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nière guerre qu'il avoit faite fous fes ordres. Je refpecte vos fecrets, lui répondit-il en le regardant fixément; je ne peux même vous rien dire qui vous faffe croire que je foupçonne que vous en avez pour moi. Mais enfin, vous êtes encore bien jeune : on n'eft pas tou-. jours le maître de fon cœur, vous êtes trop galant homme pour vouloir rendre une femme malheureuse; & je fuis trop de vos amis pour ne pas vous éloigner de former une pareille alliance, fi votre cœur eft lié par quelque attachement qu'il ne puiffe rompre. L'étonnement de Sainville redoubla par ce propos: il conjura M. de Villers de lui parler naturellement fur ce qui pouvoit lui faire naître de pareils doutes. Valcourt étoit fi généralement méprifé dans la haute fociété, par les défauts effentiels qu'il y portoit, que le marquis de Villers, après s'être long-temps fait preffer, ne put lui refufer de lui répéter une partie des propos que Valcourt avoit tenus publiquement au milieu de fa famille.

Quoiqu'il eût extrêmement adouci les, expreffions dont Valcourt s'étoit fervi, Sainville ne reconnut pas moins la noirceur & l'atrocité de la calomnie qu'elles

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renfermoient. Ah! monfieur s'écria t-il, j'attefte le ciel & mon honneur, que les intelligences céleftes ne peuvent être plus pures que l'ame de madame Dorival, & l'amitié qui m'unit avec elle & fon malheureux époux. Il l'attendrit par le récit touchant qu'il lui fit de tous les coups qui venoient de frapper cette famille : il en vint jusqu'à l'offre de la lui faire connoître. M. de Villers connoiffant tout l'honneur, toute la candeur qui régnoient dans fon ame, & ne doutant pas qu'il ne fût capable des actions les plus généreuses, ne balança pas un moment à le croire : il ne regarda les calomnies de Valcourt, que comme un tiffu d'horreurs tramé par la plus noire méchanceté. Je fuis prêt, dit-il, de donner un démenti public à Valcourt, de diffuader la famille; & je me ferai le plus grand honneur de renouer la négociation que ce traître efpéroit de faire échouer.

C'en eftstrop, Monfieur, lui répondit Sainville; il me fuffit de m'être juf tifié vis-à-vis de vous, & de vous avoir fait connoître quels font les gens vertueux que Valcourt ofe attaquer. Toute explication entraîne un éclát; & la mé

chanceté publique fe prête trop facilement aux plus noires calomnies, pour ne pas defirer que les propos d'un homme vil, méchant, & reconnu pour tel tombent d'eux-mêmes dans le mépris & dans l'oubli. Pour Valcourt, abandonnons-le à l'aviliffement qu'il mérite; nous lui ferions trop d'honneur, fi nous nous fervions du feul moyen que nous ayons de le punir. Quant au ma riage dont vous m'avez parlé, il m'honoreroit beaucoup : mais, outre le defir que j'ai de refter encore libre pendant quelques années, & de fuivre mon métier, il me paroît qu'il feroit dangereux en ce moment de traiter d'une affaire qui réveilleroit les méchans propos que Pinfâme Valcourt a tenus.

Quelles que puiffent être vos raisons de différer votre établiffement, dit le marquis de Villers, je vous connois trop bien pour ne pas croire qu'elles font dictées par la fageffe; & comme je ne doute pas qu'il ne me fût très-facile de déterminer le chef de notre famille à vous donner fa fille, je me garderai bien de lui rien dire qui puiffe lui faire foupçonner que vous le defirez. Comptez fur ma discrétion, mon cher

Sainville, & foyez fûr que je me rendrai toujours digne de votre confiance & de votre amitié.

Sainville paffa deuxou trois jours à Verfailles, pour faire fa cour: fon oncle l'attendoit avec la plus vive impatience, & courut chez lui lorfqu'il le fut de retour. Vous vous êtes dérobé long-temps, lui dit-il, aux empreffemens d'un oncle qui vous adore, & de quelques amis qui pendant votre abfence fe font bien vivement occupés de vous. Des amis, répon dit Sainville avec furprife! ne m'avezvous pas fouvent dit que c'étoit un nom qu'il ne falloit pas profaner? Parmi le grand nombre de connoiffances que j'ai faites depuis que je fuis dans le monde j'avoue que j'en ai trouvé bien peu qui méritent d'être honorés de ce nom, qui doit être toujours facré pour l'homme qui connoît les devoirs qu'il prefcrit. Eh bien, répliqua fon oncle, je veux vous laiffer tout le plaifir de la furprife; & dès que nous aurons dîné, je compte vous mener dans une maison où votre ame honnête & fenfible ne pourra fe refufer aux procédés comme aux fentimens qu'on vous prouvera qu'on

a pour vous.

Je ferai toujours prévenu, mon cher oncle, dit Sainville, en faveur de ceux que vous approuvez; car je ne doute pas qu'après le foin que vous avez pris de vous connoître affez vous-même pour être à l'abri de tous les foibles de l'humanité, vous n'ayez porté la même attention à bien connoître ceux avec qui vous avez à vivre. Je ne dirai pas un mot de plus, dit Arifte, & vous ju, gerez vous-même fi je porte un jugement trop favorable fur ceux que je viens de

vous annoncer.

Le dîner fe paffa fans de plus longs éclairciffemens. Ils ne parlèrent que des malheurs de Dorival, du courage avec lequel il avoit pris fon parti, de la médiocrité des revenus qui lui reftoient, & qui ne pouvoient fuffire même à la dépenfe modique à laquelle fon petit ménage étoit réduit. Eh! mon cher neveu, n'avez-vous donc pas faifi quelques moyens de tromper fa délicateffe extrême, & de lui procurer quelques fecours dont il puiffe ignorer la fource? Sainville fut obligé d'avouer à fon oncle qu'il en avoit employé déja quelquesuns, & qu'il espéroit que le concierge de fon château, qu'il avoit gagné,

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