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torité, de justice & de clémence, fe terminent toujours en payant quelques quintaux d'argent. Ces petites divifions cependant ne donnent aucune inquiétude; elles ne fixent que l'attention du moment. Il est même de la politique d'entretenir & de provoquer ces méfintelligences; elles font la sûreté du Defpote, & tournent presque tonjours à l'avantage de fon tréfor.

Sidi Mahomet étoit fur le trône, depuis quinze ans, lorfqu'en 1772 on vit renaître un germe des révolutions qui avoient bouleversé cet Empire dans fa naiffance. Un Marabout, dont l'imagination étoit exaltée par l'orgueil & par le fanatime, partit du Sud, qui avoit été le berceau des anciennes dynasties, avec un nombre de fectateurs, que l'efprit d'enthousiasme avoit réunis. Ces vifionnaires, au nombre de trois mille, allèrent à Maroc annoncer à ce Souverain la fin de fon régne, & leur chef devoit s'emparer de l'autorité. Les compagnons de ce Marabout n'avoient pour toutes armes que des propos fanatiques, & des bâtons, qu'ils prédifoient, dans l'extravagance de leur imagination, devoir fe transformer en fufils; tandis que les armes de leurs adverfaires fe métamorphoferoient en bâtons. La prédiction ne s'accomplit pas; ces enthoufiaftes furent fabrés & chaffés comme des lâches par une poignée de Tom. III

foldats; & le chef, qui les avoit entretenus dans ces rêveries, ayant été arrêté dans la mosquée, fut conduit à l'Empereur à l'audience publique. Ce Marabout foutint l'interrogatoire avec toute la fermeté & la confiance d'un homme infpiré, & l'Empereur le fit périr au méchuar, comme un perturbateur.

Depuis cette époque, jufqu'à l'année 1778, les provinces ne firent éclater aucune démonftration d'inconftance, qui pût infpircr de la crainte; celles du Nord, felon l'ufage de ces peuples, laiffoient entrevoir des mouvemens d'infubordination quand ce Prince étoit au Sud, & celles du Sud en ufoient de même quand il étoit au Nord; mais la préfence du Souverain & quelqu'amende pécuniaire ramenoient ces tribus à l'obéiffance, & d'un même coup le Prince raffermiffoit fon autorité, & augmentoit fes richeffes.

Le tréfor fe trouvant épuisé par le fiège de Mélille, en 1774; &, n'ayant pu se rétablir par un concours de calamités, pour mettre une proportion entre les revenus & les dépenfes, Sidi Mahomet fe vit dans la néceffité d'augmenter le taux des impofitions, & il en établit même de nouvelles. Les Noirs, dont la folde étoit arriérée, & qu'on payoit avec lenteur, murmurèrent contre ces nouveaux impôts; &, enfin, en Octobre

1778, ils chafsèrent les exacteurs de Miqucnès, & s'emparèrent de la Ville. Après un éclat auffi marqué, les Noirs envoyèrent une députation à Fez à Muley Ali, fils aîné de l'Empereur, pour lui offrir l'Empire. Ce Prince, plein de prudence, incapable de manquer au refpect qu'il devoit à fon père, éloigna cette infinuation; il tâcha, inutilement, de ramener les efprits, & prit le parti de fe retirer à Rabat, pour ne pas provoquer l'infolence des Noirs par un refus plus obftiné. Le refus de Muley Ali détermina les Noirs à appeler Muley Yézid, qui ne marqua pas la même répugnance; &, ce Prince, aimé des foldats, fut publiquement proclamé à l'heure de la prière. Cette révolution caufa une émeute dans Miquenès; le Gouverneur de la Ville eut de la peine à -s'évader à travers les coups de fufils, & fa maison fut pillée & détruite. Muley Yézid, cependant, informa fon père de ce qui se paffoit, & s'excufa de la facilité qu'il avoit eue de céder aux inftances des foldats, dans l'efpérance de pouvoir, par-là les ramener à fon obéiffance, La conduite de Muley Yézid, & quelque méfintelligence parmi les Noirs ralentirent les progrès de cette révolution; elle eût été confommée, fi ce Ptince, qui n'avoit ni argent, ni crédit, eût pris le parti de fe rendre à Rabat avec les troupes; une fois

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réuni à environ huit mille Noirs qui s'y trouvoient raffemblés, il auroit pu facilement se rendre maître du tréfor, qui, par une difpofition inconféquente, étoit difperfé, depuis quelques années, dans les Villes de Rabat, l'Arrache & Tanger; la poffeffion de ces places, dont on pouvoit s'emparer dans fix jours, auroit rendu Muley Yézid maître de l'Empire.

Ces premiers mouvemons d'effervefcence, qu'on voit éclater par-tout dans les émeutes populaires, fe rallentirent ici par la réflexion, par l'inexpérience du Prince, & par l'irréfolution des foldats, qui n'avoient eux-mêmes qu'une idée confuse de ces révolutions, que leur ancêtres avoient fi fouvent fufcitées dans le commencement du fiècle ; &, ainfi qu'on voit revenir le calme après une légère tempête, la fédition de Miquenès s'affoupit, d'ellemême, & n'eur aucun progrès.

L'Empereur, prévenu de cette fédition, partit enfin de Maroc avec des troupes ; il s'afsura, en paffant, de la fidélité de celles qui étoient à Rabat, & se mit en chemin pour Miquenès, où il fut reçu en Souverain; & les deux partis, agités fans doute par une égale crainte, ne parlèrent pas même de ce qui s'étoit paffé. Ce Prince fe rendit, de-là, à Fez; cette ville, qui, par fa confidération, &, par refpect pour fon ancien

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neté, a quelque prépondérance dans les réfolu-, tions civiles, avoit adopté les impreffions des foldats, & avoit donné du poids & de l'importance à leur mécontentement. Sur les reproches que l'Empereur fit aux principaux & aux gens de loi de leur défobéiffance à fes ordres; ils lui repréfentèrent, avec autant de fermeté que de refpect, que la ville de Fez n'avoit pas entendu lub défobéir, & qu'elle ne le feroit jamais; mais que les impofitions fur les comestibles, une augmentation, de droits fur les effets de commerce, & de nouveaux, impôts, que les Mufulmans regardoient contraires à Leurs ufages & à leur religion, pouvoient feuls excufer auprès d'un Prince auffi jufte & aussi religieux, le murmure & le mécontentement général. Sidi Ma¬ homet, gêné par les circonftances, diffimula tout avec prudence; mais convaincu, par des lettres interceptées, que fon fils Muley Yézid entretenoit avec les Brebes des intelligences qui pouvoient être mal interprêtées, il le fit mettre aux arrêts, & le fit enfuite paffer à la Mèque, pour calmer la fougue de fes paffions, & le rendre plus circonfpect. Ce Prince muri par l'âge & par l'expérience, a retiré de ce voyage le fruit que l'cn recueille ordinairement de l'étude des hommes & de la connoiffance des nations.

Quelque porté que foit Sidi Mahomet à la

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