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fainteté, un Prince livré à tous les vices, détefté de tous les fujets, rebelle à fon père & à fon Roi, mort dans l'ivreffe, & par-là, prévaricateur à la loi.

Après avoir appris la mort de Muley Zidan, Muley Ifmaël, par ce fentiment de contradiction qui tenoit à fon caractère, fit venir à Miquenès fept femmes de ce Prince, avec le Marchand Juif qui lui fourniffoit l'eau de vie dont il s'enivroit. Léla Zidana, auffi digne femme de Muley Ifmaël, que digne mère de Muley Zidan, facrifia ces huit victimes à fa barbarie & à fa vengeance; elle traita avec une rigueur plus attroce, trois de ces femmes à qui elle fit couper les mamelles qu'elle leur fit manger avant de les faire étrangler. Néron, Caligula, Héliogabale, étoient d'illuftres fcélérats; mais ce n'étoient pas des monftres qu'on puiffe comparer dont je n'ai fait qu'ébaucher le portrait. Muley Zidan étant mort en 1721, fon frère Abd-elmeleck, eut le gouvernement du fud, où il fe conduifit d'abord avec prudence; mais l'éloignement où il étoit de fon pere, l'avidité de commander, l'inconftance des peuples, & les vices de a légiflation, qui, dans ces climats, entraînent les Princes vers l'autorité, le rendirent bientôt auffi criminel que fes freres. Agiffant dans fon

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vernement en maître abfolu, il devint bientôt fufpect à son père, & porta la témérité jusqu'à lui refufer le tribut de la province. L'Empereur, à qui le grand âge ne permettoit plus de parcourir des déferts pour faire refpecter fon pouvoir, n'ayant plus d'autres armes que celles de la rufe, écrivit à fon fils des lettres pleines de tendreffe & de confiance pour l'engager à revenir à la Cour, en lui infinuant même que c'étoit pour lui céder l'Empire. Abd-elmeleck, qui connoiffoit fon père, lui répondit dans les termes les plus refpecteux, pour le raffurer fur les inquiétudes qu'il paroiffoit concevoir. Muley Ifmaël diffimula fa peine, feignit d'être fatisfait de la conduite de fon fils, & ne fit pas de nouvelles inftances, mais nourriffant dans fon cœur une haine fecrette contre ce Prince, il fe détermina à défigner Muley Achmet Deby fon cadet pour fucceffeur à l'Empire; on a fuppofé à ce Souverain l'intention de faire regretter fon règne, en laiffant après lui un Prince indigne de la Couronne, & incapable de gouverner.

Après avoir joui cinquante-quatre ans d'un trône toujours agité par des inquiétudes où des foupçons, & fouillé par une fuite de fcènes tragiques, Muley Ifmaël mourut enfin le 22 Mars 1727, âgé de quatre vingt-un ans. Ce Prince

politique, laborieux & entreprenant a terni l'éclat de fon règne, par fon avarice, fa mauvaise foi, fes vexations, fes injuftices, & par un tiffu de cruautés, dont le détail feroit effrayant, & dont le tems feul peut effacer le fouvenir. Ce Souverain adonné à la fenfualité, a eu une quantité prodigieufe de femmes, & sa postérité a été fi nombreuse qu'on doute qu'il fût lui-même ce qu'il avoit d'enfans. S'il faut en croire l'opinion générale, les mâles paffoient huit cents, & l'on voit encore à Tafilet une population confidérable de Chérifs qui font les defcendans de Muley Ifmaël, de fes freres ou de fes aïeux.. Les gens du pays racontent que le dernier enfant de ce Souverain naquit dix-huit mois après la mort de fon père, & que les Talbes décidèrent que la douleur avoit changé, à son égard, l'ordre de la nature; la douleur des enfans eft moins précoce en Europe, fans doute, & la faculté de Médecine y eft moins indulgente.

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Muley Ifmaël, qui réuniffoit quelques qualités à un nombre de vices a distingué fon règne par fon activité, par une politique artificieuse, & plus encore, par l'application avec laquelle il a formé fes troupes, compofées de familles de noirs qu'il attira du côté de la Guinée; cette population de foldats étrangers aux Maures &

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toujours en divorce avec eux, a répandu dans le centre de l'Empire, une nation ifolée, qui tenoit aux intérêts de la Monarchie, & qui n'en a jamais eu d'autres; & l'on comptoit, après la mort de Muley Ifmael, environ cent mille foldats noirs, en état de porter les armes.

Cette milice aguerrie, infolente, & qui fut l'inf trument de l'avarice & des paffions de Muley Ifmaël, a beaucoup influé fur les révolutions dont cet Empire a été agité après la mort de ce Prince; elle auroit pu l'envahir, de même que les Tartares. fe font emparés de la Chine, fi elle avoit eu des chefs ambitieux, qui euffent. été auffi capables de former de grands projets, qu'elle étoit en état de les exécuter. L'Empire, dans ces momens orageux fut, pendant plufieurs années, en proie à l'avarice de cette milice, qui ne donna jamais aux fucceffeurs de Muley Ifmaël le tems de raffermir leur autorité; femblables à ceux de Rome, dans fa décadence, c'étoient des Empereurs qu'on ne faifoit que mon trer, & qui difparoiffoient à l'inftant.

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Muley Achmet Deby le feul des enfans de Muley Ifmaël, qui fe trouva à Miquenès lors de la mort de fon pere, fe conduifit avec tant de prudence, par l'aide & le confeil du Gouver neur de cette place, qu'il déconcerta les pro

jets de fes frères Abd-elmeleck & Abdallah, qui étant fes aînés, avoient à l'Empire le droit que l'âge & l'expérience donnent fur la confiance des peuples. Les troupes de ce dernier, qui attendoient quelque révolution en fa faveur, abandonnèrent elles-mêmes fon parti, qui n'avoit pas affez d'afcendant pour faire pancher la balance.

Les grands, & les Officiers des Noirs, s'étant affemblés le lendemain de la mort de Muley Ifmaël, proclamèrent unanimement Muley Achmet Deby, & lui prétèrent ferment de fidélité; & ce Prince leur fit délivrer deux cent mille ducats, environ un million trois cent mille livres, pour les diftribuer aux troupes; encouragées par cette générofité, elles marchèrent contre les provinces qui annonçoient des mouvemens féditieux, & qui, après avoir perdu Muley Ifmaël, croyoient n'avoir plus de maître. Les Maures de la Province de Duquella, & des environs, ayant pris les armes contre Muley Achmet Deby, furent entièrement défaits ou foumis, & cette victoire qui donna encore plus de confiftance aux Noirs, rétablit l'ordre & la tranquillité dans les autres Provinces.

Muley Achmet Deby, généreux par politique, étoit par caractère auffi avare que fon père ; dans les premiers inftans de fon règne, il donna

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