée avec le même foin que tous mes autres Écrits. ,,Je ne faurois pourtant dire fi elle eft bonne ou mau,,vaife: car je ne l'ai encore communiquée qu'à deux ,,ou trois de mes plus intimes Amis, à qui même je ,,n'ai fait que la réciter fort vîte, dans la peur qu'il ,,ne lui arrivât ce qui eft arrivé à quelques autres de ,,mes Pièces, que j'ai vu devenir publiques avant mê,,me que je les euffe mifes fur le papier: plufieurs ,,perfonnes, à qui je les avois dites plus d'une fois, ,,les ayant retenues par cœur & en ayant donné des ,,copies. C'eft donc au Public à m'apprendre ce que "je dois penfer de cet Ouvrage, ainfi que de plu,,fieurs autres petites Pièces de Poëfie qu'on trouvera ,,dans cette nouvelle Édition, & qu'on y a mêlées

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