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noirs preffentimens ne ceffoient de porter la plus profonde trifteffe dans fon cœur. Ces preffentimens n'étoient que trop fondés. Si depuis quelques jours la toux avoit paru plus calmée, le médecin avoit auffi remarqué que la fièvre étoit devenue plus vive & plus continue. Le malheureux Dorival prenoit ce calme, & le feu dont les yeux de fon époufe étoient animés, pour un mieux marqué, & comme la fuite d' plaifir qu'elle avoit de fe voir entourée des perfonnes les plus chères pour elle. On aime toujours à s'aveugler fur les maux que l'on craint, comme fur les biens qu'on defire. Un foir que Sainville s'étoit arrêté plus long-temps qu'à l'ordinaire près de la malade, & que madame Berrard favoir mené coucher Zélie, ils s'occupèrent de cette aimable enfant, & difcutèrent avec le chirurgien & le médecin le projet d'éducation que Dorival avoit formé pour elle. Ce projet fut long-temps combattu par le médecin; fon fyftême étoit qu'on ne doit laiffer rien ignorer aux enfans, pour les préparer à fe défendre des féductions de la fociété, & des premiers mouvemens de la nature. Ne

vaut-il

vaut-il pas mieux, difoit-il, fi fon cœur devient fenfible, qu'elle fache qu'elle aime, que de l'expofer au danger d'aimer fans le favoir, & fans connoître les moyens de maîtriser fon cœur? Dorival perfiftoit à dire qu'une heureuse ignorance étoit préférable; qu'il étoit prefque impoffible de définir & de faire connoître l'amour fous des traits qui le fiffent hair; & que, dès qu'une jeune perfonne en avoit eu l'idée, elle la réalifoit avec plus de facilité dans fon ame. La complaifance extrême de madame Dorival pour fon mari l'empêchoit de rien examiner: ce qu'on aime a toujours raifon pour une ame bien éprife. Le médecin efpéra trouver un appui pour fon opinion dans la bouche de Sainville; mais, accoutumé dès fa plus tendre jeunesse à penfer comme Dorival & comme Arifte, Dans l'incertitude, dit-il, où tout homme fage doit être du fuccès d'une éducation, & dans l'impoffibilité de pouvoir diriger, rectifier les premières idées que celle de l'amour peut faire naître dans l'imagination d'une jeune perfonne, je crois comme Dorival qu'il eft utile de retarder autant qu'il Tome IV. H

eft poffible le temps où cette idée pourra naître d'elle-même ; & fi j'avois un jour une fille que je duffe élever, je me conformerois au fystême de mon ami. La difcuffion ne fut pas portée plus loin; elle ne dégénère ordinairement en difpute qu'entre des gens qui ne s'aiment pas, ou qu'un fecret orgueil anime à vouloir primer. Le chirurgien entra, repréfenta que l'heure de fe retirer étoit paffée, & la petite fociété fe fépara pour aller se livrer au repos.

Le calme le plus profond régnoit depuis trois heures dans la maison, lorfque quelques cris étouffés, qui ne laiffoient diftinguer que les mots de fecours, réveillèrent madame Berrard la première. Elle vola dans la chambre de madame Dorival; & ceux que madame Berrard fit en la voyant, réveillèrent auffi bien douloureufement Sainville & fon chirurgien. Oubliant fon état, Sainville s'élança de fon lit fans qu'on pût le retenir, & fe précipita dans la chambre de fes deux amis au moment où le médecin accouroit auffi, s'écriant, Hélas! je l'avois bien prévu.

Le calme trompeur que madame Dorival avoit eu, ne venoit que de la concentration du mal, dont le progrès s'étoit étendu dans l'intérieur des poumons dans ce moment une artère ouverte donnoit des flots de fang. Le premier objet qui frappa les yeux de l'ami le plus tendre, ce fut madame Dorival baignée dans fon fang, & portant déja fur tous fes traits la pâleur & les convulfions de la mort. Madame Berrard la foutenoit pour l'aider à rejeter ce qui l'étouffoit; fon mari, la tête collée fur fes genoux, étoit immobile quelques efpèces de hurlemens fourds étoient les feuls fignes de vie qui lui reftaffent. Madame Dorival, malgré fon état affreux, reconnut Sainville, leva fes yeux mourans vers le ciel, tendit fes bras vers fon ami, lui montra Dorival abîmé dans la douleur: elle voulut faire un effort pour lui parler; cet effort redoubla fa crife mortelle; &, penchant la tête fur celle de fon époux, elle expira la ferrant encore.

Sainville défefpéré fe jeta fur fon malheureux ami; & malgré fa foibleffe, il fit un effort affez violent pour l'arracher de deffus les genoux de fon épouse,

& l'entraîna dans la chambre de madame Berrard, où Zélie étoit couchée. Il force Dorival à s'affeoir fur le lit de cette enfant qu'il éveille & qu'il met dans fes bras. Son ami, la tête égarée, femble ne plus les reconnoître; il repouffe les bras de la petite Zélie, il veut fe dégager de ceux de fon ami; & ce n'eft qu'en voyant couler fon fang qu'il reprend une connoiffance très-interceptée : il croit alors l'avoir poignardé dans fon délire.. .. Ah! monftre que je fuis, s'écria-t-il, quoi! me baignerai-je donc fans ceffe dans le fang qui m'eft le plus cher? Achevons donc, & répandons le mien. Il cherche quelque arme meurtrière. Le chirurgien & le médecin lui faififfent les bras, Zélie fe rejette à fon cou en pouffant des cris perçans; il fe calme enfin, la reconnoît, & la baigne de fes larmes.

L'horreur de ce moment cruel fut encore augmentée par l'état où Sainville fe trouvoit; les efforts qu'il avoit faits pour enlever Doriyal, avoient fait rouvrir fa bleffure qui n'étoit plus que couverte légérement, fans que la plaie déja fermée fût affujettie. Le fang en couloit avec violence; & ce ne fut

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