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me du Lutrin qu'il avoit l'Imagination belle, vive & féconde. Cela paroît encore de ce qu'il compofoit prefque toûjours de mémoire, & ne mettoit fes productions fur le papier, que lorfqu'il les vouloit donner au Public.

Il travailloit beaucoup fes Ouvrages, comme il l'infinue lui-même dans fa derniere Préface. Quelque facilité qu'il y ait dans fes Vers, on ne laiffe pas de fentir qu'ils lui ont couté beaucoup, & que ce n'eft qu'à force de les retoucher qu'il leur a donné cet air libre & naturel, qui en fait la principale beauté.

Les Pièces de Poëfie qu'il a publiées depuis l'O de fur Namur, ne font ni fi vives, ni fi exactes que celles qui avoient paru avant ce tems-là: & il y en a même quelques unes qu'on fouhaiteroit, qu'il n'eut point faites. Mais lorsqu'on a été long-tems en poffeffion des juftes applaudiffemens du Public, il est bien difficile de ne pas fe perfuader, qu'on pour ra toûjours lui plaire. On fe flatte, que quelque changement qui puiffe arriver au Corps, l'Efprit confervera toûjours fa force, & le Goût fa délicatesse. Ce fentiment eft très-naturel aux Poëtes: témoin ces Vers du fameux Malherbe:

Je fuis vaincu du Tems; je cède à fes outrages:
Mon Efprit feulement exempt de fa rigueur
A dequoi témoigner en fès derniers
fes derniers ouvrages

Sa premiere vigueur.

Les puiffantes faveurs dont Parnaffe m'honore,

Non loin de mon berceau commencerent leurs course

Je les poffedai jeune, & les poffède encore

A la fin de mes jours *

Cependant on trouvera par-tout dans fes Ouvrages un goût exquis, un fens droit, & une politeffe infinie. Lorfqu'il a emprunté quelque chofe des Anciens, il s'en eft fervi en maître, & fe l'eft rendu propre par le nouveau tour qu'il y a donné. „,Ce,,lui-ci, dit Mr. de la Bruyere, faifant le Caractère de ,,Mr. Despreaux ** , paffe Juvénal, atteint Hora,,ce, femble créer les penfées d'autrui, & fe rendre ,,propre tout ce qu'il manie; il a, dans ce qu'il em,,prunte des autres, toutes les graces de la nouveau,,té, & tout le mérite de l'invention; fes vers forts ,,& harmonieux, faits de génie, quoique travaillés ,,avec art, pleins de traits & de Poëfie, feront lûs ,, encore quand la Langue aura vieilli, en feront les ,,derniers débris; on y remarque une critique fûre, ,,judicieuse, & innocente, s'il eft permis du moins ,,de dire de ce qui eft mauvais qu'il eft mau

,,vais "

Mais ce ne font pas feulement les François, qui ont loué Monfieur Despreaux: fon Éloge a été fait par tous les habiles gens, qui ont pû lire fes Ouvrages, de quelque Nation qu'ils fuffent. Monfieur le Baron de Spanheim, après avoir montré quelle est l'origine de la Satire, dans la Préface de fon excellente Traduction Françoife des CESARS de l'Empereur Julien ***, & fait voir, que Lucilius eft Auteur de cette espèce de Poëme, inconnu aux Grecs; ,,C'eft auffi fur ce modele, ajoute-t-il, que furent

* Malherbe, POESIES, Livre II. dans l'ODE pour le Roi allant châtier la Rebellion des Rochellois, &c.

** Dans fon DISCOURS & Meffieurs de l'Académie Françoife, p. m. xxx.

*** Page 14. 15.

,,formées enfuite comme on fait, les Satires d'Ho,,race, de Perse & de Juvénal; fans toucher ici au ,,Caractère particulier que chacun d'eux y apporta ,,fuivant fon génie, ou celui de fon fiècle. Et c'est ,,fur ces grands exemples, que les Auteurs des der,,niers fiècles & de notre tems, François, Italiens ,,& autres, ont formé leurs Poëmes, qu'ils ont pu ,,bliés fous ce même nom de Satires. Sur quoi on „peut dire avec juftice, continue-t-il, non feulement ,,que la France l'emporte fur fes Voifins, mais qu'el,,le le difpute avec l'ancienne Rome; & que fi la ,,gloire de l'invention en eft dûe à Lucilius; celle de „l'avoir égalé ou furpaffé, à ceux qui le fuivirent; ,,la gloire d'y avoir excellé, foit par la beauté & ,,la facilité des Vers; foit par un fens droit & jufte; ,,foit par une licence, qui a fes bornes & fes bien,,féances requifes: que cette gloire, dis-je, n'en ,,peut-être conteftée au célèbre Monfieur Des

,,preaux.

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Mais il faut avouer que rien ne lui eft plus glorieux que l'Approbation qu'il a eue en Angleterre, où un Auteur étranger tâcheroit én vain de furprendre les fuffrages. Une préoccupation trop favorable n'eft point à craindre; & ainfi l'on peut dire, que Mr. Despreaux n'eft redevable qu'à fon feul mérite, des idées avantageufes qu'on a de lui. La Tradu dion qu'on donne aujourd'hui de tous fes Ouvrages, le fera encore mieux connoître. Il y gagneroit, fans doute, s'il pouvoit être lû dans fa propre Langue: mais les Lecteurs équitables feront affez d'eux-même les compenfations néceffaires; & ils ne condamneront pas Mr. Despreaux avant que d'être bien affurés, que c'eft lui qui parle, & non pas fes Tradu

&eurs.

Mais cet inconvénient eft d'autant moins à yeux de

craindre que chaque Pièce a paffé fous les

144 LA VIE DE MR. BOILEAU DESPREAUX.

Mr. Ozell, qui nous donna, il y a trois ans, uné fi belle Verfion du LUTRIN.

Je, fouhaite paffionnément, Monfieur, que ces Mémoires ne fe trouvent pas indignes de votre Approbation. Je vous fupplie, du moins, de les regarder comme une marque de ma Reconnoiffance, & de la paffion, avec laquelle je ferai toute ma vie, Monfieur, Votre &c.

A Londres, le 22. d'Octobre 171. V. S.

FIN.

DISCOURS

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