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yeux pleins d'un efpèce de feu qui ne les avoit jamais enflammés, fouvenezvous que cette enfant eft votre fille, & que vous l'avez adoptée. Sainville, en ce même moment, fe fentit le cou ferré par les petits bras de cette enfant. Ah! s'écria-t-il, qu'il m'eft cher, qu'il m'eft facile d'attefter le ciel que je renouvelle tous mes fermens de lui fervir de père! A ces mots, remettant Zélie entre les bras de fa mère, & ne pouvant plus réfsister à l'attendriffement qui faifoit couler fes larmes, Sainville s'arracha du fein de fes amis, & courut éperdu fe jeter dans fa chaife de pofte, qui fur le champ difparut à leurs yeux. Dorival & fon époufe avoient trop préfumé de leur courage; l'abfence d'un ami qui l'avoit foutenu jufqu'alors, la folitude de la campagne, l'approche de l'hiver qui dépouille la nature de fes ornemens, & qui femble la couvrir d'un voile obfcur & glacé, tout leur rapela leurs malheurs, & les fit fouvent tomber dans de fombres rêveries: la gaieté, les careffes innocentes de Zélie, qu'ils voyoient embellir de jour en jour, pouvoient feules les en tirer. La fanté robufte & la philofophie de DoriTome IV

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val eurent la force de réfifter; mais fon époufe, plus délicate & moins courageufe, retomba deux mois après dans les mêmes accidens dont Sainville avoit été fi juftement alarmé. Le foin qu'elle prenoit de les cacher à fon époux, l'empêcha long-temps de s'en appercevoir; mais de quelle terreur ne fut-il pas faifi, lorfqu'un matin, en entrant dans la chambre de fa femme, il vit cette mère fi tendre repouffer Zélie qui s'efforçoit en pleurant de coller fes lèvres fur les fiennes ! Une toux violente, qu'elle s'étoit efforcée de retenir, éclata malgré elle, & fut fuivie d'un crachement de fang que l'on fut long-temps à calmer. Quel fpectacle pour un époux auffi tendre, & qui prévit, dès ce cruel moment, le nouveau malheur qui le menaçoit! Il fit partir en pofte le feul domef tique qui lui reftoit; & le défordre de la lettre qu'il écrivit à Sainville, n'annonça que trop à fon ami, que madame Dorival couroit le plus grand péril. Le domeftique que Dorival avoit dépêché trouva Sainville malade, & hors d'état d'aller lui-même au fecours de madame Dorival; mais, malgré l'état dangereux dans lequel il étoit encore,

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1 écrivit au même médecin qui l'avoit déja vue; & celui-ci, déterminé par les offres & par les prieres que Sainville lui fit les larmes aux yeux, partit dans la chaise de pofte qu'il avoit fait préparer, & lui promit de lui donner tous les jours des nouvelles de l'état de cette amie fi chère.:

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Le domeftique de Dorival étoit ; comme ils le font prefque tous, curieux & bavard. Pendant les deux jours qu'il avoit paffés dans l'attente du départ du médecin, il avoit fait beaucoup de quef tions à l'un des domeftiques de Sainville, avec lequel il s'étoit lié chez Dorival; & ce domeftique, du même caractère que lui, avoit appris à fon camarade ce que fon maître avoit expreflément défendu de divulguer. Sainville étoit bleffé d'un coup d'épée; on cachoit foigneufement fon état, & l'on parloit diversement du fujet de la querelle qu'il avoit eue & de fon combat, cette affaire ayant été promptement affoupie.

Malheureufement ce domeftique avoit été à portée d'en favoir quelques détails. Lui feul avoit fuivi fon maître le jour qu'il s'étoit battu, mais il n'avoit fu que très-imparfaitement quel avoit été le

commencement de cette querelle; & quelques mots qu'il avoit entendus par hafard, avoient fuffi pour lui faire imaginer toute une hiftoire qu'il avoit ajuftée à fa fantaisie, & à laquelle il joignit, en buvant avec fon camarade, tout ce qu'il croyoit la rendre plus vraisemblable; prefque tous les valets croyant s'attirer la confidération de leurs femblables, en paroiffant bien informés du fecret de leurs maîtres.

Le vrai de cette hiftoire étoit que Sainville, au retour de la campagne de Dorival, avoit effuyé quelques tendres reproches de la part de fon oncle Arifte, fur fa longue abfence.

Quoique l'espèce de philofophie de cet oncle l'eût fait renoncer pour toujours au mariage, comme aux honneurs militaires, l'amour de fon nom n'étoit point banni de fon cœur ; & la feule paffion de cette ame ftoïque, dans laquelle toutes les autres étoient éteintes, c'étoit d'allier fon neveu à quelque maison riche & puiffante, qui pût l'aider à s'élever aux mêmes dignités dont le fervice de fes pères avoit été plufieurs fois illuftré.

Pendant l'abfence de Sainville, Arifte

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avoit projeté d'obtenir pour fon neveu la fille d'un homme en place & dans la plus haute faveur; mais Arifte menant une vie très-retirée, & n'allant jamais à la cour, n'avoit prefque aucun moyen d'en

tamer cette affaire.

La philofophie la plus folide ne peut fouvent fuffire à l'homme, & bien des momens lui font fentir le befoin qu'il a de quelque fociété. Arifte , peu défiant de fon naturel alloit affez fouvent paffer quelques heures chez une dame dont l'hôtel étoit près du fien, & qui, menant une vie très-retirée, avoit tout l'extérieur de la prudence & de la vertu. Le même befoin qu'Arifte avoit d'un peu de fociété, lui donnoit auffi celui de répandre quelquefois fon ame; & ce fut à cette dame qu'il confia le defir qu'il avoit de marier fon neveu, fes vues fur l'établiffement qu'il lui defiroit, & fes regrets de ne connoître perfonne qui pût l'aider à les fuivre. Pourquoi ne m'avez-vous pas plus tôt ouvert votre cœur, lui dit-elle? J'approuve beaucoup votre projet ; il eft digne de votre haute fageffe, & je crois avoir un moyen de le faire réuffir, Vous voyez quel

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