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facrés de l'afyle, changer l'opinion des peuples, & les accabler fous le pouvoir du defpotisme ; mais Muley Abdallah, qui ne connoiffoit d'autre règle que fa volonté, fe faifoit un plaifir de méprifer ces hofpices & ces Marabouts, pour lefquels les Maures ont une fuperftitieufe vénération.

Ce Souverain, voulant prévenir le reffentiment que fa mauvaise foi pouvoit infpirer aux Noirs, partit de Téza pour Miquenès, fous prétexte de leur livrer les quatre cents mille ducats qu'il leur avoit promis. Pour gagner du tems, & mieux tromper fes foldats, il leur fit creuser la terre dans des lieux indiqués, & marqua le plus grand étonnement de ce qu'on n'y trouvoit rien. Ce Prince ayant cependant promis de payer les Noirs avant d'entrer à Miquenes, & y étant arrivé fans avoir pu les fatisfaire, il ne favoit quel parti prendre; la promeffe qu'il avoit faite, & la gratification que fa mère leur avoit annoncée, montoient à près de deux millions de ducats; &, ayant diffipé tout ce qu'il avoit, il fut contraint de vendre fes armes, fes équipages & fes bijoux; mais ce facri→ fice, qui marquoit quelque bonne volonté, ne produifit pas même le quart de ce qu'il avoit promis.

Jamais Muley Abdallah n'avoit eu besoin de prudence & de reffources comme dans cette cir

conftance; fécrètement détesté de fes foldats, qui n'aimoient que fa prodigalité, il avoit d'autant plus à craindre de leur inconftance, qu'il étoit fort près de Muley Mahomet, à qui il n'avoit été préféré que pour fon argent. Ce Souverain entra de nouveau en négociation avec les Noirs, & promit de les payer dans le terme de deux mois; les foldats de leur côté voulurent, dans cet intervalle, rester neutres & ne s'intéreffer ni pour lui, ni pour Muley Mahomet, qui étoit enfermé dans Fez. Il eft fingulier en voir un Souverain defpotique capituler avec fes foldats ; mais, étant eux-mêmes les inftrumens du defpotisme, il n'est pas étonnant de les voir quelquefois en être les arbitres. La difpofition des Noirs détermina Muley Abdallah à faire affiéger Fez par les Brebes de fon parti; certe Ville résista avec la plus grande vigueur, & les forties que fit Muley Mahomet eurent tant de fuccès, que les Brebes rebutés, fe déterminèrent à lever le fiège.

Les deux mois de terme que les Noirs avoient accordés à Muley Abdallah étant enfin expirés, ils envoyèrent demander leur argent, comme on réclame une dette; ce Souverain s'excufa fur les circonstances, & les paya avec de nouvelles. promeffes. Les Noirs, que l'argent feul pouvoit rendre dociles, fe rappelèrent alors tous les

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vices de Muley Abdallah, fa cruauté, sa mauvaise foi, la haine qu'il leur portoit; ils ne connoiffoient enfin rien de fi odieux que ce Prince, quand il n'avoit plus d'argent. Les murmures de cette milice inquiete, dont ce Prince craignoir le reffentiment & la férocité, le déterminèrent à s'évader avec ce qu'il avoit de plus précieux, & il fe retira dans les montagnes avec fa mère & fon fils, fuivi de quelques foldats. Les Noirs étonnés de la fuite de ce Souverain, & irréfolus eux-mêmes fur le parti qu'ils avoient à prendre, nommèrent de nouveau, en Octobre 1736, Muley. Mahomet Oul Del Ariba, à la follicitation des députés de Fez, qui promirent de payer pour ce Prince les quatre cents mille ducats que Muley: Abdallah leur avoit promis.

Muley Mahomet, qui craignoit la concurrence de fon frère & l'inconftance des troupes, envoya ine armée pour le combattre dans les montagnes, où il s'étoit réfugié; mais cette armée. n'ofa pas attaquer les Brebes dans leurs retranchemens, & fut forcée de fe retirer. Ce Prince, ayant levé une armée plus confidérable, s'y rendit en perfonne, & ne fut pas plus heureux; fa cavalerie ne pouvant agir dans des montagnes efcarpées, il renonça à fon entreprise, & fe contenta de ravager la campagne & de détruire quel

ques châteaux des environs. Son armée, ayant été enfuite attaquée par les Brebes dans un défilé, fut battue & mife en défordre; Muley Mahomet fut lui-même bleffé au bras, & en danger d'être pris, ayant combattu de près, & avec beaucoup de valeur.

Après ces hoftilités, les Noirs, plus occupés de leurs intérêts que du maintien de l'autorité fouveraine, firent des infinuations au fujet des quatre cents mille ducats que les députés de Fez s'étoient obligés de payer; ceux-ci, ayant , ayant éludé' le paiement de cette fomme, les foldats ne purent diffimuler leur reffentiment. Cette troupe turbulente & avide marqua à Muley Mahomet tant d'indifférence, que ce Prince, doux, jutte, & ennemi de la tyrannie (1), fut à la veille de se démettre de fon autorité, pour ne pas la commettre aux caprices des, troupes. Les Noirs voyant que ce Souverain étoit éloigné de cct efprit de vexation, qui pouvoit feul affouvir Icur rapacité, le dépouillèrent brufquement de ce qu'il

(1) Ce Prince eft mort il y a environ dix ans ; il vivoit en fimple particulier auprès de Miquenès, où j'ai eu l'honneur de le connoître, ainfi que fes enfans: femblables aux Princes Arabes, ils s'entretenoient du revenu de leurs terres & de leurs troupeaux; ils étoient fort honnêtes & d'une fociété très-douce,

avoit, & nommèrent à sa place, en 1738, fon frère Muley Zin Lahabdin.

Muley Zin ne régna qu'un instant. Muley Abdallah, qui étoit paffé du côté de Maroc, où il s'étoit ménagé un puiffant parti, fut proclamé Empereur, pour la quatrième fois, par les provinces du Sud, que la prépotence des Noirs avoient foulevées. Ce Prince, inftruit par les viciffitudes, auxquelles fes diffipations, l'avidité & l'inconftance des troupes l'avoient exposé, fentit la néceffité d'affoiblir cette foldatesque infolente, qui disposoit à fon gré de l'Empire. Il refta longtems campé au bas du mont Atlas avec une armée de Brebes, dans l'intention d'y attirer les Noirs & de les combattre; mais, fon projet n'ayant pu s'exécuter, il fe mit enfin en marche pour Miquenès, où fon élection fut confirmée. Les Noirs, qui y avoient confenti par ménagement, ne voyoient pas cependant avec plaifir fur le trône un Prince qui, malgré fa prodigalité, les avoit fi fouvent trompés, & qui, contre la foi de fa parole, avoit fàcrifié leur Général & les principaux Chefs à fa politique & à fa vengeance; mais ils diffimulèrent leur regret.

Comme l'avarice des troupes favorifoit les intrigues des afpirans à la fouveraineté, le mécontentement fecret des Noirs ne tarda pas à

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