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malheureuse Amante, ayant ramaffé le poignard encore tout fanglant dont Pyrame s'étoit tué, elle querelle ainfi ce poignard:

Ah! voici le poignard, qui du fang de fon Maître

S'eft fouillé lâchement. Il en rougit, le Traître. Toutes les glaces du Nord ensemble ne font pas, à mon fens, plus froides que cette penfée. Quelle extravagance, bon Dieu! de vouloir que la rougeur du fang, dont eft teint le poignard d'un Homme qui vient de s'en tuer lui-même, foit un effet de la honte qu'a ce poignard de l'avoir tué? Voici encore une penfée qui n'eft pas moins fauffe, ni par conféquent moins froide. Elle eft de Benferade, dans fes Métamorphoses en Rondeaux, où, parlant du Deluge envoyé par les Dieux pour châtier l'infolence de l'Homme, il s'exprime ainfi:

Dieu lava bien" la tête à fon Image.

Peut-on, à propos d'une auffi grande chofe que le. Deluge, dire rien de plus petit, ni de plus ridicule que ce quolibet, dont la pensée eft d'autant plus fauffe. en toutes manieres, que le Dieu, dont il s'agit en cet endroit, c'eft Jupiter, qui n'a jamais paffé chez les Payens pour avoir fait l'Homme à fon image; l'Homme dans la Fable étant, comme tout le monde fait, l'ouvrage de Promethée.

Puis qu'une penfée n'eft belle qu'en ce qu'elle eft vraie ; & & que l'effet infaillible du Vrai, quand il eft bien énoncé, c'eft de frapper les Hommes, il s'enfuit que ce qui ne frappe point les Hommes, n'eft ni beau ni vrai, ou qu'il eft mal énoncé; & que par conféquent un Ouvrage qui n'eft point goûté du Public, eft un très-méchant Ouvrage. Le gros des Hommes peut bien, durant quelque temps, prendre le faux pour le vrai, & admirer de méchantes chofes: mais il n'est pas poffible qu'à la longue une bonne chose ne lui plaife; & je défie tous les Auteurs les plus mécontens du Public, de me citer un bon Livre que le Public ait jamais rebuté à moins qu'ils ne mettent en ce rang leurs Écrits, de la bonté desquels eux feuls font

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perfuadés. J'avoue néanmoins, & on ne le fauroit nier, que quelquefois, lorfque d'excellens Ouvrages viennent à paroître, la Cabale & l'Envie, trouvent moyen de les rabaiffer, & d'en rendre en apparence le fuccès douteux: mais cela ne dure gueres; & il en arrive de ces Ouvrages comme d'un morceau debois qu'on enfonce dans l'eau avec la main: il demeure au fond tant qu'on l'y retient, mais bientôt la main venant à fe laffer, il fe releve & gagne le deffus. Je pourrois dire un nombre infini de pareilles chofes fur ce fujet, & ce feroit la matiere d'un gros Livre mais en voilà affez, ce me femble, pour marquer au Public ma reconnoiffance, & la bonne idée que j'ai de fon goût & de ses jugemens.

Parlons maintenant 3 de mon édition nouvelle. C'eft la plus correcte qui ait encore paru; & non feulement je l'ai revûe avec beaucoup de foin, mais j'y ai retouché de nouveau plufieurs endroits de mes Ouvrages. Car je ne fuis point de ces Auteurs fuyans la peine, qui ne fe croyent plus obligés de rien raccommoder à leurs Ecrits, dès qu'ils les ont une fois donnés au Public. Ils alleguent, pour excufer leur pareffe, qu'ils auroient peur, en les trop remaniant, de leur ôter cet air libre & facile, qui fait, difent-ils, un des plus grands charmes du difcours: mais leur excufe, à mon avis, eft très - mauvaise. Ce font les Ouvrages faits à la hâte, &, comme on dit, au courant de la plume, qui font ordinairement fecs, durs, & forcés, Un Ouvrage ne doit point paroître trop travaillé ; mais il ne fauroit être trop travaillé; & c'eft fouvent le travail même, qui, en le poliffant, lui donne cette facilité tant vantée qui charme le Lecteur, Il y a bien de la différence entre des Vers faciles, & des Vers facilement faits, Les Écrits de Virgile, quoiqu'extraordinairement travaillés, font bien plus naturels que ceux de Lucain, qui écrivoit, dit-on, avec une rapidité prodigieufe. C'eft ordinairement la peine que s'eft

2. Et d'en rendre le fnocès douteux.) Mr. Despreaux citoit pour exemples, l'Ecole des Femmes de Moliere, & la Phèdre de Mr. Racine.

3. De mon Édition nouvelle.) Cel le de 1701. pour laquelle cette Préface fut faite.

donnée un Auteur à limer & à perfectionner fes Écrits, qui fait que le Lecteur n'a point de peine en les lifant. Voiture, qui paroît fi aifé, travailloit extrêmement fes Ouvrages. On ne voit que des gens qui font aifément des chofes médiocres; mais des gens qui en faffent, même difficilement, de fort bonnes, on en trouve très-peu.

Je n'ai donc point de regret d'avoir encore employé quelques-unes de mes veilles à rectifier mes Écrits dans cette nouvelle édition, qui eft, pour ainfi dire, mon édition favorite. Auffi y ai-je mis mon nom, que je m'étois abftenu de mettre à toutes les autres. J'en avois ainfi ufé par pure modeftie: mais aujourd'hui que mes Ouvrages font entre les mains de tout le monde, il m'a paru que cette modeftie pourroit avoir quelque chofe d'affecté. D'ailleurs, j'ai été bien aife, en le mettant à la tête de mon Livre, de faire voir par là quels font précisement les Ouvrages que j'avoue, & d'arrêter, s'il eft poffible, le cours d'un nombre infini de méchantes Pièces, qu'on répand partout fous mon nom, & principalement dans les Provinces & dans les Pays étrangers. J'ai même, pour mieux prévenir cet inconvénient, fait mettre au commencement de ce volume, 4 une lifte exacte & détaillée de tous mes Écrits, & on la trouvera immédiatement après cette Préface. Voilà de quoi il eft bon que le Lecteur foit inftruit,

Il ne reste plus préfentement qu'à lui dire quels font les Ouvrages dont j'ai augmenté ce volume. Le plus confidérable eft une onzieme Satire, que j'ai tout récemment compofée, & qu'on trouvera à la fuite des dix précédentes. Elle eft adreffée à Monfieur de Valincour, mon illuftre Affocié à l'Hiftoire. J'y traite du vrai & du faux Honneur, & je l'ai compofée avec le même foin que tous mes autres Ecrits, Je ne faurois pourtant dire, fi elle eft bonne ou mauvaise : car je ne l'ai encore communiquée qu'à deux ou trois de mes intimes Amis, à qui même je n'ai fait que la

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4. Une lifte de tous mes l'édition de 1713. & dont on a Ecrits.) Elle étoit différente de parlé dans la Remarque I, fur cetcelle qui depuis a été mife dans te Préface.

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réciter fort vîte, dans la peur qu'il ne lui arrivât ce qui eft arrivé à quelques autres de mes Pièces, que j'ai vu devenir publiques avant même que je les euffe mifes fur le papier: plufieurs perfonnes, à qui je les avois dites plus d'une fois, les ayant retenues par coeur, & en ayant donné des copies. C'eft donc au Public à m'apprendre ce que je dois penfer de cet Ouvrage, ainfi que de plufieurs autres petites Pièces de Poëfie qu'on trouvera dans cette nouvelle édition, & qu'on y a mêlées parmi les Épigrammes qui y étoient déja. Ce font toutes bagatelles, que j'ai la plupart compofées dans ma plus tendre jeuneffe; mais que j'ai un peu rajuftées, pour les rendre plus fupportables au Lecteur. J'y ai fait auffi ajouter deux nouvelles Lettres, l'une que j'écris à Monfieur Perrault, & où je badine avec lui fur notre démêlé Poëtique, presque auffi-tôt éteint qu'allumé. L'autre eft un Remerciment à Mr. le Comte d'Ericeyra, au fujet de la Traduction de mon Art Poëtique faite par lui en Vers Portugais, qu'il a eu la bonté de m'envoyer de Lisbonne, avec une Lettre & des Vers François de fa compofition, où il me donne des louanges très-délicates, & auxquelles il ne manque que d'être appliquées à un meilleur fujet. J'aurois bien voulu pouvoir m'acquitter de la parole, que je lui donne à la fin de ce Remercîment, de faire imprimer cette excellente Traduction à la fuite de mes Poëfies; mais malheureusement 5 un de mes Amis, à qui je l'avois prêtée, m'en a égaré le premier Chant, & j'ai eu la mauvaise honte de n'ofer récrire à Lisbonne pour en avoir une autre copie. Ce font là à peu près tous les Ouvrages de ma façon, bons ou méchans, dont on trouvera ici mon Livre augmenté. Mais une chose qui fera fûrement agréable au Public, c'eft le préfent que je lui fais dans ce même Livre, de la Lettre que le célèbre Monfieur Arnauld a écrite à Monfieur Perrault à propos de ma dixieme Satire, & où, comme je l'ai dit dans l'Épître à mes Vers, il fait en quel

5. Un de mes Amis.) Mr. l'Abbé Regnier-Desmarais, Secretaire de l'Académie Françoife.

que forte mon apologie. Je ne doute point que beaucoup de gens ne m'accufent de témérité, d'avoir ofé affocier à mes Écrits les Ouvrages d'un fi excellent Homme; & j'avoue que leur accufation eft bien fondée. Mais le moyen de résister à la tentation de montrer à toute la Terre, comme je le montre en effet par l'impreffion de cette Lettre, que ce grand Personnage me faifoit l'honneur de m'eftimer, & avoit la bonté meas effe aliquid putare nugas?

Au refte, comme malgré une apologie fi authentique, & malgré les bonnes raifons que j'ai vingt fois alléguées en Vers & en Profe, il y a encore des gens qui traitent de médifances les railleries que j'ai faites de quantité d'Auteurs modernes, & qui publient qu'en attaquant les défauts de ces Auteurs, je n'ai pas rendu juftice à leurs bonnes qualités; je veux bien, pour les convaincre du contraire, répéter encore ici les mêmes paroles que j'ai dites fur cela dans la Préface 6 de mes deux éditions précédentes. Les voici Il eft bon que le Lecteur foit averti d'une chofe; c'est qu'en attaquant dans mes Ouvrages les défauts de plufieurs Ecrivains de notre fiecle, je n'ai pas prétendu pour cela ôter à ces Ecrivains le mérite & les bonnes qualités qu'ils peuvent avoir d'ailleurs. Je n'ai pas prétendu, dis-je, nier, que Chapelain, par exemple, quoique Poëte fort dur, n'ait fait autrefois, je ne fais comment, une affez belle Ode; & qu'il n'y ait beaucoup d'efprit dans les Ouvrages de Monfieur Quinault, quoique fi éloignés de la perfection de Virgile. J'ajouterai même fur ce dernier, que dans le temps où j'écrivis contre lui, nous étions tous deux fort jeunes, & qu'il n'avoit pas fait alors beaucoup d'Ouvrages, qui lui ont dans la fuite acquis une jufte réputation. Je veux bien aufsi avouer, qu'il y a du génie dans les Écrits de Saint Amand, de Brébeuf, de Scuderi, de Cotin même, &

6. De mes deux Editions précédents.) De 1683. & 1694.

S. Il falloit dire de 1685. & 1694. car ce font les deux éditions qui précéderent celle de 1701, où Mr.

Despreaux mit cette Préface: mais le Commentateur n'a pas connu l'édition de 1685. Voyez les Remar ques fur la Préface des éditions de 1683. & 1694. Tom. IV. pag. 275. Dv MoxTEIL

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