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ÉPITRES.

ÉPITRE I.

A U

GRAND R

ROI.

RAND ROI, c'eft vainement qu'abjurant la Satire, Pour Toi feul déformais j'avois fait vou d'écrire.

Après le Traité d'Aix-la-Chapelle, conclu au mois de Mai, 1668. la France jouiffoit d'une heureufe paix. Mais la précédente guerre n'ayant duré qu'un peu plus d'une année, la valeur de la Nation n'étoit point fatisfaite; & la plupart des François ne refpiroient que la guerre. Mr. Colbert feul en détournoit le Boi: difant que la Paix étoit l'unique moyen de faire fleurir les Arts & les Sciences, & de maintenir l'abondance dans le Royaume. Ce fut pour feconder les intentions de ce grand Miniftre, que notre Auteur compofa cette Pièce, dans laquelle il entreprit de louer le Roi comme un Héros paifible, en faifant voir, qu'un Roi n'eft ni moins grand, ni moins glorieux dans la paix, que

dans la guerre.

S. Le Commentateur donne une étrange idée des François. Après le Traité d'Aix-la-Chapelle, dit-il, la France jouiffoit d'une heureuse paix: mais la précédente guerre n'ayant duré qu'un peu plus d'une année, la valeur de la Nation n'étoit point fatisfaite; & la plupart des François ne refpiroient que la guerre. Il ne prétend pas, fans doute, que les François vouluffent la guerre, pour ruiner & faccager leurs voitins. Ce n'étoit donc que pour le feul plaifir de batailler, & de faire voir leurs proueffes. Mais n'eft-ce pas les repréfenter comme des Spadaffins, plus ridicules mille fois que les Ches valiers errans, qui dans leur folie fe propofoient au moins de redreffer les torts, & de faire regner la justice? Il ajoute, qu'après la Paix

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Dès que je prends la plume, Apollon éperdu
Semble me dire: Arrête, infenfé, que fais-tu?
Sais-tu dans quels périls aujourd'hui tu t'engages?

Cette mer où tu cours eft célèbre en naufrages.

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Ge n'eft pas qu'aifément, comme un autre, à Ton char,
Je ne pûffe attacher Alexandre & Cefar;
Qu'aifément je ne pûffe, en quelque Ode infipide,

CHANG. Vers 5. Sais-tu dans quels périls aujourd'hui tu t'engages?] Dans toutes les éditions qui ont précédé celle de 1701. il y avoit:

les rivages,

Regagne le fivage

d'Aix-la-Chapelle, Mrs Colbert feul détournoit le Roi de faire la guerre, Mais le motif fecret qui avoit obligé les Miniftres à faire cette Paix, ne leur permettoit pas de recommencer fitôt la guerre. Ils s'étoient hâtés Où vastu t'embarquer? regagne de la conclurre, craignant que Mr. de Turenne, qui commençoit à les traiter avec beaucoup de hauteur, L'Auteur avoit même mis dans la ne fe rendît maître des affaires. C'eft premiere compofition: ce que le Commentateur ne devoit pas ignorer. D'ailleurs,, il a mal expliqué le but de cette Epître. Il dit, que Mr. Despreaux y fait voir, qu'un Roi n'eft ni moins grand, ni moins glorieux dans la paix que dans la guerre. Mr. Despreaux va plus loin. Il y fait la Satire des Conquérans; & foutient, que la véritable gloire d'un Roi ne confifte pas à ravager la terre, mais à rendre fes Sujets heureux, en les faifant jouir d'une profonde paix.

En vain aux Conquérans L'erreur parmi les Rois donne les prem miers rangs, &c.

DU MONTEIL.

Cette Epitre fut faite en 1669. & ce fut Madame de THIANGE,qui la préfenta au Roi.

IMIT. Vers 3. Dès que je prends la plume, Apollon éperdu, &c.] Virgil. Eclog. VI. 3.

Cette mer où tu cours eft célèbre en naufrage.

Mais fes Amis lui confeillerent de frages, & regagne les rivages. Cepenmettre au pluriel, célèbre en naudant, comme cette derniere expreffion n'eft pas tout-à-fait jufte, il l'a corrigée en changeant le vers entier..

§. Voici la Critique que Des Ma→ rets fit de ces deux vers: Où vas tu t'embarquer? regagne les rivages, Cette Mer où tu cours eft fameuse en naufrages.

"Ces deux vers, dit-il, ont longtemps occupé fes amis, qui s'eftant engagés à faire paffer auprès du "Roi cette Épître pour quelque "chofe de rare, voyant qu'ilCum canerem reges & prælia, Cyn- avoit mis d'abord regagne le ri

thius aurem

Vellit, & admonuit.

vage, comme il eftoit plus raifon»nable; & qu'enfuite pour rimer

10 T'exalter aux dépens & de Mars & d'Alcide: Te livrer le Bofphore, & d'un vers incivil Propofer au Sultan de Te céder le Nil.

Mais pour Te bien louer, une raison sévère Me dit qu'il faut fortir de la route vulgaire : 15 Qu'après avoir joué tant d'Auteurs différens, Phébus même auroit peur, s'il entroit fur les rangs:

»il avoit mis, célèbre en naufrage, ,,ce qui ne valoit rien; ils juge ,,rent, qu'il falloit mettre célèbre ,,en naufrages, au pluriel; & fur ,,cela ils propofoient de mettre re„gagne les rivages; ce qui toutefois ,,ne vaut rien: car il fuffit à un ,,Vaiffeau qui eft en danger, de ,,gagner un port ou un rivage, fans ,,en gagner plufieurs. De forte

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tion de 1701. qu'il a mis ainfi. Dans toutes les éditions précédentes il y avoit :

Ce n'est pas que ma main, comme un autre, à Ton char,

Grand Roi, ne pût lier Alexandre
& Céfar;

Ne pit, fans fe peiner, dans quelque
Ode infipide, &c.

VERS 16. Phébus même auroit

qu'ils furent long-temps parta ,,gés la deffus, pour favoir, s'il ,,mettroit rivage & naufrage, où ,,rivages & naufrages... Il fut ,,conclu pour rivages & naufrages, Comme leur femblant plus fup- peur, s'il entroit fur les rangs.) DES,,portable; parce que l'Auteur, MARETS dans fa Défenfe du Poëme pour la grande peine qu'il a dans héroïque, Dial. 4. a affecté de donner les vers, ne pouvoit fe réfou- un faux fens à ce vers & au pré,,dre à chercher un autre fens, & cédent. Il fuppofe, que l'Auteur a ,,d'autres rimes. Mais voici un voulu dire, qu'il fait trembler Apol lon le Dieu des Poëtes. Sur quoi il ,,étrange malheur: C'eft que pen,,dant leur conteftation ils ne pre-a accufé Mr. Despreaux d'orgueil ,,noient pas garde au difcours in- & de préfomption. Mais bien loin ,,fenfe & eperdu d'Apollon, qui qu'il y ait ici de la vanité, on ne ,,difoit: Où vas-tu t'embarquer? & peut donner une plus grande mar"enfuite hui difoit: Regagne les ri- que de modeftie, que le fait notre vages: car puifqu'il lui difoit: Poëte, en difant, qu'il doit fortir Ou vas-tu t'embarquer? il n'étoit de la route vulgaire pour bien louer ,,pas embarqué; de forte qu'il n'é- le Roi; & que fi Apollon lui-même ,,toit pas befoin de lui dire: Regagne entroit fur les rangs pour louer ce ,,les rivages. Et Apollon étoit Prince, il feroit effrayé d'une fi ,,bien fou de lui dire: Cette mer où grande entreprife. Voilà le véri,,tul cours, puifqu'il lui confeilloit table fens de l'Auteur. ,,de ne pas s'embarquer; & par con,,féquent il n'eftoit pas encore fur la ,,Mer." Du MONTEIL.

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S. Le Commentateur n'a pas bien pris le fens de notre Poëte. Mr. Despreaux dit, qu'après avoir tourné en ridicule tant d'Auteurs qui s'étoient hazardés de louer le Roi; fi

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