croire que les Anglois la lui avoient rendue par respect pour les armes.

Ce Prince, enorgueilli de la conquête de la Mamore & de l'abandon de Tanger, fe difpofa, en 1687, à faire le fiège de l'Arrache. Après avoir fait les préparatifs réceffaires, il fe présenta devant cette place l'année d'après, il fit établir des batteries du côté du fud, & la bloqua du côté de terre. Cette Ville, après avoir réfifté pendant cinq mois, fe rendit enfin en 1689; il paroît que la garnison refta au pouvoir de Muley Ifinaël, & qu'elle fut échangée à raifon de dix Maures pour un Chrétien.

Après s'être rendu maître des places de la Mamore, de l'Arrache & de celle de Tanger, que les Anglois avoient abandonnée, Muley Ifmaël eut l'ambition de s'emparer de Ceuta ; il raffembla, en 1694, plus de quarante mille hommes. & mit le fiège devant cette fortereffe; mais s'étant apperçu qu'il ne pouvoit s'en emparer qu'autant qu'il feroit fupérieur en mer, il fe borna à la bloquer par terre, & à mettre fon camp à l'abri de toute furprise. Il y eut quelques actions entre les troupes, dans les forties que firent les Espagnols, mais la perte, de part & d'autre, ne confidérable; les Maures, cependant, étant beaucoup incommodés par les bombes & les gre

fut pas

nades qu'on tira de la place, Muley Ifmaël prit le parti de reculer fon camp; il laiffa même le commandement de fon armée au Vice-Roi du Garb, qui fe contenta de regarder Ceuta, & qui ne l'affiéga pas.

Les troubles qu'il y eut en Efpagne au commencement du fiècle, après la mort de Charles fecond, donnèrent à Muley Ifmaël l'espoir de s'emparer de cette place avec plus de facilité; en conféquence, ce Prince fit fortifier le camp des Maures, fit bâtir des maifons pour les Chefs des troupes, des cabanes pour les foldats, & ordonna de reprendre le fiège, & de ne pas l'abandonner, Les Maures languiffoient déjà depuis plus de vingt ans devant Ceuta, lorfqué Philippe cinq fe détermina de les en chaffer. Ce Prince, en 1720, y fit paffer une armée fous les ordres du Marquis de Lede, avec un nombre de galères & de vaiffeaux; l'armée d'Efpagne attaqua celle des Maures par le centre, dans le tems que les vaiffeaux l'incommodoient par fes flancs, avec tant de fuccès, qu'ils la mirent en défordre. Le Marquis de Lede la fuivit pied à pied, & en quatre heures de tems il lui fit non-feulement abandonner fes retranchemens, mais encore il la repouffa d'un vallon à l'autre, fans qu'elle osât fe préfenter. Les Espagnols, à leur retour au camp, y trouvèrent

quatre mortiers, quelques pièces d'artillerie quatre drapeaux, & beaucoup de munitions. J'ai interrompu le cours des événemens, qui ont diftingué le régne de Muley Ifmaël, pour réunir tout ce qui concerne les vues de ce Prince fur Ceuta. Quoique les Maures n'aient fait, après ce règne, aucune hoftilité contre cette place, leur camp d'obfervation a toujours exifté; & malgré la bonne harmonie qui règne aujourd'hui entre la Cour d'Espagne & celle de Marce, le camp des Maures & la Ville de Ceuta ne fe communiquent qu'avec une réciproque circonfpection.

Ce n'eft pas feulement par des dévaftations, des conquêtes & des projets ambitieux que l'Empire de Muley Ifmaël a été agité; à mesure que ce prince avançoit cn âge, fes enfans, dont le nombre, l'ambition & le caractère impétueux préparoient de nouvelles révolutions & de nouveaux crimes, lui firent éprouver, dans le commencement du fiècle, tous les foucis qu'il devoit attendre de cette humeur inquiète & féroce, dont il leur avoit donné l'exemple. Indépendamment de l'afcendant que ces Princes commençoient à prendre dans les provinces fur des fujets opprimés, & toujours prêts à changer de maître, leur ambition fomentoit encore des peines domeftiques par les intrigues fecrètes des femmes de ce

Souverain, qui chacune cherchoit à favorifer les intérêts de fon fils, au préjudice d'un autre frère; & les provinces où ces Princes commandoient, furent long-tems les victimes de ces brigues, & des animofités perfonnelles qui les provoquoient.

De tous les enfans de Muley Ifmaël, Muley Mahomet, qui étoit le plus intéressant par fa figure, & qui, par les qualités qu'il réuniffoit avoit mérité quelque prédilection, fut celui qui lui donna le plus de chagrin; il étoit né d'une Géorgiène, achetée à Alger, qui, par fes graces & fa beauté, avoit acquis quelqu'empire fur le cœur féroce de Muley Ifmaël. Ce jeune Prince que fa figure, une idée de prééminence & l'opinion des peuples avoient rendu audacieux, & qui, dans fa jeuneffe, fans refpect pour les afyles facrés du Palais, partageoit avec fon père les victimes destinées à fes plaisirs, fut lui-même facrifié aux paffions & à ces intrigues de férail, dont l'effet eft d'autant plus affuré, qu'elles regnent dans le fecret & dans le filence.

Une des Reines (1), noire d'origine, mère dé Muley Zidan, ambitieufe & intrigante, qui, par

(1) On donne indifféremment à Maroc le nom de Reine, & celui de Lela Dame, aux femmes époufes du Souverain, qu'on n'appèlle que Dames chez le Grand-Seigneur.

quelques attraits propres à émouvoir les paffions, balançoit, fur le cœur dépravé de Muley Límaël, le pouvoir de la Géorgiène, réfolut de perdre à la fois fa rivale & fon fils, pour ménager, parlà, à Muley Zidan plus de droit fur l'affection de fon père. Cette Princeffe, qui, par son influence & par l'afcendant de fon caractère, avoit pris de l'empire fur les autres femmes, jaloufes comme elle des préférences de la Géorgiène, accrédita des foupçons d'infidélité; & furprit à Muley Ifmaël, dans un accès atroce d'amour & de fureur, la permiffion de la faire étrangler. Cette mort précipitée, qui fut très-fenfible à ce Prince, après la réflexion, augmenta fon attachement pour Muley Mahomet; & pour le dérober aux intrigues de Léla Zidana, dont il craignoit luimême la féduction, il lui donna le gouvernement de Tafilet. Ce Prince, qui gouvernoit à Fez, & qui en préféroit le féjour, éluda fon départ, fous prétexte de maladie; & fon père', ne voulant pas contrarier fa répugnance, confentit de l'envoyer du côté de Sus, auprès de Muley Chérif, qui avoit fuccédé à Muley Achmet.

A peine Muley Mahomet fut-il arrivé dans fon gouvernement, qu'il appaisa promptement, & felon les defirs du Roi, des mouvemens de révolte qui fe manifeftoient du côté de Taru