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faout avoit fufcitée, le Roi de Fez, plus outré que jamais contre les Chérifs, reprit le chemin de Maroc pour en recommencer le fiège. Les Chérifs. allèrent au devant de lui avec une armée inférieure en nombre, & l'attendirent au bord de la rivière des Noirs, pour lui en difputer le paffage; le Roi de Fez étant arrivé à l'autre bord, & ayant campé à fon tour, les deux armées s'observèrent pendant quelques jours, & le Roi de Fez fe déter mina enfin à tenter le paffage; il divifa fon armée en trois corps, donna le premier à commander à Abu Abdallah, Roi de Grenade, qui, après la perte de fon Royaume, s'étoit retiré auprès de lui, le fecond à fon beau-frère, & fe réferva le troifième pour lui. Le Roi de Grenade, ayant' avec lui le fils du Roi de Fez, paffa le premier, & à mefure qu'il étoit au milieu du gué, & que fon avant-garde commençoit à monter de l'autre côté de la rivière, où le terrein étoit élevé, le Roi de Sus attaqua cette avant-garde avec tant de valeur, qu'il la culbuta; le fils du Roi de Fez fut tué, ainfi que le Roi de Grenade; ce Prince qui n'avoit pas expofé fa vie pour la défense de fon royaume, la perdit dans cette occafion pour un intérêt étranger: la confufion fut fi grande parmi les foldats, que l'avant-garde du Roi de Fez, forcée de replier dans la rivière, entraînoit

ceux qui venoient à leur fecours, & fe noyoit avec eux. Le Roi de Fez, qui n'avoit pas encore paffé avec son détachement, voyant ce défordre affreux, fe retira avec tant de diligence, qu'il abandonna fes femmes, fes bagages & fon artillerie, prit le chemin de Tedla & retourna à Fez.

Cette victoire, qui influa beaucoup fur l'opi nion des peuples, favoriía tant le parti des Chérifs qu'ils osèrent tout entreprendre; ils fe déterminèrent l'année d'après de paffer le mont Atlas avec de grandes forces, & ils s'emparèrent du Royaume de Tafiiet. A leur retour, ils levèrent des contributions dans les provinces de Fez; ils y laifsèrent des troupes, & forcèrent celles du Roi de Fez à fe retirer. Muley Mohamet, après ces fuccès, laiffa fon frère à Maroc, & paffa à Tarudant. Ce Prince, en 1536, se préfenta devant Aguadir, Sainte-Croix, qui étoit au pouvoir des Portugais; le fiège de cette place fut un peu long, mais elle fut obligée de fe rendre. Le pouvoir des Chérifs s'étendit encore après cette conquête, parce que les Maures, qui avoient été alliés des Portugais, & qui ne pouvoient plus en être fecourus, fe déterminèrent à rendre hommage à ces Princes.

Cet accroiffement de puiffance, qui par-tout a brouillé les nations, fut enfin pour les Chérifs.

une occafion de difcorde; l'aîné, Muley Achmet, qui avoit le Royaume de Maroc, avoit cédé celui de Sus à Muley Mohamet fon frère, fous la claufe de quelque redevance; mais celui-ci, qui, par fa valeur & par fes qualités, s'étoit rendu plus agréable aux peuples, fentit combien il lui feroit facile de fe fouftraire à cette dépendance; & an lieu d'envoyer à fon frère le quint du butin qu'ij avoit fait à la dernière campagne, il se contenta de lui en envoyer une partie, ce qui choqua le Roi de Maroc, qui le crut en droit de prescrire l'hommage qu'il exigeoit. Sur le refus de Muley Mahomet, il y eut des explications entre les deux frères, qui ne fervirent qu'à aigrir davantage les efprits, & chacun de fon côté fit faire des dégâts fur les domaines de fon voifin; les chofes étoient au point qu'on ne pouvoit guères éviter une rupture. Pour en prévenir les calamités, un Maure en vénération, engagea les deux frères à une entrevue, qui fut pour eux l'occa fion d'une haine irréconciliable; Muley Achmet eur la baffeffe de chercher à étouffer fon frère en l'embraffant; celui-ci, qui étoit plus adroit, fe retira du danger; & ces deux frères, devenus ennemis, fe préparèrent à la guerre.

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Muley Achmet, Roi de Maroc, envoya tout de fuite fon fils, Muley Sidan, avec des troupes

dans la province de Dara, qui étoit du Royaume de Sus, pour y exiger des contributions. Muley Mohamet de fon côté s'oppofa à ces hoftilités; il y eut différentes actions entre les armées de ces deux Princes, & la fortune fe déclara toujours en faveur du Roi de Maroc. Cependant les pertes que fit fon frère ne le rebutèrent pas, & ne fervirent, en quelque façon, qu'à irriter fon courage; ce Prince, ayant affemblé les Gouverneurs des provinces, & les Chefs des tribus, il leur expola les injuftices de fon frère, & leur fit fi bien entrevoir ce qu'ils devoient craindre de fa tyrannie, qu'ils jurerent tous à Muley Mohamet de lui conferver la fidélité. Après ces proteftations, ce Souverain les affura à fon tour, en prenant sa barbe en figne de ferment (1), que, s'ils étoient auffi fidèles qu'ils le promettoient, il vaincroit certainement fon frère, & qu'il l'amèneroit prifonnier à Tarudant.

Les deux armées ne tardèrent pas à fe mettre en campagne, & à profiter habilement de tontes les rufes pour se furprendre réciproquement;

(1) La circonstance de fe prendre la barbe en jurant femble ajouter, parmi les Maures, à la foi du ferment', & on le viole rarement quand on l'a affuré par cette formalité.

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s'étant enfin rencontrées à l'entrée d'un vallon, celle du Roi de Sus, qui étoit fur la hauteur vint fondre fur celle du Roi de Maroc, avec tant d'impétuofité, que celle-ci fut contrainte de lâcher le pied; & fa cavalerie fe trouvant dans une pofition à ne pouvoir s'étendre ni agir, les foldats furent dans la néceffité d'abandonner leurs chevaux pour fuir avec plus de facilité. Dans 'cette déroute, le Roi de Maroc & fon fils Muley, Boéza, furent faits prifonniers, & furent conduits à Tarudant; mais Muley Sidan, fon fils aîné après avoir raffemblé les débris de l'armée, reprit la route de Maroc. Dans cette extrémité les habitans de cette ville crurent devoir recourir à la voie de la négociation; Muley Sidan, du confeil des principaux, envoya fon épouse au Roi de Sus, fon oncle, pour implorer sa clémence, & ménager un accommodement. Cette Princeffe fit fi bien, que Muley Mohamet accorda la délivrance de fon frère, à condition qu'ils partageroient leurs conquètes; il y eut encore plufieurs claufes dans leur traité, mais le peu de cas qu'on 'en fit le rendit entièrement fuperflu.

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Le Roi de Maroc, une fois rentré dans fes Etats, protesta contre la nullité du traité; il oppola, qu'ayant été fait quand il étoit prifonnier, il ne pouvoit nuire ni à fes droits, ni à ceux

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