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part. Les tranfports de douleur & d'impatience dont Sainville étoit agité, firent connoître à fon oncle qu'on courroit encore plus de rifque en l'arrêtant malgré lui, qu'en le laiffant partir. On lui fit préparer un lit dans une dormeufe bien fufpendue, & dès le lendemain matin on y coucha Sainville. Le chirurgien monta dans une chaife de pofte, n'ayant garde de le quitter en cet état; & ce fut ainfi qu'il conduifit affez heureufement le bleffé jufque dans la retraite de Dorival.

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Madame Berrard promenoit fur le foir la petite Zélie, dans une espèce d'avenue qui précédoit la cour du château. Cette femme fut très étonnée de voir arriver un inconnu, & fit peu d'attention à l'autre voiture où Sainville couché ne pouvoit être apperçu. Le chirurgien fit arrêter les poftillons. Comment va madame Dorival? lui cria-t-il d'abord. Hélas! Monfieur, lui réponditelle, nous avons bien peu d'efpérance; fon mari ne la quitte pas d'un moment; & c'eft avec peine que j'arrache quelquefois notre pauvre petite Zélie d'auprès d'elle, pour lui faire prendre l'air. Sainville avoit d'abord reconnu la

voix de madame Berrard; mais ce ne fut que lorsqu'elle parla de Zélie comme étant préfente, qu'il fe fouleva fur fes oreillers, & qu'il ouvrit le ftore qui l'empêchoit de la voir. Ah! ma bonne, s'écria l'enfant, voilà mon petit papa Sainville. A ces mots, elle court à la voiture & veut grimper fur le marchepied; fa bonne la foulève & la met dans les bras de Sainville. Ah! papa, vous avez bobo, dit Zélie, en voyant Sainville enveloppé de linges & couché.Elle lui faute au cou en pleurant, & des larmes de tendreffe coulent fur les joues de Sainville qui la ferre dans fes bras.

Zélie ne voulut point defcendre de la dormeufe, & ce fut ainfi que le moment d'après ils arrivèrent dans la cour du château. Le peu de domestiques qui l'habitoient, accourent avec le concierge; le nom de Sainville retentit dans la maifon. Ah! s'écria madame Dorival, que je fuis heureuse! il me fermera les yeux; ton ami te fauvera peut-être la vie. Dorival éperdu vole à la voiture de Sainville, reçoit Zélie de fes mains, la remet à fa bonne, &, le foulevant doucement il l'enlève avec le chirurgien, & le porte dans la

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chambre de madame Dorival. Ames fenfibles àl'amitié, àce noble & premier befoin de notre existence, peignez-vous vous-mêmes une entrevue fi touchante; peignez-vous Dorival approchant luimême Sainville des bras de fon épouse, celui-ci baignant les mains de cette digne femme de fes larmes, & la petite Zélie, parvenue par fes efforts jufqu'aux oreillers de fa mère, leur ferrant la tête tour-à-tour!

Le médecin & le chirurgien s'empreffèrent à terminer une fcène fi touchante, & qui pouvoit devenir dangereufe pour la malade & pour le bleffé. Sainville fut porté dans un petit appartement voifin de celui de madame Dorival: c'étoit celui qu'occupoit ordinairement son mari; mais, depuis le dernier accident de fon époufe, il passoit fur un lit de repos toutes les nuits aux pieds de fon lit. Le chirurgien ayant levé l'appareil, fut content de l'état de la plaie, & la fatigue du voyage n'avoit rien caufé qui pût l'alarmer. Cet homme habile, ayant conféré fur l'état de madame Dorival avec le médecin, jugea comme lui que le coup étoit porté fans reffource, & qu'elle ne pou

voit aller loin. Ils fentirent que leurs fecours feroient bientôt plus néceffaires que jamais à Sainville, pendant la crife violente qu'ils prévoyoient qu'il étoit près d'effuyer. Ils prirent le parti d'écrire à Paris, à fon oncle, que leur fejour feroit plus long qu'ils ne l'avoient cru. L'un & l'autre ne penfèrent plus qu'à préparer Dorival & Sainville à la perte qu'ils étoient près de faire. Cependant ils eurent encore quelques jours de calme, pendant lefquels la bleffure de Sainville acheva de fe refermer. Ce fut pendant ce temps qu'un eccléfiaftique, ayant un matin demandé quelques momens d'audience à Dorival , pria celui-ci de descendre avec lui dans fon parc, où, dès qu'il ne put être apperçu, il embraffa fes genoux, & lui dit : Je fuis chargé, Monfieur, d'implorer votre pardon pour un homme près du tombeau, qui reconnoît vous avoir fait un tort confidérable dans les affaires qu'il avoit avec feu M. votre père. Voilà cinq cents louis qu'il m'a chargé de vous reftituer. Si Dieu lui rend la fanté, cet homme se propose de vérifier d'anciens comptes, & de vous remettre le furplus dont il fe trouvera

redevable; mais fi Dieu difpofe de lui fans qu'il ait le temps de faire cette vérification, il vous conjure d'en décharger fa confcience, en lui remettant en don ce qu'il peut encore vous redevoir.

Dorival, qui favoit que fon père n'avoit jamais mis d'ordre dans fes affaires, crut fans peine que les cinq cents louis qu'Arifte avoit remis à cet eccléfiaftique étoient une vraie reftitution; il la reçut; il affura l'eccléfiaftique que, quand même l'honnête homme qui l'en avoit chargé lui feroit encore redevable, il ne vouloit plus en entendre parler, & qu'il lui faifoit de tout fon cœur un pur don du refte. Il finit par offrir un préfent confidérable à cet eccléfiaftique, qui ne voulut point l'accepter, & qui fur le champ fe retira. Dorival courut auffitôt près de fon ami, lui fit part du fecours qu'il croyoit, difoit-il, recevoir de la providence. Hélas! lui dit-il, peut-être le premier emploi de cet argent fera-t-il pour un tombeau; mais du moins le refte me fervira pour l'éducation de Zélie. Sainville eût bien defiré de pouvoir éloigner des idées-fi funeftes de l'efprit de fon ami; mais elles l'obfédoient lui-même, & les plus

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