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de fes enfans, qui, par leur naiffance, avoient à fes domaines un droit trop légitime pour qu'il pût, par aucune renonciation, les en priver. Après cette proteftation, les deux frères, également irrités, fe difposèrent de nouveau à la guerre, & le Roi de Sus paffa le mont Atlas à grandes journées pour venir fur le territoire de Maroc. Les armées s'étant rencontrées, le 19 Août 1544, à fept lieues de cette Capitale, Muley Mohamet, Roi de Sus, attaqua l'armée de fon frère avec 'tant de bravoure, qu'il la défit entièrement, & la pourfuivit jufqu'aux portes de Maroc. Il fomma alors les habitans de lui livrer la place, s'ils ne vouloient être expofés à toutes les rigueurs de la guerre; le Gouverneur, qui n'avoit aucune nouvelle de fon maître, qui pouvoit avoir été pris ou tué, n'ofant fe mettre en défense, repréfenta aux habitans, que Sus & Maroc étant gouvernés par des Princes du même fang, il convenoit de lui ouvrir les portes, & à fon enttée on le falua comme s'il avoit été leur Souverain.

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Après avoir vifité la fortereffe, & mis des corps-de-garde par-tout, ce Prince entra dans le palais de fon frère, où tout étoit en confusion: le tréfor étoit au pillage; fes femmes & fes filles ne s'occupoient, dans ce trouble, qu'à cacher ce qu'elles avoient de plus précieux; mais ce Prince

les tranquillifa, & mit en même-tems le tréfor en sûreté. Muley Achmet, qui s'étoit égaré dans la nuit, arriva dans ces entrefaites, avec peu de fuite, à la fauffe-porte du palais, où il frappoit à grands coups, quand on lui cria, du haut des murs, qu'il fe fauvât, & que fon frère étoit maître de la place. Auffi-tôt ce Prince fe retira à l'hofpice de Sidi Abdallah Ben Ceffi, comme à un afyle affuré. De-là, Muley Sidan & Muley Boëza palsèrent à Fez, pour demander l'affistance du Roi.. Celui-ci, voyant, avec un fecret plaifir, que les Chérifs, dont il avoit éprouvé la perfidie, éteient divifés, promit de fecourir le plus foible, dans l'efpérance de pouvoir, par cette politique, détruire enfuite le plus puiffant.

Cependant les personnes confacrées à l'hospice où Muley Achmet s'étoit réfugié, s'employèrent pour ménager une entrevne entre les deux frères & elle eut lieu peu de jours après. Muley Mohamet, qui, en pareille occafion, avoit éprouvé la mauvaife foi de fon frère, prit fes précautions, & le reçut dans fa tente, ainfi que fes enfans, ayant le cimetèrre à la main; ceux-ci faluèrent leur oncle, en fe profternant devant lui pour lui baifer les genoux. Muley Achmet étant venu le dernier, fon frère alla le recevoir à l'entrée de fa tente, où ils s'embrassèrent en pleurant, &

reftèrent quelque tems en filence. Muley Mohamet reprocha enfin à fon frère le peu de foi avec lequel il avoit obfervé le traité fait à Tarudant; il ajouta que c'étoit à ce manque de parole, plus criminel encore de la part des Rois que de la part des autres hommes, qu'il devoit attribuer fes malheurs; que la Providence ne T'avoit dépouillé de fes Etats que pour venger fon peu de respect pour les conventions; qu'étant fon frère aîné, il l'avoit toujours traité comme fon fupérieur & fon Souverain; qu'il le feroit encore, malgré fa conduite envers lui; mais qu'ayant donné fa parole aux habitans de Maroc de ne plus le laiffer entrer dans la ville, il ne pouvoit y manquer, de peur d'encourir la même difgrace que lui; qu'il paroiffoit convenir qu'il allât, pour quelque tems, à Tafilct avec ses enfans, pour y attendre un meilleur fort; qu'ils devoient regarder les conquêtes qu'ils avoient déjà aites, avec l'aide de Dieu, comme un titre à de plus grandes etperances. Muley Achmet dit quelque chofe pour le juftifier; & fe confiant à la générosité de fon frère, il prit le chemin de Taflet.

Muley Mohamet étant enfin maître du Sud de l'Empire, fe mit en état de faire repentir Muley. Oatas Mérini, Roi de Fez, de l'accueil qu'il avoit ccordé à fes neveux; & cherchant à rompre

avec lui, il lui demanda la province de Tedla, comme une dépendance du Royaume de Maroc; il envoya en même-tems fon fecond fils, Muley Abdelcader, avec des troupes, pour exiger des contributions, & s'emparer d'un château qu'il y avoit dans cette province. Ce château, qui étoit très-bien défendu, fut attaqué avec beaucoup de vigueur par le jeune Prince, qui ne put s'en rendre maître, le Roi de Fez étant venu au fecours de cette place. Sur cet avis, Muley Mohamet fit affembler toute la cavalerie de Sus & de Maroc, march en perfonne vers Tedla, & fe joignit aux troupes qui étoient fous les ordres de fon fils. Le Roi de Fez avoit une armée fupérieure à celle du Roi de Maroc; mais comme elle étoit compofée en partie des habitans de Fez, inconftans, peu aguerris, & accoutumés à la moleffe & aux plaifirs, cette armée s'affoibliffoit tous les jours par les défertions. Le Roi de Maroc, qui connoiffoit la légèreté des gens de Fez, éluda, autant qu'il put, d'en venir aux mains; s'étant enfin déterminé à livrer la bataille, il harangua fes troupes, & leur témoigna que, ne voulant combattre qu'avec des hommes réfolus de vaincre, il laiffoit à ceux d'entr'eux qui manquoient `e résolution la liberté de fe retirer; que comme il étoit persuadé que les troupes Bourgeoifes de

Fez, quoique fupérieures en nombre, ne pour roient pas résister à des foldats auffi courageux que les fiens il alloit livrer la bataille, fe confiant à leur valeur, & ne doutant pas que cette victoire ne le rendit le plus grand Souverain de l'Afrique. Les foldats, animés par ce difcours, demandèrent avec inftance à aller à l'ennemi, & le lendemain matin l'armée s'avança en ordre de bataille; elle formoit un croiffant, felon l'usage des Maures; les deux pointes étoient commandées, l'une par Muley Meffaout, fils du Roi, & l'autre par l'Alcaïde Mumen, fils d'un renégat gênois; le Roi étoit dans le centre avec fes autrès enfans, ayant devant lui les Arquebufiers, & l'artillerie, traînée par des payfans ou portée par des. Mulets. Les deux armées furent quelque tems en face fans s'attaquer; le Chérif avoit ordonné à la fienne de ne faire aucun mouvement jusqu'à ce qu'on eût donné le fignal. Le jour étant exceffivement chaud, ce Prince attendit adroitement que le foleil fût fur fon déclin ; &, au moment qu'il donnoit à dos fur fon armée, & en face fur celle des ennemis, il fit tirer le canon pour que fon armée commençât l'attaque; elle fe fit avec tant d'impétuofité & tant de fuccès, que l'armée du Roi. de Fez fut dans l'inftant mife en déroute. Ce Prince ayant voulu passer la rivière

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