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Muley Ali, qui étoit à Tafilet quand il fut ap→ pelé à l'Empire, arriva à Miquenès en Octobre 1735. Son premier foin, après fon entrée, fut de prendre connoiffance du trésor, qu'il favoit que fon frère Achmet Deby avoit laiffé en bon état ; mais, le voyant réduit à bien peu de chofe, avare & cruel comme l'étoient ses pères, il fe livra à fa férocité; la mère de Muley Abdallah, dans les bras de laquelle il fit égorger une de fes femmes de service, craignant d'être elle-même la victime de fa fureur, lui donna quelques indices fur des objets qu'on avoit détournés, qui étoient de valeur.

de

peu

Ce Prince, jaloux de conferver une couronne qu'il devoit à la prépotence des Noirs, leur ft diftribuer tout ce qui reftoit dans le tréfor, & leur promit, fans en prévoir les conféquences, deux cents mille ducats (treize cents mille liv.), dès qu'il pourroit les payer. Muley Ali n'avoit encore fous fon obéiffance que les Ville sde Fez, Miquenès & leurs dépendances; les armes des Noirs devoient ramener tout le refte. Leur Général, le même qu'Abdallah vouloit faire périr, alla avec trentę mille hommes affiéger Maroc, qui fut pris d'affaut, la garnison paffée au fil de l'épée, & le pillage au profit des foldats; ce Cénéral, guidé par fon reffentiment, se propofoit

d'aller combattre Muley Abdallah lui-même ; mais, voyant quelque irréfolution daus fes troupes, qui avoient fi fouvent éprouvé la générosité bifarre de ce Prince, il préféra de ramener fon armée dans la proyince de Beni-Haffen, où elle enleva des troupeaux, & ravagea les environs de Salé, qui refufa d'ouvrir fes portes.

Quelque reffentiment qu'euffent les Noirs contre Muley Abdallah, la dévotion qu'ils avoient pour l'argent leur fit bientôt oublier les fureurs de ce Prince, pour ne fe rappeller que de fes profufions. Muley Ali étoit pauvre, & c'est, parmi les Princes comme parmi tous les hommes, une foible recommandation. Le Général qui étoit dans fes intérêts perdit infenfiblement la confiance des foldats; féduits par leur avidité & par les intrigues de la mère de Muley Abdallah, qui leur fit promettre trente ducats à chacun, ils proclamèrent de nouveau ce Prince, en Mai 1736, & déposèrent Muley Ali, qui s'étoit abruti depuis quelque tems, par l'usage immodéré de l'achicha, qui lui avoit engourdi l'efprit & le corps (1). Ce Prince, informé de l'élévation de

(1) Cette plante reffemble beaucoup à celle du chanvre; &, préparée avec des drogues, elle produit les mêmes dé- · réglemens que l'opium; il eft des Maures qui en font un

Muley Abdallah, fe retira, à fon tour, dans les montagnes voifines de Tremeffen, avec fa famille, n'ayant avec lui que quarante hommes, qui voulurent partager fon fort.

Muley Abdallah, appelé à l'Empire pour la feconde fois, reçut à Téza, où il fe trouvoit, une députation des Officiers des Noirs, à la tête de deux mille hommes, pour lui annoncer son élection & l'escorter à Miquenès; quoique ce Prince reçut cette députation avec des démonftrations de reconnoiffance, il ne voulut retourner à Miquenès, qu'autant que les Noirs lui livreroient Sélim Douquelli, leur Général, & il leur promit de leur donner en récompense quatre cents mille ducats (deux millions cinq cents mille livres), qu'il avoit cachés. Quelqu'avides d'argent que fuffent les Noirs, la livraison de leur Général leur donna de la répugnance; ils voyoient d'ailleurs que le plan de Muley Abdallah étoit de les affoiblir, & de ne plus dépendre de l'influence qu'ils avoient fur les élections. Sélim Douquelli, homme adroit, & aimé des foldats, les perfuada fi bien, qu'ils n'héfitèrent pas de

ufage fuivi; elle leur occafionne des rêves agréables, &, quoiqu'elle échauffe infiniment, elle engourdi: les fens ; & il y a des tempéramens qu'elle rend furieux.

renoncer de nouveau à l'élévation de ce Prince, & de proclamer Muley Mahomet Oul Del Ariba (1). Ce Général lui expédia un courier à Tafilet, & lui fit paffer un détachement pour l'ef corter à Miquenès; & Muley Abdallah, par son imprudence, fut dépofé le jour même, ou à-peu près, qu'il fut rappelé à l'Empire.

Cette élection précipitée fit naître des querelles parmi les foldats, qui n'étoient pas tous du même avis; ils en vinrent aux armes, & le parti de Muley Abdallah ayant prévalu, ce Prince fut proclamé pour la troifième fois, avant l'arrivée de Muley Mahomet. Ce dernier, qui se trouvoit en chemin., fut contraint de s'arrêter à l'ancien Fez, où il fut reçu & traité en Souverain. On voit que la fouveraineté, dans ces momens de trouble, n'étoit qu'une poffeffion précaire & mobile, qui dépendoit entièrement du moment & des circonstances, du caractère des Chefs, & des caprices des foldats.

Les Officiers des Noirs ayant remis Muley Abdallah fur le trône, fe donnèrent des foins pour le faire revenir fur le compte de leur Général, & ils obtinrent fa grace par l'intervention de fa

(1) C'est-à-dire, fils de l'Ariba, qui étoit le nom de fa mille de la Reine, sa mère,

mère. Ce Général, qui s'étoit réfugié dans un afyle, en fortit fur la parole du Roi; il témoigna cependant à fes foldats la crainte qu'il avoit d'êtrè la victime des rufes de ce renard, fin & funguinaire, qui n'en veut, leur difoit-il, à votre Chef, que pour pouvoir vous détruire avec plus de facilité. L'événement juftifia fa crainte & fon preffentiment; ayant été conduit à Téza, couvert du drap du Sanctuaire où il s'étoit retiré, il fe profterna devant Muley Abdallah; ce Prince baifa le drap de Thofpice par respect pour l'ufage, le fit ôter à cet Alcaide, &, abufant de la religion & de la foi de T'afyle, lui enfonça la lance dans le corps, & defira d'avoir une coupe pour boire son fang; il fix périr enfuite les perfonnes attachées à ce Géné ral, & jufqu'à fes enfans qu'il fit étrangler devant lui.

Cette cruauté, & ce manque de refpe& pour fa parole, & pour les préjugés nationaux, indifposèrent tous les efprits contre Muley Abdallah. L'hofpice des Saints eft non-feulement confidéré parmi les Maures comme un afyle affuré, qui fouftrait un coupable aux premières impreffions de l'autorité, & lui facilite les moyens de fe juftifier; mais encore on a ce refpect pour l'habit même du Saint auquel l'hefpice eft confacré. En détruifant ces préjugés, c'étoit violer les droits

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