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tous fes foins à connoître & à groffir fon tréfor; il porta même l'avidité & l'indécence, jufqu'à dépouiller les femmes de fon père, des bijoux d'or & d'argent qu'elles avoient reçus de fes caprices & de fa libéralité. La fucceffion de Muley Ifmaël étoit confidérable; Muley Achmet, lui même, avoit fait des économies, & le tréícr de l'Empire montoit peut-être à cent millions de livres cette épargne qui étoit le fruit des tems & de l'oppreffion des peuples, difparut dans un inftant.

Ebloui par cet amas de richeffes, Muley Achmet auffi avare que crapuleux, négligea le foin des affaires & ne s'occupa que de fes plaifirs ; il s'adonna à la boiffon fans aucune réserve, & cette paffion, qui lui aliéna l'affection des peuples, fut la fource de fes malheurs. Pour capter l'amour de fes fujets, ce Prince fit d'abord publier un édit, par lequel il réduifoit tous les impôts à la fimple perception du dixieme des revenus prefcrit par la loi de Mahomet : cette fage difpofi-. tion ne produifit pas l'effet qui devoit en résulter & ne fervit qu'à manifester davantage l'abus que les Gouverneurs fefoient de leur autorité en fe prévalant de la foibleffe du Gouvernement, pour augmenter leurs extorfions; les Provinces en marquèrent tant de mécontentement, que les

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peuples dans bien des endroits, prirent les armes pour s'en faire raifon; ce qui répandit la confufion dans l'Empire.

La plupart des ces Provinces, qui voyoient avec répugnance la conduite irréguliere de Muley Achmet Deby, penchoient fecrettement pour le Prince Abd-elmelek, obfervateur religieux de la loi; mais elles n'ofoient faire éclater leur mécontentement. Muley Achmet, prévenu des difpofitions des peuples, & embarraffé fur le parti qu'il avoit à prendre, s'affura de la fidélité des Noirs par fes libéralités, & s'en remit prefque aux caprices de cette milice avide & inconftante, fur l'administration intérieure de l'Etat. La confiance déplacée que ce Prince prodiguoit à des foldats étrangers que les Maures détestoient, indifpofa encore plus les efprits, & la fermentation devint générale; la fédition se manifeftà d'abord à Fez, où le Gouverneur, & près de cent hommes de fon parti, furent maffacrés par le peuple. La ville de Tetuan, & les environs fuivirent le même exemple; le Gouverneur fut forcé de fuir; le peuple dans fa fureur, ruina fa maifon & fes jardins, & fit éprouver, à cette place, toutes les horreurs d'une guerre civile. Muley Achmet abruti par la boiffon, étoit incapable de remédier aux défordres de l'Etat, on les lui laiffoit même

ignorer. Ce Prince étoit fi cruel quand il n'étoit pas dans le vin, que fes domeftiques & fes femmes n'avoient d'autre moyen d'être tranquilles, qu'en le faifant boire. Le Gouverneur de Miquenès, fur lequel ce Prince fe repofoit pour l'administration des affaires, le rendoit encore plus odieux par la négligence qu'il y mettoit; tout languiffoit à la Cour; la vie crapuleuse du Roi, l'indolence & le découragement de fon Miniftre, firent murmurer les peuples, & le mécontentement devint fi général, qu'il finit enfin par une révolte.

Les provinces du Sud furent les premières qui arborèrent l'étendard de la rebellion; Muley Abd-elmeleck, qui avoit pour lui le vœu des peuples, fe trouvant à la tête d'une puiffante armée, entre Sus & Maroc, étoit, de tous les aspirans à la couronne, celui qui fembloit у avoir un droit plus affuré; mais il fit une faute, qui fut un obftacle à fa fortune & à fon élévation. Pour flatter fes troupes, compofées de montagnards & de gens de bonne volonté, qui avoient les Noirs en horreur; ce Prince annonça que, s'il parvenoit à l'Empire, il n'auroit jamais de Noirs auprès de lui. Cette déclaration, qui étoit d'une très-mauvaise politique dans ce moment, où cette troupe, toujours en armes, avoit tout le pouvoir, favo

rifa un instant le parti de Muley Achmet, dont ces mêmes Noirs, profcrits par Abd-elmelek, fe virent forcés de faire refpecter la puiffance. Ce dernier ne tarda pas d'éprouver les effets de fon indifcrétion & du reffentiment des troupes; déjà maître de Maroc, après une bataille qu'il avoit gagnée, ayant pour lui les provinces du Sud & les villes de Fez & de Tetuan dans la partie du Nord, il étoit prefque maître de l'Empire; mais ayant été défait par ces mêmes Noirs qu'il avoit provoqués, il fut obligé d'abandonner Maroc & de fe retirer, après avoir reçu trois bleffures, qui firent répandre le bruit de fa mort.

Après quelques hoftilités contre les troupes de Muley Achmet Deby, la ville de Fez fit fa paix avec ce Prince, & elle le reconnut pour Souverain. Muley Abd-elmelek, de son côté, fit offrir de mettre bas les armes fi on vouloit lui céder la moitié de l'Empire; Muley Achmet inclinoit affez pour cet arrangement, afin de n'avoir d'autre fouci que celui de boire & dormir; mais les miniftres, les courtifans, & les troupes tout, qui donnoient du poids aux délibérations, s'oppofèrent fortement à ce partage.

fur

Les préventions des peuples, contre Muley Achmet, furent les mêmes après qu'il fut rappelé à l'Empire, parce qu'il ne mit aucun change

ment dans fa façon de vivre. Ce Prince, à qui tout devenoit égal, ignoroit les troubles qui divifoient les provinces, parce que tout fon tems fe paffoit à boire, & fes débauches furent même portées à un tel excès, qu'il ne fut plus poffible de les diffimuler. S'étant rendu à la Mosquée un vendredi à l'heure de la priere, il étoit fi ivre que dans le moment qu'il fe profternoit, felon l'ufage des Mufulmans, il vomit tout fon vin, ce qui caufa la plus grande rumeur & le plus grand fcandale. Après qu'on l'eut rapporté au Palais, il maltraita cruellement fes femmes qui voulurent lui faire des représentations; excédées par tant de violences, elles fortirent en fe déchaînant, tout haut dans les rues, contre l'indolence & la diffimulation des Miniftres & des chefs des troupes, qui n'avoient aucun refpect pour la religion; & les chofes vinrent au point que les foldats, euxmêmes, tout prévenus qu'ils étoient contre Abdelmelek, fe joignirent aux Maures pour le proclamer de nouveau. Après cette proclamation, qui eut lieu en Mars 1728, les Principaux Alcaïdes affemblés à Miquenès, envoyèrent des députés à Muley Abd-elmelek, pour le preffer de fe mettre en route. Son fils, qui fe trouvoit dans cette Capitale alors, fut fait Régent du Royaume en attendant l'arrivée de fon père ; & ce jeune

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