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attaqua ce brave Général avec tant d'intrépidité, qu'il força fes troupes à fuir; Gailand, malgré la déroute de fon armée, fe bâtit en défefpéré ; il eut quatre chevaux tués fous lui, & ayant reçu une balle dans le corps, il fuccomba enfin fous le nombre, & fa tête, mife au bout d'une lance, fut le plus précieux trophée de la victoire. La défaite de ce Général intimida les révoltés; iis prirent le parti de se foumettre, voyant que la fortune fe déclaroit pour Muley Ifmaël. Ce Prince pardonna à la Ville d'Alcaffar, &, après avoir pacifié la Province d'Algarb, il fe rapprocha de l'ancien Fez, & employa les promeffes, les menaces, & tous les moyens que fa politique lui fuggéra pour ramener les habitans: ceux-ci, fort embarraffés fur le parti qu'ils devoient prendre, s'affemblèrent dans la mofquée, où, par le confeil & les bons offices de Sidi Abdelcader Feffi, qui étoit en vénération, & qui paffoit parmi eux pour avoir connoiffance de l'avenir, ils implorèrent la clémence de Muley Ifmaël. Comme les habitans de Fez n'avoient aucune confiance à la foi de ce Prince, ni aux promeffes qu'il pouvoit faire, on exigea qu'il les affureroit par ferment fur le corps de fon frère, qui avoit été transporté de Maroc à Fez pour y être enterré. Muley Ifmaël ayant confenti a ce qu'exigeoient les gens

de Fez, les députés fe rendirent à fon palais, &, s'étant profternés à terre, ils le fupplièrent d'oublier entièrement le paffé; le Roi les fit relever, les embraffa tous, & après avoir écouté Sidi Abdelcader Feffi, il le prit par la main, & alla avec lui fur le tombeau de fon frère, & jura folemnellement la paix, telle que les députés la demandèrent. La Ville, pleine de fatisfaction, vint de nouveau fe jetter aux pieds du Roi, pour le remercier, & chacun retourna content chez foi. Muley Ifmaël profita de cet inftant de fécurité pour faire paffer adroitement, & fans bruit, des foldats dans les maifons de Fez, & s'emparer des armes des habitans; cela fe fit avec tant de fecret & de dextérité, qu'aucun particulier ne pouvoit même fe douter de ce qu'on avoit fait chez fon voifin. Ce Prince resta encore deux mois à Fez, où il fit diftribuer de l'argent aux troupes, & il fe concilia par-là leur affection.

Dans le commencement de 1674, Muley Ifmaël alla à la rencontre de fon neveu Muley Achmet, qui étoit campé à peu de diftance de Fez; les armées étant en préfence, elles s'obfervèrent pendant quelque tems, parce que les pluies ne permettoient pas d'agir, & que chaque parti étoit occupé de l'efpoir de profiter de quelque rufe. Cette idée favorifa Muley Ifmaël, qui vit paffer

dans fon armée une partie des troupes de fon neveu, que fa mauvaise fortune avoit découragées; ce Prince fe retira enfin lui-même, & paffa dans la province de Dara, pour attendre l'occafion de reprendre les armes.

Muley Ifmaël, étant revenu à Fez, donna quelques gratifications à fes troupes, & marcha vers les provinces du fud pour y rétablir la tranquillité, & fecourir la Ville de Maroc qui étoit prefque affiégée par les montagnards; ceux-ci, prévenus de la marche du Roi, gagnèrent la montagne, & ce Prince continua fon chemin jufqu'à Maroc, où il fut reçu avec des démonftrations de joie. Après avoir pris quelque repos, Muley Ifmaël alla dans la province de Héa, où il exigea de fortes contributions; il revint enfuite du côté du mont Atlas, contre les Chabanets, dont il fit périr un grand nombre dans les tourmens. Ce Prince fe porta, de-là, dans la province de Chavoia, où les peuples s'obftinoient à refufer le tribut; ces montagnards, retranchés dans des valions, où ils avoient abattu des arbres, rendirent les efforts de Muley Ifmaël inutiles; mais un de fes généraux ayant fait le tour de la montagne avec quatre mille chevaux pour mettre les rebelles entre deux feux; ceux-ci, fe voyant extourés, prirent la fuite, & abandonnèrent leurs

femmes & leurs enfans, qui furent mis en pièces & le butin, qui fut confidérable, fut diftribué aux foldats. Après cette expédition, qui, par fes circonftances, rappelloit le fouvenir de celles de Muley Archid, Muley Ifmaël arriva à Fez, cù il exigea des habitans une contribution de cinquante quintaux d'argent, qu'il réduifit, par grace, à trente-trois, ce qui fait deux cents mille livres. On voit dans Salufte que l'ufage de payer les contributions en Afrique par un poids détcrminé d'argent, eft très-ancien. Lorfque Jugurtha, Roi de Numidie, réclama la clémence de Rome, Metellus, qui commandoit en Afrique, exigea qu'il livreroit provifoirement aux Romains deux cents mille livres pefant d'argent. Le quintal d'ar gent à Maroc eft devenu un numéraire de convention, qui eft fixé à mille ducats, valant fix mille fix cents livres, quoiqu'un quintal d'argent monnoyé vaille plus de dix mille livres.

Il arriva, en 1675, un Ambassadeur d'Angleterre, à la Cour de Muley Ifinaël, qui venoit demander la paix, & qui avoit joint à fes préfens quelques efclaves Maures. Le Roi lui fit dire, felon l'ufage & les expreffions de cette Cour, qu'il feroit fon plaifir, & qu'il retourneroit content & fatisfait; au moment qu'il fut queftion de conclure, un Marabout, couvert de haillons,

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faifant profeffion de fainteté, s'approcha du Roi, & lui dit que la nuit dernière le Prophete lui avoit paru, & lui avoit ordonné de lui dire, qu'il l'aideroit à vaincre fes ennemis, s'il vouloit fe départir de faire la paix avec les Anglois. Le Roi, affectant de refpecter ces rêveries, baifa la tête fale de ce Maure, & s'excufa auprès de l'Ambaffadeur, fur ce qu'il ne pouvoit pas faire la paix avec lui pour ne pas encourir la difgrace du Prophete. Cette anecdote peint au mieux la conduite & l'inftabilité de cette Cour, où le Defpote a toujours quelque prétexte fpécieux pour colorer fa volonté, & s'excufer fur ce qu'il fe doit à lui-même, en fur ce qu'il peut avoir folemnellement promis. On vit renaître, dans la même année, un germe de révolution dans la partie du fud de cet Empire; Muley Achmet, pour qui les peuples avoient une certaine prédilection, eut un moment l'espoir de monter fur le trône, ayant été appelé par les Maures de Tarudant, & par quelques tribus de Montagnards, qui lui jurèrent obéiffance & lui offrirent de fervir fous fes drapeaux. Ce Prince, fe confiant à ce retour de profpérité, expédia un courier à la Princeffe fon époufe, qui étoit à Maroc, pour l'en informer, & l'engager à lui ménager un parti dans la Capitale; cette Princeffe, par fes bonnes façons auprès des femmes

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