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ci refusa, préférant, dit-il, la mort à l'action sacrilège de tremper fa main dans le fang d'un Chérif. Le Roi, irrité de ce fentiment généreux, trancha lui-même la tête au boucher, & en appela un autre qui exécuta fes volontés, & coupa la main & le pied droit à cet infortuné Prince. Hé bien, malheureux, dit alors 'Ifmaël, à préfent connois-tu ton père? Il prit en même-tems un fufi!, & tua le Boucher qui avoit coupé la main & le pied à fon fils; Mahomet, accablé par la douleur, ne put s'empêcher de faire obferver l'inconféquence atroce d'un Souverain qui tue celui qui exécute fes ordres, comme celui qui refufe de lui obéir. On mit dans le goudron le bras & la jambe de cet infortuné Prince, pour arrêter le fang; & l'Empéreur fouillé du fang de fon fils, ordonna à fes gardes de le porter vivant, à Miquenès, fous peine de la vie.

Le récit de cette fcène tragique, répandit dans lá Ville la terreur & la confternation; le Palais retentit de lamentations & de cris douloureux; & Muley Ifmaël, ne pouvant les faire ceffer, par la févérité de fes ordres, fit encore périr dans fa fureur quelques femmes qui lui avoient défobéi, & obligea, par-là, les autres à enfevelir leur douleur. Les enfans de Muley Mahomet eurent feuls la liberté de s'y livrer; mais ils n'eurent pas la

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confolation de revoir leur père; ce Prince vécut treize jours dans les fouffrances, & demanda à être inhumé comme un esclave; mais fon père lui fit élever un tombeau, qui confervé à la poftérité le fouvenir de fa barbarie.

Après s'être défait de fon rival, Muley Zidan, qui ne fut pas plus heureux, retourna à Tarudant pour s'emparer de cette Ville, où le reste des révoltés s'étoient enfermés; il la ferra de fi

près, que la famine y fir des ravages affreux, &

elle fut forcée de fe rendre à difcrétion. Ce Prince, plus féroce, plus avare & plus inhumain encore que fon pére, commit dans Tarudant toute forte d'excès; & juftifia, par fes cruautés, l'opinion qu'il avoit donnée de lui dans fa jeuneffe, où il avoit annoncé la réunion de tous les vices enfemble.

Au bruit des horreurs & des brigandages que Muley Zidan exerça contre les habitans de Tarudant, les Maures des Villes & des campagnes voifines alloient fe réfugier dans les rochers, & ne fe croyoient en sûreté nulle part; la Ville de Sainte-Croix fut évacuée dans le même-tems ? 1712, & quand ce Prince s'y rendit pour s'en emparer, il n'y trouva qu'une vieille femme & un Juif aveugle, qui, par les circonstances de leur infirmité, n'avoient pu fe dérober à fa féro

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cité. Les foldats de ce Prince n'éprouvèrent aucune réfiftance, puifque les Maures fuyoient devant eux; ils s'enrichirent par le pillage, & fe permirent toute forte de licences.

Les fuccès de Zidan, fes forces & fes tréfors, infpirèrent de l'inquiétude à Muley Ifmaël, toujours tourmenté par les paffions; ce Prince fe repentit, un peu tard, d'avoir donné à fon fils le commandement de fes troupes, & prit divers prétextes pour le rappeler auprès de lui; mais Zidan, qui méditoit d'autres projets, renvoyoit fon retour d'une année à l'autre, en faisant voir que fa préfence étoit néceffaire, pour achever de diffiper les conjurés. Pour mieux tromper fon fils, Muley Ismaël fit répandre le bruit d'une maladie, il ceffa même de paroîtré en public, & engagea la mère de Zidan d'attirer adroitement fon fils à Miquenès, fous prétexte, qu'en cas de mort, il pourroit, plus aifément, s'affurer de l'Empire; mais ce Prince, qui connoiffoit toutes les rufes de fon père, fe défia de l'avis, & n'en fit aucun cas. Sa mère lui écrivit une feconde fois que fon père étant à l'extrémité, s'il ne venoit inceffamment, il ne feroit point à tems de lui rendre fes devoirs : que mon père soit vivant ou mort, lui répondit le Prince, je n'abandonne

point mon armée, qui, en cas de mort, m'aidera plus facilement à monter fur le tróne.

T. Les bruits de la maladie de Muley Ifmaël, & la crainte où l'on étoit qu'il ne fût mort en effet, répandirent cependant quelque trouble dans les provinces; & la fédition même étoit à la veille d'éclater à Miquenès, lorfque Léla Zidana, qui gouvernoit defpotiquement, fous prétexte de la maladie du Roi, fortit du palais avec une lance à la main, & une garde de foldats armés, pour rétablir la tranquillité, & fit même maltraiter avec arrogance, quelques Nègres qui fe trouvèrent fur fon paffage. Un événement auffi étrange, chez une nation où les femmes ne paroiffent point en public, & dans un gouvernement cil elles n'ont aucun droit à l'Empire, étonna le peuple, qui, croyant le Roi mort, fuppofa que cette Princeffe ambitieuse, qu'on détestoit secrètement, vouloit s'emparer de l'autorité; cette idée fouleva les efprits & excita des murmures, qui forcèrent cette Princeffe de rentrer dans le palais. L'Empereur, qu'on n'avoit pas vu depuis cinquante jours, informé de la fermentation qu'il y avoit dans la Ville, fortit à l'instant, &, par fa préfence, en impofa aux habitans, qui témoignèrent la fatisfaction qu'ils avoient de le voir. Le prétendu rétabliffement de ce prince donna

hieu à des réjouiffances publiques; & il reçut même, à cette occafion, la vifite des Alcaïdes, des grands & des députés des provinces & des villes, qui lui portèrent de nouveaux hommages.

Ce Souverain, plein de regret de n'avoir pu, par fes artifices, attirer Muley Zidan auprès de lui, n'écoutant que fa violence & fa férocité, prit d'autres mefures pour fe débarraffer de ce Prince; comme il favoit qu'il étoit adonné à la boiffon, & que dans les excès de fon ivreffe, il fe livroit à tant de cruautés, que ses femmes même n'étoient pas en sûreté, il se servit de leur entremise pour parvenir à fes fins. Les femmes de Zidan fe prétèrent d'autant plus volontiers au défir barbare de Muley Ifmaël, qu'elles n'avoient plus d'autre moyen pour fe délivrer, de la tyrannie qu'elles éprouvoient; dans un moment où ce Prince étoit enfeveli dans le vin, elles l'étouffèrent entre deux matelas, & délivrèrent l'empire d'un monftre qui n'auroit pas en d'égal. Le corps de ce Prince fut porté de Tarudant. à Miquenès, par ordre de fa mère, & y fut enterré; pour diffimuler la part qu'il avoit à fa mort, fon père lui fit élever un tombeau, & fit bâtir une mosquée qui donna afyle aux criminels, de forte que, par un renversement odieux de principes, on y vépère, fous une idée de

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