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dont les arrêts font fans appel. J'étois à l'audience publique à Miquenès, en Juillet 1775, lorsque l'Empereur fit affommer, à coups de bâton, un Gouverneur de la province du Rif, après il lui fit couper les mains, & fit jetter fon & fit jetter fon corps dans la campagne (1). Ce Prince, tout agité, defcendit de fon cheval pour baiser la terre, & faire hommage à Dieu de cet acte de juftice; quand il fut remonté à cheval, il me fit approcher, & me donna une audience affez longue.

Comme l'Empereur de Maroc reçoit dans ces audiences publiques les vifites des Miniftres, des Confuls, des Négocians ou autres étrangers, les affaires s'y traitent publiquement; on fait passer par écrit, ou par des perfonnes de confiance, ce qui peut exiger de la difcrétion, fi tant eft qu'on doive y compter, dans une Cour où l'on - n'a d'autre fyftême que l'intérêt & la convenance du moment. Perfonne n'eft admis aux audiences publiques, fans un préfent proportionné à fes facultés, ou à la nature des commiffions & des

(1) Ce Gouverneur fut puni comme traitre; il avoit été fufpecté d'avoir quelqu'intelligence avec le Gouverneur de Melille, pendant le fiége de cette place, & il avoit manifefté enfuite une défobéiffance marquée aux ordres du Souverain.

circonftances; les étrangers font auffi dans l'usage de faire quelques libéralités à toutes les perfonnes attachées au fervice du Prince. Il arrive même fouvent que ces perfonnes font naître, à tout inftant, des meffages, vrais ou faux, de la part du Souverain, pour multiplier ces contributions. Les Maures font moins expofés à ces petites vexations, dont l'usage a fait une loi, mais ils ne fe préfentent pas fans offrir un hommage de leur foumiffion; les Gouverneurs des provinces préfentent de l'argent, des efclaves, des chevanx & des chameaux; les particuliers donnent des haïques, des tapis, des toiles ou autres effets; tel pauvre Maure offre un vieux cheval, un chameau, deux moutons, une chèvre, trois poules ou une douzaine d'œufs.

L'ufage refpectable où eft le Souverain d'admettre tout le monde à fon audience, & d'y rendre publiquement la justice, eft un cemperament à la rigueur du gouvernement, & une confolation pour des fujets toujours expofés à l'oppreffion il fert de frein aux abus d'autorité qu'ils pourroient éprouver de la part des Gouverneurs des provinces & des villes; ce font les feuls à qui le Souverain, en raifon de leur éloignement, confie un pouvoir affez étendu, & le defpotiline paffc ainfi du maître à l'esclave.

Les Gouverneurs ou Bachas, ont exclufive: ment la police de leur gouvernement; ils ont foin d'en accroître le revenu par des moyens d'autorité, ou en tirant parti des altercations que l'efprit d'inquiétude fait intervenir parmi les fujets. Quand ces Bachas ont ramaffé des richeffes, l'Empereur a foin de les en dépouiller, c'eft un acte de juftice qui tourne au bénéfice du tréfor; l'ar gent, dans ce Gouvernement, eft le crime & la rémiffion du coupable.

Loix & Adminiftration de la Juftice.

Il n'y a point dans l'Empire de Maroc un code de loix, & le code Religieux fupplée au code civil; la fcience de la Jurifprudence s'y réduit à T'application des principes réunis dans l'Alcoran & dans fes commentateurs, & à la connoiffance pratique des décifions que l'on acquiert dans les jurifdictions. Hy a dans les villes & dans les campagnes des Cadis & des Gouverneurs pour administrer la juftice, & des Notaires ou Talbes pour paffer les actes & tout ce qui concerne la sûreté des proprietes, ce qui ett affujetti à des droits modérés.

C'est pardevant le Cadi de chaque ville, ou de chaque quartier de la province, que font portees

les affaires litigieufes qui concernent les propriétés, les fucceffions & toutes les difcuffions d'intérêt; les parties plaident elles-mêmes out, plus fouvent, par Procureur; mais les procé dures ne font point embrouillées par des formes, elles font peu compliquées & de peu de dépenfe. Le Cadi, affitté de quelques gens de loi, confère fur le fonds & fur les circonftances de la difcuf fion, & juge d'après les avis. Les fentences du Cadi font toujours fondées fur la loi, dont l'ALcoran a tracé les principes, ou fur les ufages qui, en matière de difcuffion, fuppléent à la loi. Si les parties ne font point fatisfaites du jugement, ciles font libres d'en appeler pardevant l'Empereur, ce qui arrive très-rarement; outre que dans les pays pauvres les procès ne font jamais affez intéreffans pour pouvoir fupporter des dépenfes, les Maures préfèrent la fentence du Cadi, ou um accommodement, tel qu'il foir, au jugement arbitraire qui résulte de l'autorité; d'ailleurs la politique de ces peuples eft de dérober autant qu'ils le peuvent, leurs facultés à la connoiffance d'un maitre abfolu, qui, pour concilier les parties, pourroit, au grè de fa volonté, garder l'huitre fans leur en rendre les écailles.

Les Gouverneurs des villes n'ont rien à voir x affaires litigieufes; ici l'autorité tient la place

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de la loi; leur jurisdiction, dépouillée de procé dures & de formalités, s'étend für la police des villes, & des chemins, fur l'ordre dans les marchés, le prix des denrées, les querelles, les vols, les batteries, & enfin für tout ce qui a quelque rapport à la sûreté publique. Les jugemens des Gouverneurs font toujours arbitraires; ce font en général quelques baftonades diftribuées, à tort & à travers au coupable & à l'innocent, quelques jours de prifon, que l'on rachette avec de l'argent, & enfin des peines pécuniares, qui font moins proportionnées au délit qu'à l'aifance du coupable, à l'opinion du Juge ou à fa convenance. Il réfulte que les Maures riches font rare>ment punis avec éclat, quand ils font compromis dans quelque mauvaise affaire; & on voit assez, en parcourant le monde, qu'on a par-tout la même indulgence..

11 eft rare de voir les Maures fe battre entre eux; dans leurs différens, ils s'infultent & fe querellent, mais ils ne fe frappent pas; il cft d'usage parmi eux de châtier celui qui a frappé le premier, pour punir la voie de fait, fans que cela puiffe préjudicier à fes droits pour le fonds de fa prétention.

Quoique dans les Etats du Maroc on ait pour les perfonnes inftruites une confidération perfon

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