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leurs habitations, étoient en état de réfifter, le firent avec tant de réfolution, que le Roi fut nonfeulement forcé de renoncer à fon entreprise mais il voulut encore faire amitié avec elles & leur promit de les laiffer tranquilles. Cette promeffe folemnelle, garantie par le facrifice d'un chameau, égorgé au pied de la montagne, comme un gage de fa foi, détermina les Chefs à defcendre pour faluer Muley Ismaël, à qui ils offrirent des préfens, & ils en reçurent à leur tour de la part de ce Prince. Ces peuples ont pour ces facrifices un refpect fi religieux, qu'il eft le garant de leur confiance réciproque; ils emploient auffi ce moyen pour calmer la colère du Souverain, ou pour faire ceffer les rancunes qui exiftent entr'eux. Quoique les Mahométans foient dans l'ufage de faire des facrifices pour remercier Dieu de quelque grace, en faifant diftribuer aux pauvres les victimes qu'ils ont facrifiées; je ne crois pas qu'on doive confondre ces oblations avec le facrifice que fait ici Muley Ifmaël, & que font fouvent les différentes tribus de Maures, pour diffiper les animofités qui les divifent. Ces facrifices me paroiffent devoir être confidérés comme des fermens folemnels, qu'on ne viole pas; ce font des ufages confacrés par le tems, plus anciens que le mahométifme, & qui étoient

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particuliers, peut-être, aux nations d'Afrique. On voit dans Tite-Live, qu'Annibal, étant à la veille de combattre Scipion fur les bords du Pô, après avoir fait bien des promeffes aux foldats de fon armée pour les encourager au combat, il prit enfuite un agneau, & pria Jupiter & les autres Dieux de le faire mourir s'il manquoit à fa parole, de même qu'il alloit faire mourir cet agneau. Les foldats, ajoute cet hiftorien, reçurent l'espérance qu'il leur donnoit, comme fi elle leur étoit venue do la part des Dieux (1).

La réfiftance que ces montagnards avoient d'abord faite à Muley Ifmaël, releva le courage de tous ceux du voifinage; mais elle ne rebuta pas ce Prince, qui, pouffé par l'espérance du butin, s'engagea témérairement dans les montagnes, fans en prévoir affez les inconvéniens. Pour ef frayer ces Brebes, qui vivoient comme des bru res, il les menaçoit de les faire manger par les Chrétiens, dont ces peuples s'étoient fait une idée monftrueufe; mais ils fe raffurèrent, en voyant, difoient-ils, qu'ils avoient la tête, le corps, les bras & les jambes faits comme tous les hommes. L'armée de ce Prince fut retenue. dans ces montagnes par des neiges, qui, ayant,

(1) TITE - LIVE, liv, 1, 3 décad.

fermé les chemins, l'auroient exposée à mourir de faim; mais il s'ouvrit des paffages dans ces précipices, & abandonna fon camp à un détachement, qui, pour ne pas périr de froid & de misère, l'abandonna à fon tour. Muley Ifmaël. perdit à cette campagne environ trois mille tentes, les richeffes qu'il avoit ramaffées, & une partie de fon armée, dont les montagnards harcelèrent l'arrière-garde, & s'emparèrent des bagages. Ce Souverain ayant enfin gagné la plaine de Maroc, y fut joint par le Bacha Seroni, qui l'attendoit avec les troupes de cette province; ce renfort le mit à portée de recruter fon armée, & de donner du repos à ceux qui avoient échappé de cette malheureuse expédition.

Muley Ifmaël, humilié de fon imprudence, reprit lentement le chemin de Miquenès, & fit mourir fon Vifır Abdaraman Fileli; ce Miniftre abufant du pouvoir que ce Prince lui avoit confié, s'étoit permis, en fon absence, toute forte de prévarications, violant les droits les plus facrés, fans refpecter même les femmes des principaux Maures, qui déposèrent publiquement contre lui. Après avoir caffé le bras à ce Ministre de piftolet, Muley Ifmaël le fit traîner dans fon camp, confu dans une peau de bœuf. Toutes les perfonnes de la fuite de ce Vifir fu

d'un coup

rent taillées en pièces, comme complices de fes extorfions & des abus qu'il avoit faits de fon autorité; cette févérité, qui peint la violence des gouvernemens arbitraires, étoit auffi criminelle, peut-être, de la part de ce Prince, que les abus qu'avoit exercés fon Vifir. Il eft à propos d'obferver que les Souverains du Maroc, defirant imiter la Cour Ottomane, ont eu quelquefois des Vifirs; mais ces places éminentes n'ont dans cet Empire ni le même état, ni le même pouvoir qu'elles ont à Conftantinople. L'autorité ne peut être tranfmife, qu'autant qu'elle eft fondée fur des principes, & il n'y en a pas dans un gouvernement véritablement' defpotique, où tout dépend de la volonté arbitraire d'un homme; un Vifir à Maroc n'en a que le nom, & ne peut jamais en avoir T'autorité. Muley Ifmaël fut rendu à Miquenès à la Pâque des facrifices, il y avoit convoqué tous les Grands, qui s'emprefsèrent de lui apporter des préfens; car, dans cette Cour, la vifite & les préfens vont non-feulement ensemble, mais il pourroit être plaufible, en quelque façon, de fe difpenfer de la vifite, pourvu qu'on envoie le préfent.

encore

Les projets ambitieux de Muley Ifmaël, & les différentes fituations où il s'étoit trouvé dans les premières années de fon régne, lui ayant fait

fentir la néceffité d'avoir des troupes de confiance, il conçut le projet de former un corps de foldats noirs, qui fuffent immédiatement fous fes ordres; pour y parvenir plus promptement, indépendamment des noirs que Muley Archid-avoit déjà raffemblés, il en fit lui-même acheter un grand nombre des deux fexes, & il accoutuma les Grands à lui en envoyer en préfent. Après les avoir mariés, & leur avoir affigné des terres & des habitations, il donna de la confiftance à ces générations d'efclaves; il les fit élever dans la religion mahométane, les familiarifa à l'ufage des armes & en fit des foldats, qui devinrent formidables aux naturels du pays. Un Souverain auffi abfolu & auffi bifarre que Muley Ifmaël, devoit toujours craindre l'inconftance & le mécontentement des peuples, que fa violence devoit à tout inftant révolter, & qu'il ne pouvoit contenir qu'en leur oppofant des troupes de confiance, qui n'euffent d'autre intérêt que celui du Defpote. Les noirs étoient précisément dans ce cas; méprités par les Maures, autant par les préjugés de la couleur, que les blancs ont partout confacrée à l'efclavage, que par ceux du culte idolâtre (1), dans lequel ils avoient vécu,

(1) Les Noirs adorent le foleil, & concilient même ce

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