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voyoit que Valcourt venoit s'offrir de lui-même à fa vengeance. Il prit congé de la dame de la maifon avec un air d'empreffement & de gaîté; & defcendant légèrement le premier, pendant que Valcourt & fon amie fe difoient un mot tout bas dans l'antichambre, il eut le temps de donner fes ordres à fon cocher; & lorfque Valcourt monta dans fon carroffe, il donna tout haut celui d'aller à Longchamps. Valcourt comptoit bien tirer parti de cette pro menade. Je pourrai dire encore, pen foit-il en lui-même, que je l'ai conduit à voir Clarice avant qu'il ait achevé de la refufer, & qu'il m'a paru dans fes yeux & dans fes propos qu'elle lui déplaifoit fouverainement, ce qui lui fera sûrement une ennemie irréconci→ liable de cette jeune perfonne que fon père adore.

Tous les deux partirent donc; liun, avec la fécurité de parvenir à faire ime punément une méchanceté bien complète; l'autre, avec celle d'un brave homme indigné, qui fe propofe & qui fe voit près d'attaquer & de punir un traître.

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dans le bois de Boulogne, eut l'air de couper au court par des allées détournées, pour arriver plus tôt à Longchamps; & lorfqu'il fut dans un endroit du bois affez écarté, & devenu folitaire, l'affluence du monde s'étant portée vers la grande avenue, il accrocha légèrement un arbre, arrêta fes chevaux, defcendit; & demandant pardon de fa maladreffe, il dit à fon maître qu'un écrou de la roue s'étant caffé, il lui falloit néceffairement le temps d'en mettre un autre. Eh bien, dit Sainville en fortant de la voiture, dépêchez-vous; il est encore de bonne heure, nous nous promènerons en vous attendant, Valcourt le fuivit fans aucune défiance, & bientôt tous les deux furent hors de portée d'être vus & entendus par leurs gens.

C'eft alors que Sainville, s'arrêtant dans une clairière du bois & regardant fixement Valcourt, M'avez-vous donc cru, Monfieur, lui dit-il, affez dupe pour ne vous pas pénétrer, ou affez lâche pour le fouffrir? Vous m'étonnez, Monfieur, répondit Valcourt d'un air déja très-interdit; & dans le moment même où je vous donne une vraie marque d'amitié, je trouvé bien étrange

que

que vous ayiez l'air de me chercher une mauvaise querelle. En feroit-ce une mauvaise, Monfieur, repartit Sainville, que de vous rappeler les propos affreux & de la plus grande fauffeté, que vous avez eu l'indignité de tenir contre des gens vertueux, en préfence de la famille la plus refpectable? Valcourt pâlit. Les ames vicieufes font toujours foibles; on ne peut fe rendre coupable d'un crime, que par cette lâcheté de cœur qui fait qu'on ne fe refpecte plus. Que voulez-vous dire, mon cher Sainville? répliqua Valcourt un moment après. Quoi! quelques mauvaises plaifanteries que j'ai faites chez le miniftre, vous seroient-elles revenues? Oui, Monfieur, dit Sainville, qui fe contenoit à peine. Eh bien, dit Valcourt avec un peu plus d'affurance que lui rendoit l'air froid de Sainville, n'étoit-ce donc pas pour vous faire valoir, pour vous prouver à quel point vous êtes capable d'attachement, & des procédés les plus rares & les plus généreux? N'eft-il pas tout fimple qu'à votre âge, & fait cominevous l'êtes, vous ayiez des bonnes fortunes? & pouvois-je vous préparer un plus grand mérite auprès d'une jeune perfonne déja coquette &

Tome IV.

G

jaloufe de fa beauté, que de vous mettre à portée de lui facrifier une femme de l'efpèce de madame Dorival? Ce nom feul, ce nom de Dorival fit éclater le jufte courroux que Sainville avoit retenu jufqu'alors. Plus d'explications, traître! défends-toi, s'écria-t-il, en fautant quatre pas en arrière & mettant l'épée à la main. Valcourt s'étoit reculé pareillement; mais cherchant à gagner du temps, loin de fe mettre en défense, il crut adoucir Sainville en lui difant qu'il ne pouvoit fe réfoudré à fe battre contre fon ami. Tu ne le fus jamais, malheureux! lui dit Sainville; & de toutes les injures la plus infupportable pour moi, c'est le nom dont un monftre tel que toi m'ofe appeler. Défends-toi, te dis-je, ou crains que je n'oublie le nom que tu portes, & que je ne te traite comme le plus vil des fcélérats. L'air menaçant avec lequel Sainville s'avançoit l'épée haute, fit reculer Valcourt encore quelques pas; mais, entendant le bruit d'un carroffe qui s'avançoit près d'eux, il mit enfin l'épée à la main, dans l'efpérance qu'ilsalloient être féparés. Cependant ce fut en rompant toujours la mesure en arrière, dès

qué

le bout de fon épée touchoit celle de Sainville. Celui-ci, quoique furieux, méprifa trop un fi lâche ennemi pour en vouloir à fa vie, & crut, en s'élançant fur lui, pouvoir le défarmer. Une racine d'arbre accrocha le bout de fon pied, & le fit tomber fur les mains; ce fut au moment qu'il fe relevoit, que le lâche Valcourt, le voyant fans défense, lui donna dans la poitrine un coup d'épée, qui ne fut heureusement porté que d'une main mal affurée. S'élancer une feconde fois fur Valcourt, le défarmer, lui mettre la pointe de fon épée fur la gorge, ce fut pour Sain-. ville l'action d'un inftant. Je devrois, lui dit-il, purger la terre d'un monftre tel que toi. Vas, malheureux, meurs de honte! je t'abandonne à tes remords. A ces mots il jeta l'épée de Valcourt à fes pieds, fans que le lâche ofât la ramaffer avant que le carroffe qu'ils avoient entendu fût arrivé près d'eux. Valcourt, voyant Sainville couvert de fang, reprit enfin fon épée; & dès qu'il put croire que ceux qui defcendoient du carroffe l'avoient reconnu, il s'enfonça dans l'épaiffeur du bois,

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