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Dans l'agitation cruelle où cette fauffe idée, la plus coupable que la jaloufie eût jamais formée, jeta Dorival, mille réfolutions violentes fuffifoient à peine pour répondre à fa fureur. Il fe promenoit à grands pas comme un homme tourmenté par les furies lorfque, par le plus grand bonheur, il rencontra le médecin qui venoit de cueillir plufieurs plantes falutaires. Monfieur, lui dit-il en lui ferrant fortement la main, je connois votre probité & l'honneur qui règne en votre ame. Jurez-moi de me dire la vérité. Hélas! Monfieur, lui répondit-il les larmes aux yeux, je frémis depuis deux jours que vous ne me forciez à vous la dire. Ah! je fuis donc trahi, déshonoré, s'écria Dorival furieux, en répondant à fon idée. Eh! Monfieur, lui répondit le médecin vous éprouvez fans doute les plus grands malheurs qui puiffent frapper une ame fenfible: mais la trahifon, le déshonneur ! Ah! Monfieur, que pouvez-vous craindre après le courage que vous avez montré dans vos malheurs, & les facrifices que vous avez faits? La trahifon! Eh!.... quel eft l'homme plus honoré que vous dans fon infor

tune, par l'amitié la plus fidèle, par l'amour de l'époufe la plus vertueuse, par le dévouement abfolu de tout ce qui vous entoure?... Jouiffez, Monfieur jouiffez de toutes les confolations qui vous reftent. Zélie, Sainville, que ces noms fi chers retentiffent fans ceffe dans votre cœur ; penfez qu'ils vous reftent pour vous empêcher de vous livrer au défefpoir, pour occuper votre ame, pour lui promettre encore des jours de bonheur, & pour la foutenir contre le coup affreux, qui peut-être, hélas ! vous menace ?

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La vérité la candeur étoient peintes dans les yeux du Médecin ; un trait de cette lumière célefte que l'Etre fuprême n'accorde qu'aux gens vertueux, fit tomber en un inftant le voile funefte qui couvroit ceux de Dorival, & diffipa fes noirs preftiges. Ah! Monfieur, s'écria-t-il en gémiffant & la tête plongée dans fon fein, que je fuis malheureux, que je fuis coupable,. & que le ciel me punit juftement ! Achevez, Monfieur, de me déchirer le cœur ; je vois déja par ce que vous venez de me dire, que vous n'espérez plus rien de madame Dorival, Ah dieux!

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je vais donc te perdre, femme adorée, ame pure & célefte à laquelle la mienne ne mérite plus d'être unie, puifque j'ai pu te foupçonner! Mais cet ami, ce Sainville, mon père, mon frère, mon foutien ; ce Sainville, le charme de tous les jours que j'ai paffés, ah! me reftera-t-il ? reftera-t-il à ma Zélie, s'il connoît à quel point je fus injufte & criminel envers lui ? ... Qu'il l'ignore à jamais, Monfieur, dit le médecin, qui pénétroit en frémiffant la noire illufion dont l'ame de Dorival avoit été aveuglée. Qui, ce fidèle ami partagera votre douleur, & l'adoucira par fes tendres foins pour vous & pour votre enfant. Gardez-vous bien de lui faire l'affligeant aveu d'un moment de foibleffe; épargnez-lui la douleur de trouver un défaut dans l'homme qu'il aime le plus. Un torrent de larmes, une douleur profonde annonçoit à l'habile & excellent homme qui lifoit dans fon cœur, que Dorival étoit en état de l'écouter; il faifit ce moment de le préparer en peu de mots à la perte prochaine de fon époufe; & pour le diftraire après de cette funefte idée, Je vois, lui dit-il, que vous ignorez

encore toutes les circonftances du combat de Sainville, & les détails de ce qui l'a précédé ; je les tiens de la bouche d'un homme véridique, & l'un de fes meilleurs amis; & vous n'en douterez pas, lorfque vous faurez que c'eft de M. le marquis de Villers, à qui feul Sainville les a confiés. A ces mots il lui fit un récit fidèle de tout ce qu'on a vu jufqu'ici. Dorival ne put s'empêcher de s'écrier plufieurs fois, en apprenant les horreurs dont Valcourt s'étoit rendu coupable: Ah! fcélérat, fi tu parois jamais à mes yeux!.....

Lorfque le médecin eut terminé fon récit, Dorival, plus calmé mais plus pénétré de douleur que jamais, le fuivit chez madame Dorival qui venoit d'effuyer une crife très-violente. Une toux convulfive avoit rouvert le vaiffeau de la poitrine, qui ne s'étoit jamais bien confolidé; fes draps étoient couverts de fang, une pâleur livide défiguroit fes traits; fes gens étoient confternés; la petite Zélie, déja fenfible, jetoit des cris douloureux. Le médecin voulut en vain arracher Dorival à ce douloureux fpectacle hélas! celui-ci ne doutoit déja prefque plus de fon malheur ; il

defiroit d'y fuccomber; &, la bouche collée fur la main de fon épouse, la voix & la refpiration étouffées par les fanglots, il n'ofoit fixer fes regards fur celle dont les yeux commençoient à fe rouvrir à la lumiere.

Le médecin étoit trop éclairé pour ne pas juger que cet accident fe renouvelleroit jufqu'à ce qu'il lui donnât la mort. Cependant il employa tous les fecours de fon art pour prolonger fa vie & calmer un peu fa toux; il tint parole à Sainville par cette lettre : « Je

crains tout, les accidens fe répètent; » fi votre état vous permet de partir, il en » eft temps; venez pour fauver du dé» fefpoir votre malheureux ami. »

Sainville commençoit à peine à fe lever pendant quelques heures du jour; fa bleffure, qu'un habile chirurgien avoit laiffée long-temps ouverte, commençoit à peine à fe refermer. Arifte, qui ne le quittoit prefque pas, étoit auprès de lui, lorsqu'il reçut la lettre du médecin. Les prières, les larmes de fon oncle, les remontrances du chirurgien ne purent l'arrêter; l'amitié plus forte dans fon cœur que l'amour de la vie, lui fit donner des ordres preffés pour fon dé

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