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fe manifefter; la mère de Muley Muftadi, qui entretenoit des négociations avec leur Général, s'y prit fi bien, qu'elle les difpofa en faveur de fon fils, qui fut proclamé Empereur en 1740, & Muley Abdallah reprit encore le chemin des montagnes. Tel étoit le prompt effet de ces révolutions; comme elles dépendoient de l'avarice des troupes & de leur inconftance, elles élevoient & détruifoient prefque dans le même instant.

Muley Muftadi, qui ne vouloit pas dépendre du caprice des foldats, crut bien faire en fe liant avec la province de Beni Haffen & avec le Bacha de Tanger, qui gouvernoit celle du Garb. Cette alliance, qui réuniffoit tout le nord de l'Empire, inspira de la jaloufie aux troupes, qui, pour ne pas donner à Muley Muftadi le tems de renforcer fon parti, rappellèrent pour la cinquième fois Muley Abdallah. Cette dépofition cependant ne fe fit pas auffi tranquillement que les précédentes, parce que chaque parti foutint & défendit fon élection les armes à la main; il y eut différens combats entre les deux armées, & il y cut beaucoup de monde tué de part & d'autre. Muley Abdallah, foutenu par les Noirs, par les Ludaya, & par les plus belliqueufes tribus, l'emporta fur la faction de deux provinces, qui,

toutes puiffantes qu'elles étoient, ne pouvoient pas réfifter à une armée compofée de foldats aguerris. Muley Muftadi d'autre part, fans renoncer entièrement au trône, prit le parti de fe retirer à Arzille, où il faifoit un commerce confidérable en grains avec la côte d'Espagne.

L'Empire, alors, fut un inftant divifé entre Muley Mustadi & Muley Abdallah; celui-ci voulant forcer fon frère à renoncer à la couronne, marcha avec une armée pour s'emparer de Tanger, & faire périr le Bacha Achmet Ben Ali, qui en étoit le Gouverneur & qui foutenoit Muley Mustadi de fon crédit, de fon argent & de fes troupes. Ce gouverneur ayant été tué dans un combat, la villé fut prife & le palais du Gouverneur fut pillé; mais fon fils, Mahomet Ben Achmet, eut le tems de fe fauver à Gibraloù il emporta fes richeffes. Muley Muftadi profita de ces momens de diverfion pour aller de fon côté ravager les environs de Fez; à fon retour de cette expédition, il fut attaqué près d'Alcaffar par Muley Abdallah, & ayant été abandonné dans le combat par une partie de fes troupes, il fe vit forcé de fe retirer à Salé. Malgré la défaite, Muley Muftady fut reçu dans cette ville, & reconnu Souverain; celle de Rabat, qui n'eft féparée de Salé qué par une

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rivière, ayant refufé de le reconnoître, il y eut entre ces deux places une guerre civile qui dura long-tems, & qui fut ruineufe pour les deux partis, par la facilité qu'ils avoient de se mire réciproquement. Salé & Rabat, devenues feufordataires de l'Empire fous Muley Ismaël moient alors une espèce de république qui avoit fon gouvernement municipal. Réunies au centre de l'Empire, ces deux villes pouvoient, par leurs richeffes & par le caractère de leurs habitans, favorifer les factions qui le divifoient,

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Muley Muftadi affiégea Rabat pendant quatorze mois, & n'ayant pu réduire cette place, il se retira à Tedla, où il fut arrêté & mis aux fers par les Brèbes, amis de Muley Abdallah; ceux de la Cafile d'Ourdega l'enlevèrent dans la nuit & le transportèrent dans l'hofpice de Sidi el Mati, qui eft un afyle facré, dont la famille a hérité de la vénération des peuples. Sidi Mati fit escorter Muley Muftadi jufqu'à Salé, où le Bacha Fenis le reçut avec d'autant plus d'empreffement que cette ville, dévouée à ce Prince, n'inclinoit aucunement pour Muley Abdallah. Cependant Muley Muftadi, ne fe fentant pas en état de réfifter à la faction des Noirs & de rétablir la tranquillité dans un Empire conftamment agité, renonça au trône, & paffa de nouveau à Arzille, où il vécut en

Gimple particulier, continuant fon commerce avec l'Europe.

Muley Abdallah refta enfin, pour la fixième fois, maître de l'Empire, & les Noirs, affoi blis par ces divifions, devinrent moins infolens, à mesure qu'il y eut moins de concurrens à la fouveraineté. D'ailleurs, il n'étoit plus poffible d'y mettre un prix ni d'affouvir l'avarice des foldats, autant par l'épuisement du tréfor que par la difficulté qu'il y avoit de tirer des contributions des provinces, que cette fuite de révo¬ lutions avoit entièrement dévastées. Muley Abdallah, que l'expérience rendit plus prudent & plus circonfpect, plein de reffentiment contre les Noirs, dont il avoit fi fouvent éprouvé l'inconf tance, prit la réfolution d'anéantir cette milice audacieuse, dont il n'avoit plus rien à espérer & dont il avoit tout à craindre. Ce Prince fit naître adroitement les occafions de fufciter aux Noirs des querelles avec les montagnards, & ménagea des intrigues fecrettes pour les rendre odieux à toutes les provinces. Sous prétexte de contribu tions forcées, dont ils devoient recevoir le prix, il mit fouvent les Noirs en querelle avec les Brèbes, qui les avoient en horreur. Le Roi luimême, d'intelligence avec ces montagnards, envoyoit des troupes affidées pour mettre les Noirs

entre deux feux; & les facrifioit ainfi à la haine publique, à fa vengeance & à fon propre repos. Par cette barbare politique, dont l'avarice, l'inconftance & la prépondérance des Noirs avoient montré la néceffité, cette milice turbulente, qui avoit fi fouvent mis le trône à l'enchère, perdit enfin cet afcendant qu'elle avoit acquis.

L'autorité reprit fa place, & l'Empire jouit de quelque tranquillité dès que les Noirs furent affoiblis; Muley Abdallah fe raffermit enfin fur le trône, & il en fut paifible poffeffeur jufqu'à fa mort. Les viciffitudes qu'avoit éprouvées ce Prince, ne firent cependant aucun changement fur fes mœurs; il conferva toujours ce caractère fanguinaire & cruel qu'il avoit manifefté, & il n'infpira jamais que la crainte & la terreur. Ingénieux à mettre du rafinement à fa barbarie, il he paffa point de femaine, pas de jour peut-être, fans immoler quelqu'un à fa colère & à fes caprices. On eft forcé de convenir cependant qu'à travers cette foule d'atrocités bizarres, qui ont fouillé le règne de ce Prince, il laiffoit entrevoir quelques principes d'équité & de défintéreffement, qui, fans excufer fa férocité, femblent en voiler la rigueur. Quand un Maure quelconque étoit en faute, Muley Abdallah le fefoit punir avec la plus grande févérité fans lui

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