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255

Venant mal à propos la faifir au collet,
Elle te réduifoit à vivre fans valet,
Comme ce Magiftrat de hideufe mémoire,
Dont je veux bien ici te crayonner l'histoire.

Dans la Robe on vantoit fon illuftre Maison.
Il étoit plein d'efprit, de fens, & de, raison.
Seulement pour l'argent un peu trop de foibleffe
De ces vertus, en lui ravaloit la nobleffe.
Sa table toutefois fans fuperfluité,

260 N'avoit rien que d'honnête en fa frugalité,
Chez lui deux bons Chevaux, de pareille encolure,
Trouvoient dans l'écurie une pleine pâture,

Et du foin, que leur bouche au ratelier laiffoit,
De furcroît une mule encor fe nourriffoit.

265 Mais cette foif de l'or, qui le brûloit dans l'ame,
Le fit enfin fonger à choisir une Femme;

Et l'honneur dans ce choix ne fut point regardé.

Vers

luftre & pieufe Madame de MIRA- parce qu'ils logeoient dans_fon MION, qui a fondé la Communauté des Filles de Ste. Genevieve. Cette Joueufe ayant diffipé des biens confidérables, fut obligée de fe retirer en Angleterre. Elle portoit auffi le nom de Miramion.

VERS 253. Comme ce Magiftrat de hideufe mémoire, &c.) JACQUES TARDIEU, Lieutenant-Criminel de Paris, & MARIE FERRIER, fa femme, auffi fameux par leur for dide avarice, que par leur mort funefte. Notre Auteur les connoiffoit particulierement tous les deux, tant

voifinage, que parce que Mr. Tardieu avoit tenu fur les fonts Mr. JACQUES BOILEAU, Docteur de Sorbone, & Chanoine de la Ste. Chapelle, frere du Poëte.

VERS 255. Dans la Robe on vantoit fon illuftre Maifon.] Mr. Tar dieu étoit d'une bonne Famille de la Robe, & neveu de JACQUES GILLOT, Confeiller-Clerc au Par lement, & Chanoine de la Sainte Chapelle. Mr. Gillot étoit un des principaux Auteurs de la Satire Ménippée, connue fous le nom du Ca

tho

* Dans la maison qui fait le coin du Quai des Orfèvres, & de la rue de Harlai. Mr. Despreaux demeuroit dans la Cour du Palais.

Vers fon triste penchant fon naturel guidé,

Le fit dans une avare & fordide famille

270 Chercher un monftre affreux fous l'habit d'une fille;
Et fans trop s'enquérir d'où la Laide venoit,
Il fut, ce fut affez, l'argent qu'on lui donnoit.
Rien ne le rebuta; ni fa vûe éraillée,

Ni fa maffe de chair bizarrement taillée;
275 Et trois cens mille francs avec elle obtenus,
La firent à fes yeux plus belle que Vénus.

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Il l'époufe; & bientôt fon Hôteffe nouvelle,

Le prêchant, lui fit voir qu'il étoit, au prix d'elle,

Un vrai diffipateur, un parfait débauché.

280 Lui-même le fentit, reconnut fon péché,
Se confeffa prodigue, & plein de repentance,
Offrit fur fes avis de regler fa dépense.
Auffi-tôt de chez eux tout rôti disparut.
Le pain bis renfermé d'une moitié décrut.

tholicon d'Espagne, & c'étoit dans la
maifon de ce Chanoine † que cette
ingénieufe Satire avoit été com-
pofée. Il mourut l'an 1619.

VERS 264. De furcroit une mule.) Le Lieutenant-Criminel eft obligé de fuivre les Criminels condamnés à la mort; & il eft monté fur une Mule, qui étoit l'ancienne monture des Magiftrats, avant l'ufage des

Carroffes.

VERS 266. Le fit enfin fonger à chercher une Femme.) Elle étoit fille

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de JEREMIE FERRIER, qui avoit été Miniftre à Nifmes, & qui abjura enfuite le Calvinisme.

VERS 270. Chercher un monftre affreux fous l'habit d'une fille.) Elle étoit extrêmement laide & malfaite. On dit pourtant qu'elle avoit été belle dans fa jeuneffe, mais la petite verole l'avoit ainfi défigurée.

VERS 280. Lui-même le fentit, &c.) Dans ce vers & les deux fuivans l'Auteur a exprimé toutes les parties de la Confeffion.

Il logeoit dans la petite rue, qui vient du Quai des Orfèvres à l'Hôtel du P. Préfident. Mr. Despreaux, & Mr. Abbé Boileau, fon frere, font nés dans la même Chambre où la Satire du Catholicon avoit été faite. Tome I.

L

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285 Les deux chevaux, la mule, au marché s'envolerent. Deux grands Laquais, à jeun, fur le foir s'en allerent. De ces Coquins déja l'on fe trouvoit laffé,

Et pour n'en plus revoir le refte fut chaffé. Deux fervantes déja largement fouffletées, 290 Avoient à coups de pied defcendu les montées, Et fe voyant enfin hors de ce trifte lieu, Dans la rue en avoient rendu graces à Dieu. Un vieux Valet reftoit, feul chéri de fon Maître, Que toûjours il fervit, & qu'il avoit vu naître, 295 Et qui de quelque fomme, amaffée au bon temps, Vivoit encor chez eux, partie à fes dépens. Sa vûe embarraffoit; il fallut s'en défaire;

Il fut de la maison chaffé comme un Corfaire. Voilà nos deux Époux, fans valets, fans enfans, 300 Tous feuls dans leur logis libres & triomphans. Alors on ne mit plus de borne à la lézine. On condamna la cave, on ferma la cuisine. Pour ne s'en point fervir aux plus rigoureux mois,

VERS 285. Au marché s'envolerent.) Comme ce couple avare n'avoit ni valets ni fervantes, les Plaideurs, qui venoient folliciter, étoient obligés de panfer les chevaux, & de les mener à l'abreuvoir; mais cela ne dura pas long-temps. On vendit premierement les Chevaux, & puis la Mule, & quand le Lieutenant-Criminel en avoir befoin, il en empruntoit une.

VERS 293. Un vieux Valet reftoit.) Il fe nommoit DESBORDES, & portoit ordinairement une méchante cafaque rouge.

&

VERS 308. Ou de ce que la Femme aux Voifins excroquoit.) Elle n'entroit jamais dans une maison, qu'el le n'excroquat quelque chofe, quand elle n'y pouvoit rien prendre, elle empruntoit fans rendre jamais rien. C'est d'elle, que Mr. Ra cine a dit dans fes Plaideurs, Acte I. Scène IV.

Elle eût du Bûvetier emporté les
Serviettes,
Plutôt que de rentrer au logis les

mains nettes.

Dans le fond d'un grenier on fequeftra le bois. 305 L'un & l'autre dès-lors vécut à l'aventure

Des préfens, qu'à l'abri de la Magiftrature,
Le Mari quelquefois des Plaideurs extorquoit,
Ou de ce que la Femme aux voifins excroquoit.

Mais, pour bien mettre ici leur craffe en tout fon luftre, 310 Il faut voir du logis fortir ce Couple illuftre : Il faut voir le Mari tout poudreux, tout fouillé, Couvert d'un vieux chapeau de cordon dépouillé, Et de fa robe en vain de pièces rajeunie

A pied dans les ruiffeaux traînant l'ignominie. 315 Mais qui pourroit compter le nombre de haillons, De pièces, de lambeaux, de fales guenillons, De chiffons ramaffés dans la plus noire ordure, Dont la Femme aux bons jours compofoit fa parure? Décrirai-je fes bas en trente endroits percés,

320 Ses fouliers grimaçans vingt fois rapetaffés, Ses coëffes, d'où pendoit au bout d'une ficelle. Un vieux mafque pelé, prefqu'auffi hideux qu'Elle?

Elle avoit effectivement pris quelques ferviettes chez le Bûvetier du Palais.

Dans une maifon voifine de la leur, il y avoit un lieu de débauche, où elle alloit tous les jours pour y attraper fon diner, & elle ne manquoit jamais d'envoyer à fon mari une partie de ce qu'il y avoit fur la table. En échange il accordoit fa protection à ce lieu d'honneur; mais Mr. le Premier Préfident le fit dénicher de fon voifinage. Dans le même quartier il y avoit un Pâtiffier, où la Lieutenante Criminelle

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alloit fouvent prendre des Bifcuits fans payer. Le Pâtiffier las de cette pratique, fit des bifcuits purgatifs, & les lui donna.

VERS 309. Mais, pour bien mettre ici leur craffe &c.) Mr. Racine obligea l'Auteur de retrancher ces vingt vers, parce qu'ils contiennent un détail qui ne lui plaifoit pas tout-àfait. Ils ne parurent point en effet dans la premiere édition de cette Satire; mais l'Auteur voulut les rétablir dans les éditions fuivantes.

VERS 322. Un vieux mafque pelé.) La plupart des femmes por

Peindrai-je fon jupon bigarré de Latin,

Qu'ensemble compofoient trois Thèfes de fatin,
$25 Préfent qu'en un procès fur certain privilege
Firent à fon Mari les Régens d'un College;
Et qui fur cette jupe à maint Rieur encor
Derriere elle faifoit dire, Argumentabor?

330

Mais peut-être j'invente une fable frivole.
Déments donc tout Paris, qui prenant la parole,
Sur ce fujet encor de bons témoins pourvu,

• Tout prêt à le prouver, te dira: Je l'ai vu. Vingt ans j'ai vu ce Couple uni d'un même vice, A tous mes Habitans montrer que l'Avarice 335 Peut faire dans les biens trouver la Pauvreté, Et nous réduire à pis que la mendicité.

Des Voleurs qui chez eux pleins d'efpérance entrerent,
De cette trifte, vie enfin les délivrerent.

Digne & funefte fruit du noeud le plus affreux, 340 Dont l'Hymen ait jamais uni deux Malheureux!

toient alors un mafque de velours
noir, quand elles fortoient.

VERS 337. Des Voleurs qui chez eux, &c.) Le Lieutenant-Criminel & fa femme furent affaffinés dans leur maison fur le Quai des Orfèvres, le jour de St. Barthelemi, 24. d'Août 1665. fur les dix heures du matin, par RENE & FRANÇOIS TOUCHET, Freres, natifs de Niafle près de Gran en Anjou. Ces deux Voleurs n'ayant pu ouvrir la porte pour fortir, parce qu'il y avoit un fecret à la ferrure, furent pris dans la maifon même; & trois jours après, condamnés à être rompus vifs fur un échafaut, à la porté

de l'Isle du Palais, devant le Cheval de Bronze: ce qui fut exécuté le 27. du même mois. Quelques jours avant cet affaffinat, le Roi avoit ordonné à Mr. le Premier Président de Lamoignon, de faire informer contre le Lieutenant-Criminel, à caufe de fes malverfations.

VERS 346. Singe de Bourdaloue) Le Pere LOUIS BOURDA LOUE, Jefuite, a été le plus grand Prédicateur qui ait paru en France pendant le XVII. Siecle. Il a été auffi le premier qui ait mis des portraits ou des caractères dans fes Sermons. Il étoit d'une famille con

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