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caractère véritablement féroce; fon règne fut court; mais il fut diftingué par une fuite de cruautés, dont on doit laisser perdre le fouvenir. Ce Prince en avoit contracté l'habitude & s'en fefoit même un amufement: un de fes Alcaïdes, qui revenoit d'un voyage, voulant lui vanter la sûreté qui régnoit fur les chemins de fon Empire, lui dit avoir rencontré un fac de noix que perfonne n'avoit ramaffé; & comment fais-tu que ce font des noix, lui dit l'Empereur? Je l'ai touché avec le pied, repliqua l'Alcaïde. Eh bien, qu'on lui coupe le pied, répartit le Prince, pour punir fa curiofité! Je me borne à ce trait, pour ne pas outrager l'humanité, en retraçant ici les fureurs & les extravagances d'un monftre. On ne doit fidèlement à l'histoire que le détail des événemens qui peignent le fort des nations, & qui peuvent influer fur les mœurs des hommes.

Après la mort de Muley Archid, Muley Haran, fon frère, prit le chemin de Fez, en diligence, pour tâcher de s'emparer du tréfor, comme un moyen affuré pour avoir l'Empire & des foldats pour le défendre; mais Muley Ifmaël, qui étoit à . Téza, & qui reçut cette nouvelle par un Dromadaire (1), y arriva plutôt, & étoit même

(1) Un Dromadaire fait foixante lieues dans un jour

proclamé Souverain, avant l'arrivée de fon frère Ce dernier, ne pouvant donc entrer à Fez, paffa, à Tafilet, pour y fervir de confeil à son neveu, Muley Achmet, & l'aider à s'emparer de la partie de Maroc, où il étoit defiré. Muley Haran ayant formé un parti dans Tafilet, y fut reconnu Roi, & ce fut la première époque de la divifion de l'Empire, après que Muley Archid l'eut réuni par un mêlange monftrueux de valeur, de prudence & de férocité.

Muley Ifmaël, qui réuniffoit les mêmes qualités, & plus de vices encore que Muley Archid, fon frère, fut publiquement reconnu Empereur dans la ville de Fez. L'Alcaïde Carra, Gouverneur de celle de Maroc, particulièrement dévoué à Muley Achmet, fit fermer les portes du palais dont il étoit le maître, & fit proclamer ce dernier, Roi de Maroc, par les troupes qui étoient fous fes ordres; il en donna avis à ce Prince, & le preffa de venir pour raffermir fon élection par fa préfence. Muley Achmet partit tout de fuite pour Maroc, où il reçut l'accueil le plus favorable autant par rapport à lui, que parce qu'il avoit

fon mouvement eft fi prompt, qu'on eft obligé de se faire affujettir deffus avec des fangles, & de mettre un mouchoir devant la bouche pour détourner les impreffions du vont.

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époufé une fille de Muley Labes, qui étoit née dans cette Capitale, & qui, par-là, avoit un droit plus légitime fur l'affection des habitans.

Muley Ifmaël informé de ce qui fe paffoit à Maroc, s'y rendit avec fon armée, au printems de 1673, avant que fon neveu eût le tems de s'y fortifier après qu'il eut paffé la rivière des Noirs, ce Prince fit pofer fon camp auprès de la montagne verte, à l'est de la province de Du quella, où il apprit que fon neveu étoit campé à une lieue de la Capitale. Sur cet avis, Muley Ifmaël leva fon camp, & alla se poster à peu de distance de fon neveu, dans une vafte plaine, où il fit auffi-tôt fes difpofitions de bataille. Les deux armées ne tardèrent pas d'en venir aux mains; elles eurent d'abord des avantages réciproques; mais la victoire fe décida en faveur de Muley Ifmaël, qui avoit de meilleures troupes; les habitans de Maroc, peu familiarifés avec la poudre, s'étoient rapprochés de leurs remparts pour at"tendre l'évenement du combat; d'ailleurs la pouffière qui s'étoit élevée dans la plaine, avoit caufé une fi grande confufion que plufieurs foldats périrent dans les canaux creufés dans la terre, qu'ils n'appercevoient pas. Muley Achmet marqua beaucoup de courage dans cette action, il vouloit même défier fon oncle en combat fingulier;

mais une balle, qui lui traverfa la cuiffe, l'ayant exposé à être pris, il entra un instant au palais avec fon frère Muley Talbe, &, après s'être fait panfer, ils reffortirent pour gagner la montagne, avant que le combat fût fini.

Après que Muley Ifmaël fut affuré de la victoire, il entra dans le château, où il croyoit fon neveu renfermé; mais le Gouverneur Carra lui ayant dit qu'il étoit refforti, ce Prince, d'un coup de fabre, lui fit fauter la tête. Des Cavaliers, qu'il fit courir après lui, fe faifirent de Muley Achmet, par la trahison du fils d'un Chek qui lui avoit donné afyle. Mais le père, honteux de cette perfidie, pourfuivit les Cavaliers avec un détachement, & leur enleva ce jeune Prince, qui fe fauva tout de fuite à Tafilet. On voit, avec vénération, que dans ces climats, confacrés à l'esclavage, ces montagnes, quoique peuplées de nations incultes & féroces, fervent de barrière à l'indépendance, & d'afyle à la fidélité.

Muley Ifmaël refta quelque tems à Maroc pour recevoir l'hommage des provinces & des tribus voifines, & fe difpofa à repaffer dans le nord de fon Empire. Comme ce Prince ne traitoit pas les troupes avec la même générofité que Muley Archid, elles marquèrent d'abord quelque mécontentement. La Ville de Fez, prévenue des difpo

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fitions fecrètes des foldats, forma des projets de confpiration; elle députa même à Tafilet vers Muley Achmet, pour le prier de venir fe mettre à leur tête. La Ville de Téza fe foumit à ce Prince, & les troupes, qui avoient partagé les travaux de Muley Ifmaël, fe retiroient en plein jour & abandonnoient fes étendarts; enfin, à mesure Muley Achnet approchoit, toutes les provinces s'empreffoient de le recevoir. L'Alcaïde Gailand, qui s'étoit évadé d'Arzille fous Muley Archid, informé des changemens furvenus dans l'Empire, follicita & obtint quelques fecours des Algériens pour rentrer dans fes biers & dans fon Gouvernement, où il fut bientôt à la tête d'une armée. Les Villes de Fez, partagées par une diverfité d'intérêts, étoient prefque les feules qui s'entrebattoient journellement, l'ancienne pour Muley Achmet, & la nouvelle pour Muley Ifmaël; mais comme celle-ci avoit un meilleur Général, elle fefoit pencher la balance parmi les tribus des environs. Pour prévenir les inconvéniens qui devoient réfulter de la défection des provinces, Muley Ifmaël, qui s'étoit préfenté devant Téza, prit le parti d'en abandonner le fiège, pour aller avec douze mille hommes, qui fefoient toutes fes forces, combattre l'Alcaïde Gailand, qui tenoit la campagne du côté d'Alcaffar. Ce Prince

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