chercher dans toutes les îles & toutes les folitudes, mais inutilement. Enfin aprés la mort de Theodofe, Arcade aprit le lieu de fa retraite. Il lui écrivit une lettre où il fe recommandoit à fes prieres, confeffoit le mauvais deffein qu'il avoit eû contre lui, & lui en demandoit pardon, lui offrant la difpofition de tous les tribus d'Egypte, pour les diftribuer aux monafte- res & aux pauvres; & le priant inftament de lui ré- pondre. Arfene ne put fe refoudre de lui écrire mais il lui fit dire: Dieu veüille nous pardonner à tous nos pechez: pour la diftribution de l'argent, je n'en fuis point capable, puifque je fuis déja mort. Dans les commencemens il gardoit encore, fans s'en e. 196 . appercevoir, quelques manieres du fiecle. Il croifoit les jambes étant affis, & mettoit un pied fur le genou.. On avoit peine à l'en avertir ouvertement, à caufe du refpect qu'on lui portoit. L'abbé Pasteur se servit de cette industrie. Il convint avec un autre, de se mettre lui même en cette pofture, quand ils feroient affemblez; afin de donner occafion de le reprendre.. Pasteur le fit, on le reprit de fon immodestie : Il ne s'en défendit point: Arfene comprit que la correc- tion le regardoit, & en profita fuivant l'intention des
Au refte il ne fe diffingua que par fes vertus entre fes moines de la communauté de Scetis. Perfonne n'é- fene. eoit mieux vêtu que lui à la cour,perfonne n'étoit vêtu plus fimplement dans le monaftere.. Hs'occupoit juf à midi à faire des nates de palmier ; & travailloit affis; ayant un mouchoir dans fon fein pour ef fuïerles larmes quitomboient.continuellement de fes yeux ce qui dura pendant toute fa vie. N ne chan- 7. 18. geoit qu'une fois par anteau outrempoient les feuilles
de palme qu'il employoit, fe contenant d'en ajoûter de temps en temps. Les anciens du monastere lui di- rent un jour: Pourquoi ne changez-vous point cette eau puante? Il répondit : Je dois fouffrir cette odeur à caufe des parfums, dont j'ai ufé dans le monde. Il ne confumoit par an pour fa nourriture qu'une pe- tite mesure de bled nommée Thallis, encore ceux qui le venoient voir en mangeoient avec lui. On donna une fois aux freres de Scetis quelques figues. C'étoit fi peu de chose, qu'ils ne lui en envoyerent point, craignant de l'offenfer. Il ne vint point à l'église & dit: Vous m'avez excommunié, ne me jugeant pas digne d'avoir part à la benediction que Dieu vous a envoyée. Tous furent édifiez de fon humilité: le prê- tre alla lui porter des figues, & le ramena à l'églife avec joye. Il veilloit toute la nuit, & vers le matin la nature le forçant à dormir, il difoit au fommeil: Viens-çà, mauvais ferviteur, & aprés en avoir pris un il fe relevoit aufli-tôt. Il pria une fois deux moi- peu, nes, Alexandre & Zoïle, de l'obferver pendant la nuit, & ils ne s'apperçurent point qu'il eût dormi, finon que le matin, il foufla trois fois comme en fommeil- lant: encore douterent-ils s'il ne l'avoit point fait ex- prés. Le famedi au foir il fe mettoit en priere, tour- nant le dos au foleil, & demeuroit ainfi les mains élevées au ciel jufques à ce que le foleil lui donnât fur le vifage. Il difoit que c'étoit affez pour un moi- ne de dormir une heure.
Un jour il étoit malade en Scetis: le prêtre vint, le porta à l'églife, & le mit fur un lit de peaux avec un oreiller fous fa tête. Un des moines le vint voir, & fcandalifé de le trouver fi bien couché, il dit : Est-ce là l'abbé Arfene ? Le prêtre le prit en particu
Hier, & lui dit: Que faifiez vous dans vôtre village ? Le vieillard répondit: J'étois berger. Et comment paffiez vous votre vie? dit le prêtre. J'avois, dit-il, beaucoup de peine. Et maintenant comment vivezvous dans votre cellule? J'ai plus de repos, dit-il. Alors le prêtre luy dit: Voyez-vous cet abbé Arsene? dans le monde, il étoit le pere des empereurs ; avoit mille esclaves vêtus de foye, avec des bracelets & des ceintures d'or, il couchoit fur des lits précieux. Vous qui étiez berger, n'aviez pas dans le monde la douceur que vous aviez ici, & il n'a pas ici des délices qu'il avoit dans le monde ; vous êtes foulage, & il fouffre. Le vieillard touché de fes paroles fe profterna, & dit: pardonnez-moy mon pere, j'ai peché; il eft dans le vrai chemin de l'humiliation, & s'en retourna édifié. Saint Arfene étoit fi pauvre qu'ayant befoin d'une chemise dans fa maladie, il fouffrit qu'on lui donnât par charité de quoi d'acheter, & dit: Je vous remercie, Seigneur, de m'avoir fait la grace de recevoir l'aumone en vôtre nom. Un officier de l'empereur vint lui apporter le Teftament d'un Senateur fon parent, qui lui laiffoit une tresgrande fucceffion. I le prit & le vouloit déchirer. L'officier fe jetta à fes pieds, & lui dit: Je vous prie ne le déchirez pas; il y va de ma tête. S. Arfene dit: Je fuis mort devant lui; & ne voulut rien recevoir du Testament.
La vertu qui éclata le plus en lui, fut l'amour de la retraite. Sa cellule étoit éloignée de trente-deux mille; c'eft-à-dire de plus de dix lieuës: il n'en fortoit pas volontiers; & d'autres moines lui rendoient les services neceffaires. Quand il alloit à l'églife, il demeuroit affis derriere un pillier, afin que perfonne ne
le vit au vifage, & qu'il ne vît perfonne. L'abbé Marc lui dit un jour: Pourquoi nous fuyez-vous? Arsene Jui répondit : Dieu fçait que je vous aime; mais je ne puis être avec Dieu & avec les hommes; les troupes celeftes n'ont qu'une volonté, les hommes en ont plufieurs. Un des peres vint fraper à fa porte: le S. vieillard ouvrit, croyant que ce fût celui qui le fer- voit ; mais voyant que c'étoit un autre, il fe proster- na fur le vifage. L'autre lui dit: Levez-vous, mon •pere, afin que je vous embraffe. Je ne me leverai point, dit-il, que vous ne vous foyez retiré; & quel- que inftance que l'autre pût faire, il ne fe leva point. L'Archevêque Theophile vint un jour le voir avec un magiftrat, &le pria de lui dire quelque chofe. Arfene aprés avoir gardé un peu de filence, lui dit: Et fi je vous dis quelque chofe, l'obferverez-vous? ils le pro- mirent; & il leur dit : où vous fçaurez que fera Arfe- ne n'en approchez pas. Une autre fois l'archevêque le voulant entretenir, envoya fçavoir auparavant s'il ouvriroit fa porte. Il répondit: Si vous venez, je vous ouvrirai; & fi je vous ouvre, j'ouvrirai à tout le mon de; aprés quoy je ne demeurerai plus ici. L'archevê- que dit: J'aime mieux n'y point aller que de le chaf fer. Quelques anciens l'ayant un jour preffé de leur parler, & de leur expliquer la raison de cette grande retraite, il leur dit: Tant qu'une fille eft dans la mai- fon de fon pere, plufieurs la recherchent; quand elle elt mariée, on en parle diverfement, & on n'en fait plus tant de cas. Ainfi les chofes fpirituelles étant pu- bliées ne ne peuvent être utiles à tout le monde..
S. Arfene vêcut ainfi jufques à quatre-vingt-quinze ans. Car il avoit quarante ans quand il quitta la caur, & en passa quarante dans le defert de Scetis,
dont il fortit quand il fut ravagé par les barbares, & vêcut encore quinze ans. Il étoit de belle taille, mais un peu courbé dans fa vicilleffe; il avoit bonne mine les cheveux tous blancs, la barbe jufques à la ceinture; mais fes larmes lui avoient fait tomber le poil des yeux. Il ne vouloit jamais parler d'aucune queftion de l'écriture, quoiqu'il eût bien pû le faire; & n'écri- voit pas volontiers de lettres. Il difoit un jour: Toute ». s. nôtre fcience du monde ne nous fert de rien, & ces Egyptiens ruftiques ont acquis leurs vertus par leur travail. Comme il confultoit un vieil Egyptien fur fes propres penfées, un autre lui dit: Pere Arfene, vous qui êtes fi bien inftruit de toutes les fciences des Ro- mains & des Grecs, comment confultez-vous cet homme groffier? Il répondit: Je fcai les fciences des Grecs & des Romains; mais je n'ai pas encore apris l'alphabeth de ce vieillard.
On connoît la perfection des moines Egyptiens par les relations de Jean Caffien, qui les vifitoit dans ce même temps. Il étoit Scythe de nation, né de parens riches & pieux : il fut inftruit à la pieté dés fa premiere jeuneffe dans un monaftere de Palestine prés de Bethleem, different de celui de S. Jerôme, & apparemment plus ancien. Caffien y embraffa la vie monaftique, & y contracta une amitié particuliere avec un moine nommé Germain: ils conceurent enfemble le defir de vifiter les folitaires d'Egypte, pour s'inftruire de la perfection de leur état. L'abbé & les moines de leur communauté y confentirent, à condition qu'ils reviendroient au monaftere. S'étant embarquez, ils arriverent en Egypte à une ville nommée Tennefe, dont le territoire étoit tout innondé de marais falez: en forte que les habitans ne subsistoient
Cheremon, Nefte- Gennad. c. 60. Caf. Coll. xxiv. Praf. ad Inft. coll. XI. 6, X. 6. 5.
ros, Jofeph.
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