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lement ce que la nature avoit préparé : un célèbre géomètre imprima dans fon efprit le charme fecret qui l'attache aux vérités mathématiques ; & cet efprit fut de bonne heure approfondir, difcuter toute idée nouvelle, l'apprécier, la claffer avec les idées relatives, & en tirer des réfultats lumineux. Pour la morale, Ariste voulut se charger feul d'éclairer, fur les devoirs refpectifs de l'humanité, cette ame pure & fenfible; & la jufteffe que la géométrie avoit portée dans l'efprit de Sainville, l'avoit préparé d'avance à regarder la juftice comme le premier devoir de tous les êtres penfans. Un feul point fur lequel l'oncle & le neveu n'étoient pas abfolument d'accord, & que fouvent ils difcutoient enfemble, c'étoit la guerre. Il eft dans l'homme d'aimer à faire recevoir fes principes aux autres, & fouvent même en porte-t-on trop loin le defir: mais le jeune Sainville ne put jamais fe plier à croire qu'un homme de qualité dans la force de l'âge, pût renoncer à l'honneur & au devoir de fervir fon maître & fa patrie. Parcourez cette galerie, difoitil quelquefois à fon oncle; voyez ces ordres illuftres, ces bâtons fleurdelifés

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briller fur les tableaux de nos ancêtres. Lifez dans nos archives les fervices qu'ils ont rendus, les titres, les marques d'honneur, les grandes récompenfes qu'ils ont méritées. Ah! comment pourrois-je renoncer à marcher fur leurs traces, & à ne pas foutenir la gloire de notre nom?

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Arifte vit bien qu'il s'oppoferoit vainement à la paffion que fon neveu montroit pour la gloire; il ne s'occupa que du foin de la diriger, & de lui faire acquérir tout ce qui pouvoit le rendre fupérieur dans l'état qu'il vouloit embraffer. Arifte regrettoit bien alors que la France n'eût pas imité les Grecs, en confervant en honneur l'art gymnaftique il y fuppléa par les plus habiles maîtres, & dès qu'il eut quatorze ans, il le conduifit au manège pour apprendre à monter à cheval dans la meilleure académie de la capitale. Il eft en ufage que lorfqu'un jeune homme de ce rang commence cet exercice, on lui donne un gouverneur; mais le prévoyant Arifte en craignoit le danger. Il en eft, fe difoit-il, qui font dignes de remplacer des pères & des oncles: mais pourquoi ces oncles & ces pères n'ont-ils pas acquis affez de

connoiffances, pourquoi n'ont-ils pas affez de tendreffe pour remplir un devoir auffi facré ? ne devroient-ils. pas être jaloux que leurs enfans. puffent devoir à un étranger leurs vertus & leur favoir? Un enfant, lorfqu'il devient un homme fupérieur, ne doit-il pas réfléchir qu'il a plus d'obligation encore à celui qui forma fon coeur & qui fut capable d'éclairer fon efprit, qu'à ceux dont il reçut le jour? Arifte, pénétré de ce fentimer t, ne voulut s'en rapporter qu'à lui-même, & fon neveu ne fortit pas de fous fes yeux.

La principale attention de cet oncle prévoyant, fe porta fur les nouvelles liaifons que fon neveu devoit néceffairement former avec les gens de fon âge qui faifoient leurs exercices avec lui. Sa belle ame s'attendrit fouvent fur la fauffe ou la mauvaise éducation que ces jeunes gens avoient reçue, même dans des familles diftinguées par leur rang: il vit avec plaifir que fon neveu fe lioit par préférence avec Dorival, plus âgé que lui de quelques années, jeune homme dont les mœurs étoient pures, qui,' malgré fa grande vivacité, montroit des fentimens élevés, de l'inftruction &

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de la candeur. Il eft affez d'ufage que les enfans de la haute magiftrature reçoivent dans leur jeuneffe une partie des mêmes leçons que la jeuneffe destinée aux armes, & qu'ils ne les reçoivent qu'après de longues études. Dorival, que fa naiffance décidoit à pofféder une grande charge remplie alors par fon père, apprenoit à monter à cheval fous le même écuyer: cependant Arifte ne put s'empêcher d'interroger Sainville fur les motifs de fa préférence pour Dorival. On peint toujours bien ce que l'on aime, & Sainville embellit avec feu toutes les bonnes qualités qu'il trouvoit dans celui que fon cœur avoit préféré. Mais, difoit Arifte, quelle fympathie vous attache à Dorival, qui m'a paru pendant longtemps recevoir affez froidement vos avances? & même aujourd'hui qu'il y répond avec plus de chaleur, pourquoi lui trouvé-je fouvent un air d'embarras & de défiance avec vous? Ah! mon cher oncle, lui répondit Sainville, le fond du cœur de Dorival m'eft connu; l'espèce de petit défaut que vous lui reprochez, tient encore plus à fon état qu'à fon caractère. Vous connoiffez le

ton avantageux que les jeunes gens deftinés à fervir, prennent fouvent avec ceux de l'état que doit embraffer Dorival. L'élévation de l'ame de mon ami ne pourroit fupporter leurs dédains; ce n'eft qu'après avoir éprouvé la franchise de mon ame, ce n'eft qu'après s'être affuré de la jufte confidération que j'ai pour la refpectable profeffion qu'il doit embraffer, qu'il a cédé de bonne grace à l'attrait qu'il fe fentoit auffi pour moi. Un peu trop foupçonneux peut-être avec les autres, défiant, craignant qu'on ne cherche à lui manquer, ou qu'on feigne avec lui des fentimens qu'on n'a pas, ce fentiment intérieur le rend réservé jufqu'à la froideur vis-à-vis des gens fon âge trop vif & trop courageux pour rien fouffrir, il fe tient en garde contre tout ce qui pourroit lui caufer un dégoût; fe pliant, malgré fa façon de penfer, à fuivre la même profeffion que fes pères, il craint également de fe faire tort par une querelle qu'il foutiendroit avec valeur, ou de fe voir avilir par le ridicule & le perfifflage de ceux dont la fatuité l'offenferoit.

de

Arifte fe rendit au portrait que Sainville lui faifoit d'un ami pour lequel il

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