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en criant Ah! qu'ai-je fait? peut-être ai-je tué mon meilleur ami.

Ceux qui venoient de defcendre de carroffe coururent à Sainville, dont le fang couloit à gros bouillons & qui commençoit à chanceler. C'étoient les deux jeunes fils du marquis de Villers & leur gouverneur, qui, fe promenant au bois de Boulogne, étoient arrivés heureusement à fon fecours. Ces jeunes gens aimoient beaucoup Sainville, que leur père leur propofoit toujours pour modèle, & qu'ils voyoient fouvent chez lui. Tandis que l'aîné court vers fon carroffe pour appeler fes gens, & que le gouverneur le foutient & l'affied au pied d'un arbre, le chevalier de Villers, tout en larmes, déchire fa chemife, tient une main fur fa poitrine pour arrêter fon fang, & l'embraffe de l'autre, en criant: Ah! que mon papa n'eft-il ici! Ah! quelle douleur pour lui, quand il faura fon bon ami dans cet état!

Heureusement un habile chirurgien paffa dans ce moment; &, voyant un homme bleffé qui paroiffoit être de diftinction, il mit le premier appareil à la bleffure, que par fa position & fa pro

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fondeur il regarda comme fort dangereuse. Le gouverneur des jeunes Villers envoya chercher des matelas; & pour ne point ébruiter cette affaire, il attendit l'entrée de la nuit pour faire tranfporter Sainville à fon hôtel.

Dès que le bleffé fut chez lui, le gouverneur fut chercher le marquis de Villers, Sainville ayant voulu ménager la fenfibilité d'Arifte, & l'empêcher de le voir dans ce premier moment. M. de Villers accourut, & fut bien attendri en trouvant Sainville entre les bras de fes enfans, qui n'avoient point voulu quitter fon ami. Ce font d'autres vousmême, lui dit Sainville, à qui je dois les premiers fecours que j'ai reçus. Ces aimables enfans déformais me feront auffi chers qu'à vous-même. Il les embraffa tous les deux, & dit au chevalier: Je n'oublierai jamais la marque de tendreffe que vous m'avez donnée.

Lorfque tout le monde fut retiré, il fit un libre aveu dans le fein de fon ami du fujet de fa querelle, & de l'efpèce de combat qu'il avoit livré. M. de Villers frémit également, & de la noirceur de Valcourt, & de fa déteftable lâcheté. Cependant, lui dit-il, cet homme vil

tient à tant de gens en place, il m'appartient même de fi près, que j'implore votre filence & vous conjure de ne pas le déshonorer. Tôt ou tard il ne peut manquer de l'être; mais je ferois fâché que vous euffiez auprès du miniftre le démérite d'avoir publié le premier fon infamie. Sainville lui donna fa parole d'honneur de garder le filence le plus profond, même pour fon oncle Arifte: cependant il ne fut pas longtemps maître d'un fecret que ce faux amour-propre de Valcourt, & l'habitude qu'il avoir contractée de tromper, le porta lui-même à divulguer.

Le croiroit-on ? il fut le premier à répandre fourdement qu'il venoit d'avoir une affaire avec Sainville; qu'il avoit commencé par le bleffer, & que voulant ménager fa vie qu'il expofoit en furieux après fa bleffure, il avoit mieux aimé fe laiffer défarmer par lui, que de lui porter le coup de la mort. Ces fortes de bruits, quand ils paffent dans la bouche de la jeuneffe, font bientôt répandus: chacun raisonna, voulut deviner quels étoient les motifs qui les avoient portés à fe battre. Valcourt ne perdit pas cette occafion de faire entrevoir que les reproches

qu'il avoit faits à Sainville fur fon attachement pour madame Dorival, avoient occafionné ce combat.

C'est par le progrès que ce bruit avoit fait au bout de vingt-quatre heures, qu'Arifte en reçut la première nouvelle. Quoiqu'il fe refusât d'abord à la croire, l'inquiétude le fit voler chez Sainville, qu'il trouva dans fon lit entre la vie & la mort.

Le coupable Valcourt avoit efpéré que ce bruit parviendroit jufqu'au miniftre. Il s'attendoit qu'il le manderoitprès de lui pour favoir la vérité de sa bouche; & fon récit étoit d'avance préparé. Il fe propofoit bien de lui dire, qu'ayant voulu faire quelques repréfentations à Sainville, fur la vie fcandaleufe qu'il menoit avec madame Dorival, dans le temps même où il autorifoit fes amis à demander pour lui la main de Clarice, celui-ci, furieux de voir que fa vie & fon intrigue intérieures étoient découvertes, s'en étoit pris à lui, l'avoit infulté, l'avoit, en un mot, prefque contraint à fe battre. Le miniftre, en effet, ne tarda pas long-temps à l'envoyer chercher ; mais il fut bien fur

pris lorfque cet homme auffi noble que jufte, ayant reçu des informations certaines par le marquis de Villers, lui ferma la bouche au premier mot qu'il voulut lui dire. Je ne vous écoute point, dit le miniftre; je fais trop que je ne peux attendre la vérité de votre bouche; elle y perdroit tout ce qui la fait refpecter. Je connois vos menées & votre conduite infâme; c'est à la seule confidération de ceux à qui vous tenez, que je n'exerce pas une juftice exemplaire fur vous: mais apprenez que le roi yous exile dans votre château de Beauce; gémiffez de l'opprobre éternel dont vous vous êtes couvert; difparoiffez pour un temps aux yeux des gens d'honneur que vous avez révoltés; partez, & que le foleil levant ne vous retrouve pas dans Paris, ou le donjon de Vincennes couvrira la honte & la douleur que vous répandez dans l'ame de tous ceux qui ont le malheur de vous appartenir. Óbéiffez, fortez de ma préfence, ajouta le miniftre furieux, en voyant que Valcourt fe préparoit à lui répliquer fortez, ou fur le champ je vais vous faire arrêter.

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