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ils leur étoient étrangers; en combattant pour la gloire de leur maître, ils rempliffoient leurs obligations, & vengeoient en même-tems la haine que les Blancs avoient pour eux. C'est par cette politique adroite & par la rivalité que Muley Ifmaël fut fomenter entre fes foldats & fes fujets,' que ce Prince parvint à foumettre & à contenir, pendant un long règne, toutes les provinces d'un Empire accoutumé à changer de maître, & que la férocité de ce Prince auroit tôt ou tard fait foulever.

Après que ce Souverain eut exercé fes Noirs aux évolutions militaires; pour ajouter à la force le pouvoir de la fuperftition, il les confacra, avec quelque cérémonie, à la profpérité de la religion. A l'exemple de Sultan Amurat, qui, lors de la création des Janiffaires, les envoya à Hagi Bectasch (1), pour leur donner la bénédiction, Muley Ifmaël donna à fes Noirs, pour patron & pour

culte avec le mahométifme; quoique ce foit de toutes les erreurs la plus pardonnable, les Maures ne la regardent pas moins comme une idolâtrie.

(1) HAGI BECTASCH, Saint eftimé parmi les Turcs, & fondateur des Dervichs, coupa la manche d'une robe de feutre, qu'il portoit, pour fervir de modèle au bonnet que portent les Janiffaires en cérémonie, D'HERBELOT, Bibliot, Orientale.

fignal de ralliement, Sidi Boccari, un des com= mentateurs de l'Alcoran, fur le livre duquel il leur fit prêter ferment de fidélité. Ce livre se porta dès-lors, & fe porte encore aujourd'hui, avec respect, dans les armées; & il est déposé dans une tente diftinguée, au centre du camp, comme l'image de leur culte, & le gage de leur fidélité. Toutes les troupes font fous les mêmes aufpices; mais il n'y a que les Noirs, les Loudaia, ou autres tribus deftinées à la garde immédiate du Souverain, auxquels on donne le furnom d'Alboccari, pour défigner, par-là, les foldats qui font directement au service du Prince, ces foldats enregimentés. Cette troupe devint alors la garde particulière de Muley Ifmaël, & il n'en eut jamais de plus fidèle ; &, à quelque réforme près, les fucceffeurs de ce Prince ont fuivi le même plan.

Après que ce Souverain eut affoupi les troubles dont fon Empire avoit été déchiré, il prit du goût pour la bâtiffe, & fe fit un paffe-tems de T'embelliffement de fon palais; n'ayant point de plan fixé, & n'écoutant que fon inconítance, il faifoit abattre & rétablir à tout inftant, donnant lui-même les deffins de ce qu'il vouloit faire exécuter. Ce Prince trouva même dans le détail de fes occupations des occafions plus fréquentes

d'exercer fon caractère bizarre; &, fe fefant un amusement de fa férocité, les efclaves Chrétiens, ou les autres perfonnes qu'il employoit à fes tra vaux, furent fouvent les victimes de fes caprices & de fa barbarie. Si les briques qu'il fefoit em→ ployer fe trouvoient trop minces, il les fefoit caffer fur la tête de celui qui les fabriquoit; tous les ouvriers étoient punis par des peines pécuniaires, ou par des châtimens analogues à leur profeffion. Pour mettre enfuite de la diverfion à ses amusemens & égayer fon oifiveté, ce Prince fit venir plufieurs lions, qu'il fit renfermer dans un parc, & il leur fefoit livrer de tems en tems des criminels, avec lefquels il prenoit le plaifir inhumain de les voir combattre.

Au commencement d'Avril 1680, ce Prince ennemi du repos, donna des troupes à l'Alcaïde Amar Hadou, pour aller faire le fiège de Tanger; ce Général s'empara d'un petit fort, gardé par quarante hommes, qui, ne pouvant être fecourus par la place, aimèrent mieux fe rendre que de s'expofer à périr en défendant ce pofte. Le Gouverneur du fort Charles, qui fe voyoit hors d'état de tenir long-tems, faute de provifions, fe détermina à l'abandonner auffi, & à aller, avec fes troupes, renforcer la garnison du château. Après avoir concerté fa retraite avec le

C

Commandant, il s'y rendit, en combattant contre les Maures pour fe faire un paffage à travers les tranchées; de foixante-dix hommes qu'il y avoit au fort Charles, qui fe firent jour les armes à la main, il ne s'en fauva que quarante, le refte fut pris ou tué. Le fort Charles, dent le Commandant avoit fait charger les mines, fauta en l'air, & les Maures profitèrent de dix-huit canons qu'il avoit fait enclouer, & dont ils ne pu rent faire aucun ufage; Muley Ifmaël fit faire à cette occafion beaucoup de réjouiffances.

Ce fut dans la même année, que le Chevalier de Château Renaud, Chef d'Efcadre de France fe préfenta à la rade de Salé avec dix vaiffeaux de guerre, autant pour bloquer ce port que pour tâcher de ménager la paix. L'Alcaide Amar Hadou, Vice-Roi du Garb, qui devoit s'entretenir de cette négociation en l'abfcnce du Roi, eut plufieurs conférences avec les perfonnes commises par le Commandant François; ces conférences furent infructueufes, & ne fervirent qu'à multiplier les dépenfes & les préfens; felon l'ufage de cette Cour, on promit tout, mais on ne pur convenir de rien.

L'Empereur étant allé dans ces circonftances du côté de Tremeffen, pour châtier les Montagnards, qui avoient donné afyle à fes frères;

il reçut les hommages des tribus répandues dans le petit Atlas, qui s'excusèrent auprès de lui fur l'afyle qu'ils avoient donné, & payèrent fans difficulté une fomme d'argent, que ce Prince leur impofa. Comme les Maures de Tremeffen avoient fouvent réclamé l'affiftance de Muley Ifmael contre les Turcs d'Alger, qui étoient les maîtres de cette place, il voulut voir par lui-même l'état où elle fe trouvoit; mais elle étoit fi bien pourvue & fi bien gardée, qu'il ne vit aucun moyen de rien entreprendre. Le Divan d'Alger, qui pénétra les vues de ce Prince, lui écrivit, dans le même-tems, que s'il trouvoit les limites qui les féparoient un peu trop bornées, il fe mettroit en devoir de les étendre jufqu'à l'Océan & jufqu'au défert. Muley Ifmaël, ayant reçu cette lettre, leva fon camp, reprit le chemin de Miquenès, & n'y fit pas d'autre réponse. De retour à cette Capitale, il y reprit fon goût pour la bâtiffe; &, fous prétexte de faire des agrandiffemens à fon palais, il fefoit détruire & rebâtir, autant par inconftance, que pour occuper les perfonnes qui étoient, auprès de lui; il difoit judicieufement, pour peindre l'inquiétude des hommes, & juftifier la fienne peut-être, que s'il avoit une quantité de Fats dans un panier, & qu'il ne les remuât pas

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